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À La Une - reportage

Comme Nadia Murad, des Yazidies soignées en Allemagne

Des psychologues, des travailleurs sociaux et des interprètes suivent une formation spéciale pour venir en aide à ces patientes issues d'une culture étrangère à l'Europe. 

Lewiza, une jeune yazidie, et le psychologue germano-kurde Jan Ilhan Kizilhan, lors d'une interview de l'AFP à la clinique MediClin, le 28 novembre 2018, à Donaueschingen, dans le sud de l'Allemagne. AFP / THOMAS KIENZLE

De jeunes Yazidies, victimes des sévices sexuels en Irak et en Syrie, reconstruisent leur vie en Allemagne où elles suivent une thérapie et tentent de briser l'un des plus grands tabous ancrés dans les sociétés moyen-orientales : le viol.
Parmi ces femmes réfugiées en Allemagne, Nadia Murad, co-prix Nobel de la paix 2018, qui recevra sa récompense le 10 décembre. Elle porte la voix des Yazidies dans le monde entier pour que le crime dont elles ont été victimes ne reste pas silencieux. Les jeunes femmes de cette minorité kurdophone monothéiste ont subi des abominations sexuelles et des tortures. Vendues sur des marchés aux esclaves par des jihadistes du groupe Etat islamique (EI).

A des milliers de kilomètres de leurs villages reculés de la région irakienne du Sinjar, mille cent d'entre elles ont été accueillies au cœur de la bucolique Forêt Noire, dans le cadre d'un programme d'aide mis en place fin 2014 par les autorités régionales allemande du Bade-Wurtemberg.

"Les premiers temps ici ont été très difficiles. J'avais peur en permanence, je croyais que j'allais retomber aux mains de Daech (acronyme en arabe de l'EI)" : Lewiza, jeune Yazidie, raconte d'une voix monocorde son arrivée en Allemagne il y a trois ans.

(Lire aussi : En Irak, le Nobel attribué à Nadia Murad met du baume au cœur des Yazidis)

"Tout était nouveau" 
La jeune femme de 22 ans, qui ne souhaite pas révéler son nom de famille, a dû tout apprendre dans ce coin verdoyant et prospère d'Allemagne. "Tout était nouveau pour moi : faire une thérapie, parler avec quelqu'un de mon état. Mais chaque fois que je parle, je me sens nettement mieux", explique-t-elle à l'AFP dans la clinique spécialisée de Donaueschingen, jolie cité proche de la frontière suisse.

Assis à ses côtés, le professeur Jan Ilhan Kizilhan assure encore la traduction du kurde vers l'allemand bien que Lewiza ait repris une formation dans une école d'hôtellerie de la région. Ce psychothérapeute allemand spécialiste des traumatismes suit pas à pas l'évolution de ces jeunes femmes, dont Nadia Murad qu'il a encouragée dès la fin 2015 à intervenir devant le Conseil de sécurité de l'ONU. C'est lui qui est allé chercher ces victimes traumatisées dans des camps de réfugiés dans le Nord de l'Irak. L'Etat du Bade-Wurtemberg lui demande alors d'organiser leur prise en charge dans la région et propose 95 millions d'euros.

Des psychologues, des travailleurs sociaux et des interprètes suivent une formation spéciale pour venir en aide à ces patientes issues d'une culture étrangère à l'Europe. "Les termes qu'elles emploient sont différents", explique par exemple Jan Ilhan Kizilhan. "Elles ne disent pas qu'elles ont été violées, elles disent qu'elles ont été mariées (...) Elles ne disent pas qu'elles souffrent de traumatismes, elles disent qu'elles ont des maux de tête ou de ventre".


(Pour mémoire : Une ex-esclave yézidie de l’EI retrouve son bourreau en... Allemagne)



Bannies 
Chez les Yazidis comme dans tout le Moyen-Orient, le viol déshonore la femme et sa famille. Les victimes de violences sexuelles peuvent être bannies de leur communauté. Par désespoir, certaines Yazidies se sont suicidées.

Pour leur venir en aide, le psychothérapeute s'est également tourné vers leur chef spirituel, Baba Cheikh, l'appelant avec succès à faire un geste. C'était important pour moi en tant que thérapeute" qu'il embrasse ces femmes sur le front avant qu'elles ne partent pour l'Allemagne et qu'il déclare publiquement qu'elles demeurent, malgré les viols, des Yazidies.
"C'est seulement quand on est sûr de son identité qu'on peut entamer une thérapie", souligne l'expert dans son bureau de la clinique de Donaueschingen où s'alignent des amulettes pour protéger du mauvais sort et un tapis kilim, témoins de ses origines kurdes.

Nadia Murad a été l'une des premières à prendre la parole. Brisée par les violences endurées, "elle pleurait énormément et s'effondrait à même le sol", raconte M. Kizilhan qui l'a rencontrée pour la première fois dans un camp de réfugiés en Irak. "Mais elle me disait : je veux parler" de ce qui nous est arrivé.

Après trois ans de soins, Lewiza parvient elle aussi à mettre des mots sur son indicible douleur même si son regard qu'encadrent de fines lunettes se perd dans le vide au fil de son incroyable récit. Les jihadistes de l'EI "ont fait tellement de mal autour d'eux, je ne sais même pas si une procédure judiciaire pourrait réparer cela", lâche-t-elle.

Dans son bureau où a aussi trouvé refuge un paon en porcelaine verte, l'un des symboles religieux les plus importants des Yazidis, Jan Ilhan Kizilhan assure que bien que meurtrie à jamais, la minorité yazidie vit aujourd'hui un "changement de paradigme". Dans "cette société patriarcale ( ...) ce sont des femmes comme Nadia qui se sont levées", analyse-t-il. "Ce sont elles qui mènent désormais cette société".



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