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Culture - L’artiste de la semaine

Chafa Ghaddar, another brick in the wall

Comment concilier les puissances évocatrices du temps avec un travail d’effacement liminal ? Voilà une question qui tourmente l’artiste et à laquelle son œuvre en général – et son exposition « The visit » en particulier – pourrait sinon donner un semblant de réponse, du moins attester d’une recherche méticuleuse.

Chafa Ghaddar. DR

Avant tout, il y a l’espace, la matière, massive et écrasante : « Je pense beaucoup le mur, c’est ce qui est à la base de mes travaux. J’ai commencé avec l’art mural, une pratique qui a la force de quelque chose de monumental : travailler les surfaces, l’espace de projection, l’entre-deux, le mur comme limite et tout ce qu’il peut représenter. » C’est donc dans la forme de la paroi que Chafa Ghaddar trouve « les résidus du temps ». Ayant reconnu là un pendant essentiel de son inspiration, elle a passé ces huit dernières années à travailler sans relâche cette pratique de l’art mural. Et ce jusqu’à aujourd’hui, où elle a peint des formes géométriques de bleus métalliques et océaniques à même les murs de la galerie Tanit. Mais dans sa recherche esthétique, elle ne saurait se cantonner à un seul support : il y a aussi de la peinture sur toile, le travail de tissus, de papier, des fresques participant à une véritable polyphonie de techniques. « J’aime la transition très chimique d’un support à un autre. J’alterne différents moyens d’expression sans problème, tout se répond et participe à mon projet global », affirme l’artiste. Née en 1986 au Sud-Liban, elle s’est fait connaître, entre autres, par ses peintures murales et son travail des surfaces de manière générale, art dans lequel elle tente de faire fusionner peinture décorative et art contemporain.

Titulaire du Prix Boghossian 2014 dans la catégorie peinture, Ghaddar a participé à de nombreuses expositions collectives telles que Exposure 2012 au Beirut Art Center, On Fleeting Grounds à la galerie Janine Rubeiz en janvier 2013, Journeys Through Our Heritage, au Beirut Exhibition Center en 2013, et Nostalgic Imagery à la galerie Janine Rubeiz en september 2014.

Les zones limites

À la galerie Tanit, au milieu de la variété d’objets qu’elle présente (qui peut parfois mettre à mal l’harmonie générale de l’exposition), une œuvre détonne tout particulièrement. Unique travail figuratif, cette fresque intitulée Corps représente un torse nu à demi-visible, presque androgyne. Un fond de chaux et de sable qui donne l’illusion de l’antique, un effacement des traits, l’impression d’une superposition d’époques qui brouille tout repère temporel : a-t-on affaire à du nouveau ou à du très vieux ? Le résultat est déroutant, hypnotique.

Après ses études à l’ALBA, c’est à Florence que Chafa Ghaddar a étudié la fresque, un art qu’elle maîtrise indéniablement : « J’étais particulièrement intéressée par la fresque parce que cet art pousse vraiment à penser le temps, et moi ce que je veux, c’est justement fixer le temps : la mémoire d’un lieu, une émotion liée à un endroit... » Finalement, cette Libanaise installée aujourd’hui à Dubaï se rend compte rétrospectivement que son travail de ces dernières années converge vers l’idée de fixer quelque chose, comme elle le souligne : « Je suis rentrée dans cette technique pour la comprendre avant tout comme phénomène naturel (la réaction chimique, la notion de stabilité des pigments…), mais aussi parce que les fresques sont des objets qui existent depuis le XVe siècle et que l’on voit aujourd’hui en ruine : il y a cette double temporalité qui me passionne. » Il semble que de la rencontre du temps et de l’espace se dégage quelque chose de particulièrement kinesthésique, sensuel, voire érotique dans les travaux de Chafa Ghaddar. Dimension que l’artiste reconnaît a posteriori et qui fait partie des rares choses qui ont pu échapper à cet esprit méticuleux, très perfectionniste dans sa conception et sa technicité. « J’ai entendu beaucoup de gens évoquer des connotations érotiques depuis l’ouverture de l’exposition. Je l’accepte : je trouve que c’est une énergie qui existe dans les gestes, dans le choix de la matière et la représentation corporelle. Je suis aussi femme, j’ai 32 ans, mon corps change », avoue-t-elle.

À ce propos, changement d’univers : un mur est consacré à une série de tableaux regroupés sous le titre de Cheminement. Là, des sortes de fils en pointillés comme autant de réseaux arborescents qui paraissent s’effacer, lente érosion que vient violemment scinder une mystérieuse ligne rouge verticale. « Tout a commencé par un besoin de travailler le papier. J’ai beaucoup pensé à la peau, la peau qui se dilate, pleine de qualité dynamique. Et puis il y a ces interventions verticales qui sont très pénétrantes dans l’écosystème du passé. Chaque trait est comme une incision, c’est vraiment un travail de trois jours pour aboutir à cette profondeur limite. » Un peu comme pour la fresque, on ne sait pas si ces ouvertures (ces blessures?) sont très fraîches ou en train de se cicatriser : on se retrouve à nouveau jeté dans un entre-deux.Au sein de cette recherche du seuil, du bord à double face, l’art de Chafa Ghaddar n’a pas pour intention de bousculer ni de déranger, sa vocation première est d’exister, d’être en perpétuelle expression. « J’ai un côté très malléable », assume-t-elle. Et d’ajouter à propos de la fresque Corps qui trône dans la galerie Tanit : « Ça, par exemple, je ne pourrais jamais le représenter à Dubaï, c’est clair. La représentation physique de la nudité ne passerait pas. Mais je ne me battrai pas pour son exposition : il faut choisir ses batailles. On peut avoir des idées sans rentrer dans une confrontation verbalisée, qui nous ferait prendre le risque d’arrêter de produire. Il faut être aussi conscient de ses limites : si l’on parle et revendique trop, on te met hors du pays. Mon caractère à moi, c’est vraiment de trouver des moyens subtils, intelligents et indirects pour exposer mon travail. « Autrement dit, l’art n’est pas un cheval de bataille pour l’artiste libanaise, il n’est pas un moyen de dissidence et n’est pas non plus là pour déclasser les mœurs. Encore une fois, la question des limites ressurgit : jusqu’où faut-il se battre pour l’art, jusqu’où peut-on aller dans la représentation d’une idée ?

Galerie Tanit

Rue d’Arménie (secteur Mar Mikhaël), jusqu’au 12 janvier 2019.

Tél. : 01/562812.



1er juillet 1986

Naissance dans le Sud-Liban.

2008-2010

Recherche et projet photographique autour de sa maison d’enfance au

Sud et des chantiers de construction à Beyrouth.

2011

Début de sa carrière personnelle en tant que muraliste et initiation à

la peinture décorative (toujours en cours).

Février-mars 2012

Cours de fresque et de techniques de peintures anciennes à Florence, Italie.

Novembre 2012

Participation à Exposure 2012 au BAC : présentation d’un projet de

grande transition dans sa pratique ; exécution de sa première fresque

monumentale in situ.

Octobre 2014

Prix de la Fondation Boghossian pour la peinture.

Octobre-novembre 2015

Résidence d’artiste à la Fondation Boghossian/villa Empain, Bruxelles, et

exécution de son premier travail sur papier.

20 novembre 2018

Première exposition solo à la galerie Tanit, Beyrouth.



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Avant tout, il y a l’espace, la matière, massive et écrasante : « Je pense beaucoup le mur, c’est ce qui est à la base de mes travaux. J’ai commencé avec l’art mural, une pratique qui a la force de quelque chose de monumental : travailler les surfaces, l’espace de projection, l’entre-deux, le mur comme limite et tout ce qu’il peut représenter. » C’est...

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