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Moyen Orient et Monde - Analyse

Gilets jaunes : Liberté, égalité, fraternité, émeutes ?

Les gilets jaunes protestent à Frontignan dans le sud de la France, le 3 décembre 2018. Pascal Guyot/AFP

Descendre dans la rue pour contester le pouvoir est une « tradition » bien française qui ne sombre pas dans la violence systématiquement, mais de plus en plus souvent, comme samedi dernier lors des émeutes de Paris, soulignent des experts. Augustin Terlinden, un Belge de 33 ans, faisait son jogging près de l’avenue Foch, dans les quartiers huppés de la capitale, quand il s’est retrouvé samedi face à des véhicules en feu et des barricades : « Je vois que la tradition révolutionnaire est toujours très prégnante en France ! » lançait-il dans un sourire.

Huit mille manifestants à Paris selon la préfecture de police, plus de 10 000 grenades tirées par les forces de l’ordre, 133 blessés et 412 interpellations : la manifestation des « gilets jaunes », ces Français excédés par la hausse des taxes sur les carburants et la politique sociale et fiscale du gouvernement, a été marquée par une « violence extrême et inédite », a reconnu le lendemain le préfet de police de Paris, Michel Delpuech. « Paris is burning » (Paris brûle), en a conclu la presse étrangère, effarée, qui a voulu y voir la confirmation que la rébellion fait partie de l’ADN de la France, « ce pays toujours tenté par la violence », écrit le quotidien suisse Le Temps.

« Non », corrige Michel Pigenet, historien et professeur à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. « Les violences lors de manifestations ne sont pas une tradition française. Il y en a au Royaume-Uni, en Allemagne, en Italie », souligne ce spécialiste des mouvements sociaux. « Mais ce qui est vrai, c’est qu’il y a en France une tradition de la mobilisation collective qui fait qu’on a le sentiment qu’il “faut que la République nous entende d’une manière ou d’une autre” », explique-t-il. La contestation fait ainsi partie intégrante de la psyché française : je conteste, donc je suis. Car elle est étroitement liée à l’histoire du pays, à commencer par la révolution sanglante de 1789. « En France, la révolution sage, ça ne s’est pas fait car les élites se sont crispées sur leurs privilèges. Il y a cette mémoire selon laquelle, quand le peuple bouge, on doit l’écouter et que, sinon, cela se passe mal », rappelle M. Pigenet.


(Lire aussi : « A Paris, c’était comme un mauvais remake de la guerre »)


« Le droit à l’insurrection »

L’historien rappelle que la Constitution de 1793 avait établi le « droit à l’insurrection quand le pouvoir n’écoute pas le peuple ». « L’idée est toujours là », juge-t-il. « La manifestation de voie publique fait partie de la culture française », confirme Olivier Cahn, professeur à l’Université de Tours. Et elle a d’autant plus persisté qu’elle a « souvent donné des résultats », souligne ce spécialiste des mouvements sociaux.

De nombreux gouvernements ont ainsi reculé après des manifestations violentes, créant cette impression qu’elles seules font plier le pouvoir. En mai 1968, le salaire minimum est augmenté d’un tiers, après des manifestations qui ont fait plusieurs morts. En 1986, le « projet Devaquet », dénoncé comme une sélection à l’entrée à l’université, est abandonné après la mort d’un étudiant qui sortait d’un club de jazz. En 2006, l’instauration du CPE, un contrat de travail censé faciliter l’embauche, mais critiqué comme accroissant la précarité, est retiré après des manifestations violentes. De l’autre côté, des mouvements sociaux classiques, organisés par les syndicats, ont été mis en échec, comme celui contre la loi travail, adoptée en 2016 malgré de fortes manifestations. « Par conséquent, il y a le sentiment que toutes les méthodes sont bonnes : puisqu’ils n’écoutent pas, il faut trouver d’autres formes », explique Michel Pigenet. « Il y a un mouvement croissant en faveur de formes plus combatives que les cortèges syndicaux considérés comme plan-plan », analyse Erik Neveu, professeur à Sciences Po Rennes.Ainsi peut s’expliquer le soutien massif (70 à 80 %) de la population française aux « gilets jaunes », malgré les violences. « Il y a à la fois ceux qui plaignent le “pauvre commerçant” dont les vitrines ont été cassées, et ceux qui disent qu’il n’y a que comme ça qu’on y arrive », résume M. Neveu. Cela pourrait expliquer, selon lui, que des manifestants jusqu’alors modérés rejoignent les rangs des casseurs, à l’image de ces gilets jaunes bons pères de famille qui ont parfois participé aux violences de samedi.

La multiplication des débordements lors de manifestations, constatée « depuis les années 2000 », a également pour cause « la faiblesse des forces classiques qui normalement structurent la contestation », comme les syndicats, souvent contournés par le gouvernement actuel, au risque d’affaiblir leur capacité à canaliser les foules, juge M. Pigenet.



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commentaires (1)

Jee suis assez d'accord avec Michel Pigenet, mais pas sur un point. Il parle à juste titre, de la " révolution sanglante de 1789". "En France, la révolution sage, ça ne s’est pas fait". Je conteste cependant que la violence soit venue du fait que "les élites se sont crispées sur leurs privilèges". Les élites avaient d'elles-mêmes renoncé à leur privilèges dans la nuit du 4 août. Louis XVI n'était pas un tyran, mais un réformateur, et il a cependant été guillotiné. Les guillottinades et le génocide vendéen n'ont rien à voir avec la lutte contre des privilèges qui n'existaient plus.

Yves Prevost

07 h 39, le 05 décembre 2018

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Commentaires (1)

  • Jee suis assez d'accord avec Michel Pigenet, mais pas sur un point. Il parle à juste titre, de la " révolution sanglante de 1789". "En France, la révolution sage, ça ne s’est pas fait". Je conteste cependant que la violence soit venue du fait que "les élites se sont crispées sur leurs privilèges". Les élites avaient d'elles-mêmes renoncé à leur privilèges dans la nuit du 4 août. Louis XVI n'était pas un tyran, mais un réformateur, et il a cependant été guillotiné. Les guillottinades et le génocide vendéen n'ont rien à voir avec la lutte contre des privilèges qui n'existaient plus.

    Yves Prevost

    07 h 39, le 05 décembre 2018

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