Il devient de plus en plus évident que les entraves empêchant la nouvelle équipe ministérielle de voir le jour ne sont pas strictement locales, comme s’emploient à le montrer le Hezbollah et ses alliés. Bien au contraire. La paralysie gouvernementale actuelle ne saurait être dissociée d’un contexte politique régional et international particulièrement complexe. C’est sous cet angle qu’il conviendrait d’interpréter l’entrée en vigueur début novembre d’une nouvelle vague de sanctions renforcées contre l’Iran, qui s’inscrit selon des observateurs politiques dans le cadre de la détermination de l’administration Trump à réduire la présence et l’influence de Téhéran au Moyen-Orient aussi bien au niveau militaire que financier. À cela, ces observateurs ajoutent le timing des nouvelles sanctions, qui interviennent alors que les alliés de la République islamique ont enregistré des pertes significatives en Irak et au Yémen.
Perçu sous cet angle, le blocage actuel serait donc la seule façon pour Téhéran de riposter, d’où le discours particulièrement violent du secrétaire général du Hezbollah Hassan Nasrallah, le 10 novembre. Il en avait profité pour réitérer son soutien indéfectible aux députés sunnites prosyriens qui exigent d’être représentés au sein du prochain gouvernement.
Allant encore plus loin, des sources diplomatiques occidentales citées par l’agence al-Markaziya affirment que les Iraniens négocieraient actuellement un éventuel allègement des sanctions américaines. En contrepartie de quoi, ils devraient amener le « parti de Dieu » à mettre fin à son intervention en Syrie aux côtés du régime Assad, et accepter d’être désarmé.
Interrogé par L’Orient-Le Jour, un observateur politique ajoute à ce tableau une dimension strictement locale. Selon lui, le prochain gouvernement devra naturellement se conformer à la volonté de la communauté internationale de faire face à l’Iran. On s’attend donc à ce qu’il remplisse ses obligations liées à la mise en pratique des nouvelles sanctions. Il devrait même répondre favorablement aux exigences internationales, à savoir le retour à la résolution 1559 (1er septembre 2004) du Conseil de sécurité des Nations unies, prévoyant le retrait des armes illégales, et le respect de la déclaration de Baabda (du 11 juin 2012) portant sur la politique de distanciation du Liban par rapports aux conflits des axes régionaux. Toujours selon l’observateur, le Hezbollah craindrait la genèse d’un tel cabinet, et préfère continuer de bloquer indéfiniment le processus ministériel.
Quoi qu’il en soit, le parti de Hassan Nasrallah continue, du moins pour le moment, à limiter la paralysie gouvernementale à la stricte dimension liée au bras de fer l’opposant au Premier ministre désigné, qui refuse toujours de voir les députés sunnites prosyriens prendre part à son équipe. Une position que Saad Hariri a réitérée hier devant une délégation des familles beyrouthines.
Un proche du Hezbollah contacté par L’OLJ se montre particulièrement soucieux de renvoyer la balle dans le camp de la Maison du Centre. « Le Premier ministre désigné n’est aucunement en droit d’outrepasser les résultats des législatives afin de monopoliser la représentation politique de la communauté sunnite », souligne-t-il, assurant que « le président de la République a accompli son devoir concernant la formation du cabinet. Il revient maintenant à M. Hariri de faire de même ». Une façon pour le parti chiite de garder Michel Aoun, en sa qualité d’allié stratégique de longue date, loin de la querelle avec la Maison du Centre. Même si le locataire de Baabda n’a jamais caché son mécontentement à l’égard du blocage gouvernemental causé par le fameux « nœud sunnite ».
(Lire aussi : Le Futur tranche : Pas d’entretien entre Hariri et les sunnites prosyriens)
Le soutien sunnite à Hariri
En face, plusieurs ténors de la communauté sunnite ont affiché hier leur soutien indéfectible à Saad Hariri, victime d’une campagne de diffamation de la part de certains proches du Hezbollah.
S’exprimant lors de la prière du vendredi, le mufti de la République, le cheikh Abdellatif Deriane, a qualifié de « honteuses » les atteintes « à l’un des symboles du pays, Saad Hariri ». « Les objectifs éminemment politiques de ces campagnes de diffamation sont connus. Il s’agit d’entraver le rôle de M. Hariri sur le plan national. D’autant qu’elles coïncident avec ses efforts pour former le prochain gouvernement conformément à la Constitution et aux textes de loi en vigueur », a ajouté le mufti de la République, dans une allusion évidente aux attaques lancées récemment contre le chef du gouvernement par l’ancien ministre Wi’am Wahhab, proche de l’axe syro-iranien.
À son tour, l’ancien ministre Mohammad Safadi a stigmatisé les atteintes au « poste sunnite le plus important », comme il l’a souligné à l’issue d’un entretien avec l’ambassadeur des Émirats arabes unis, Mohammad Saïd Chamsi. L’occasion pour ce dernier d’inciter les Libanais à mettre sur pied un cabinet dans les plus brefs délais.
De même, l’ex-Premier ministre Nagib Mikati, député de Tripoli, a exprimé son appui à M. Hariri. Devant ses visiteurs à Tripoli, M. Mikati a rappelé que la Constitution stipule qu’il revient au chef de l’État et au Premier ministre de mettre sur pied un cabinet. « Les interférences externes dans ce processus sont intolérables », a ajouté le parlementaire. Et d’expliquer : « Tous les protagonistes ont le droit de plaider pour prendre part au cabinet, surtout quand il s’agit d’un gouvernement d’union nationale. Mais personne n’a le droit d’imposer des conditions au Premier ministre à l’heure la situation socio-économique ne permet pas le luxe de l’entêtement. »
M. Mikati a par ailleurs assuré que le pays ne fait pas face à une crise de système. « Il s’agit de tentatives de contourner la Constitution de l’accord de Taëf, à travers ce qui a été adopté lors du vote de l’accord de Doha », prônant un retour à Taëf. L’ancien Premier ministre faisait allusion au tiers de blocage accordé depuis Doha au président de la République.
Quant au chef du Courant patriotique libre, Gebran Bassil, il poursuit son initiative lancée le 12 novembre dernier en vue de faciliter la tâche de Saad Hariri. Après avoir rencontré le président de la Chambre, Nabih Berry, en début de semaine, il s’est rendu hier à la Maison du Centre pour un entretien avec le Premier ministre. La discussion a tout naturellement porté sur « les idées » que propose le leader du CPL pour accélérer le processus gouvernemental. À en croire la LBCI, la réunion s’est déroulée dans une atmosphère positive, et plusieurs issues de crise seront discutées prochainement.
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“C’est la nuit qu’il est beau de croire à la lumière.” de Edmond Rostand Extrait de Chantecler
FAKHOURI
09 h 31, le 02 décembre 2018