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Liban - Témoignages

« A Paris, c’était comme un mauvais remake de la guerre »

Les Libanais vivant à Paris racontent les scènes de violence dont ils ont été témoins.

Des scènes de violence à Paris, samedi, lors d’une manifestation des gilets jaunes contre la taxe sur les carburants. Abdulmonam Eassa/AFP

Les violences qui ont accompagné les manifestations des gilets jaunes contre la taxe sur le carburant, samedi, n’ont laissé personne indifférent dans la capitale française, et certainement pas des Libanais qui y résident depuis plusieurs années, et pour qui les scènes d’agitation ont une réminiscence toute particulière.

Yasmina, mère de deux filles de huit et de deux ans, habite avenue Kléber avec sa famille. « C’étaient de vraies scènes de guérilla urbaine, raconte-t-elle. Ma fille aînée rentrait chez nous avec son père quand un moteur de voiture a explosé dans la rue. La plus jeune tentait de se réfugier dans les coins les plus reculés de la maison. Les commerces de mon quartier ont été presque tous saccagés. Pour moi, c’était comme revivre la guerre, dans un mauvais remake. Mes voisins et moi avons appelé la police mais celle-ci n’est jamais intervenue. »

Cynthia, qui travaille depuis sept ans à Paris, vit également dans le 16e arrondissement, à dix minutes à pied des Champs-Élysées où le gros des violences a eu lieu. « Il n’y a pas eu de dégâts dans ma rue, quelques grilles jetées sur la chaussée et des vitres qu’on a tenté de briser, raconte-t-elle. Pour ma part, en bonne Libanaise qui a vécu la guerre, je n’ai pas modifié mes plans de la journée et je me suis adaptée, changeant juste d’itinéraire. » Elle n’en ressent pas moins de l’inquiétude par rapport à cette foule déchaînée.

Teddy est le seul Libanais interrogé à ne pas être un résident, bien qu’il se rende très souvent à Paris, et qu’il s’y trouvait samedi, avenue Kléber. « Nous ne sommes pas sortis de chez nous tant que les violences ont duré, souligne-t-il. Nous avons vu un déchaînement de voitures renversées, de vitrines brisées à la hache, de commerces éventrés. Les slogans étaient exclusivement dirigés contre (le président français Emmanuel) Macron, et on sentait beaucoup de haine à son encontre. Dans ces circonstances, les casseurs n’ont pas été freinés parce qu’ils ont nécessairement un avantage sur les forces de l’ordre, qui obéissent à des ordres stricts. »

Rudy, qui réside au Trocadéro depuis une dizaine d’années, n’a rien vu de chez lui bien que les manifestants ne soient pas passés loin. « L’ambiance m’a ramené à la guerre israélienne de 2006 au Liban, dit-il. Cela ne m’a pas empêché, une fois le gros des violences passé, de prendre ma voiture pour faire un tour du quartier. Toutefois, ce que j’ai découvert dans les rues était moins dramatique que ce que l’on voit à la télévision, avec le zoom de la caméra. Il y avait, certes, des voitures calcinées, mais en tant que Libanais, j’avais vécu mille fois pire. Toutefois, il y avait quelque chose de surréaliste à vivre cela en plein Paris. »


(Lire aussi : Tournée de Rami Adwan auprès des établissements libanais endommagés samedi à Paris)


« Ils devraient se méfier des casseurs infiltrés »

Face à ces scènes de saccages, les témoins sont partagés. Rudy rationalise le déroulement des événements. Selon lui, le président français avait suscité une énorme attente, mais les taxes s’accumulent. « Aujourd’hui, de facto, il existe une sorte de seuil de pauvreté à Paris autour de 3 000 euros, alors à 1 000 ou 1 500 euros, on calcule au centime près, affirme-t-il. Normal donc que le mouvement de protestation se soit radicalisé. » Malgré les débordements, il ne peut qu’admirer la propension du peuple français à revendiquer ses droits, souhaitant que les Libanais en fassent de même.

Teddy exprime beaucoup d’empathie à l’encontre des gilets jaunes et de leurs revendications, reconnaissant que vivre de salaires pareils à Paris est impensable. « Mais les gilets jaunes devraient se méfier des casseurs qui s’infiltrent dans leurs rangs et qui comptent entre autres des militants d’extrême gauche et d’extrême droite, assure-t-il. Sinon ils se laisseront voler leur mouvement. »

Cynthia, elle, comprend les revendications des gilets jaunes mais considère comme « injustifiés » les saccages qui ont lieu à Paris, notamment de symboles comme l’Arc de triomphe. « Pour moi, c’est de la violence gratuite, dit-elle. Je suis triste de voir Paris dans cet état. J’ai quitté mon pays pour vivre là, et voilà que j’y rencontre l’instabilité. »

De la révolte, c’est ce que Yasmine ressent le plus, même si elle ne prend pas position pour ou contre ce mouvement. « Tout ce que je constate, c’est que les gilets jaunes n’ont pas essayé d’arrêter les casseurs, qui s’en prenaient à tout ce qui leur semblait symbole du capitalisme, raconte-t-elle. J’ai comme l’intuition que ce qui se passe dépasse de loin un simple mouvement social. J’ai vu de l’anarchie plutôt que de la colère. »



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Tabet Ibrahim

10 h 33, le 04 décembre 2018

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Commentaires (1)

  • 2 décembre 1805 : victoire de Napoléon à Austerlitz. Jour de gloire pour la France. 1er décembre 2018 : profanation de l’Arc de triomphe. Jour de honte pour les gilets jaunes. La « chienlit » comme dirait un autre géant de l’histoire de France : Charles de Gaulle

    Tabet Ibrahim

    10 h 33, le 04 décembre 2018

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