La discussion inédite autour de l’identité des pères de l’indépendance se poursuit, mais sans atteindre le niveau d’un débat d’idées, depuis que le député du Hezbollah Nawaf Moussaoui a avancé jeudi dernier le nom d’Adham Khanjar, rebelle chiite peu connu du grand public, en le présentant comme « le véritable » héros de la résistance contre le mandat français – sans mention des personnalités politiques historiques, toutes communautés confondues, qui ont combattu le mandat français et dont la mémoire est honorée tous les ans à l’échelle de la patrie. Parmi ces personnalités, le président Béchara el-Khoury et le Premier ministre Riad el-Solh, auteurs du pacte islamo-chrétien de 1943, considéré comme l’acte fondateur de la Ire République. C’est pourtant « sur la seule tombe d’Adham Khanjar qu’il convient de déposer des gerbes de fleurs », avait déclaré Nawaf Moussaoui. L’ancien député des Forces libanaises (FL) Élie Keyrouz a tenu à lui répondre hier en puisant dans la littérature les indices du « glissement communautaire » de ce personnage et son allégeance au royaume arabe de Syrie, l’un et l’autre étant en contradiction avec le combat pour l’indépendance du Grand Liban.
Originaire du Liban-Sud, cet homme avait participé, rappelons-le, à une tentative d’assassinat sur la personne du général Henri Gouraud, haut-commissaire français en Syrie et au Liban, le 23 juin 1921. Il avait auparavant rejoint un groupe de guérilla dirigé par le célèbre rebelle syrien Ahmad Mreywed (et à ce titre, son action ne pouvait être inscrite dans le cadre de la lutte pour l’indépendance du Liban, d’autant plus qu’il a participé à la bataille de Aïn Ebel – village chrétien de Bint Jbeil en 1920 – dans un contexte de conflit franco-britannique autour du tracé des frontières). Adham Khanjar est capturé en cavale dans le sud de la région de Jabal el-Druze, en Syrie, puis jugé et condamné à mort par les Français en 1923. Il avait aussi été jugé pour vol par le tribunal militaire français– ce que Moussaoui a d’ailleurs reconnu, en estimant toutefois que c’était tout à son honneur.
« Il est du droit de Nawaf Moussaoui de considérer Adham Khanjar comme l’un des héros de l’indépendance, c’est son opinion, mais il n’a pas le droit de restreindre cette qualité à une personne en l’interdisant à d’autres », a commencé par dire M. Keyrouz, avant de critiquer les propos du député sur le fond.
« J’aimerais attirer l’attention de Nawaf Moussaoui sur l’existence de lectures différentes, parfois critiques, du parcours d’Adham Khanjar et du rôle de son mouvement armé, des lectures provenant notamment d’historiens et écrivains de Jabal Amel », a poursuivi le communiqué de M. Keyrouz.
« Salam Rassi estime que le massacre de Aïn Ebel est la tragédie communautaire qui marquait la fin de l’action nationale de Adham Khanjar », selon le communiqué, qui cite aussi Mounzer Jaber pour confirmer la participation de ce rebelle à des « attaques contre quelques villages chrétiens ». Des attaques documentées, toujours selon le communiqué, par le père Youssef Faraj et dans l’ouvrage du sociologue Waddah Charara, La oumma inquiète.
Par ailleurs, les revendications de ce rebelle et de son compagnon Sadek Hamzé étaient « claires dès le départ : réclamer l’adhésion du Liban au royaume arabe de Syrie, plutôt que la reconnaissance d’une entité libanaise indépendante (…) », selon Mounzer Jaber tel que cité par le communiqué.
Mais le débat autour du rôle d’Adham Khanjar est-il vraiment un débat d’idées qui mérite un retour aux archives ? Si c’est le cas, comment éviter l’écueil d’une lecture communautariste de l’histoire, qui ferait de cet homme un héros chiite plutôt que libanais ?
Dans les milieux démocrates chiites, on rapporte ce qui, du reste, serait un secret de polichinelle : Adham Khanjar n’a jamais été considéré comme un héros de l’histoire chez les chiites. Même un historien attaché à son chiisme comme Hassan el-Amine ne lui a pas attribué un rôle supérieur à celui de vandale, fait remarquer l’analyste politique Ali el-Amine à L’Orient-Le Jour. L’étiquette de « filou » ou de « pilleur de villages » (faut-il préciser que cela inclut aussi, d’abord, les villages chiites ?) lui est souvent accolée dans les récits populaires.
Le choix de Nawaf Moussaoui de le célébrer en tant que seul véritable héros de l’indépendance serait à lire sous l’angle de la provocation, qui frôle l’arrogance et qui sert à attiser les réflexes communautaires de la communauté chiite, selon une lecture de M. Amine. La dernière fois que ce parlementaire a d’ailleurs ressenti le besoin de mentionner Adham Khanjar, c’était en 2011, en réaction à la publication par le Tribunal spécial pour le Liban de l’acte d’accusation contre quatre membres du Hezbollah pour l’assassinat de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri.
Dans un certain sens, répondre aux propos de Nawaf Moussaoui, en rapportant les exactions que son « héros » a pu commettre à l’égard des chrétiens, risque, au final, de faire le jeu du Hezbollah sur le terrain des instincts identitaires…
commentaires (18)
encore une fois, hezb se laisse aller a taquiner notre gente politique. encore une fois celle-ci ET la populace s'en offusque.
Gaby SIOUFI
11 h 32, le 29 novembre 2018