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Santé - Commentaire

Cancer localisé de la prostate : le « plus » est l’ennemi du « bien »

Le traitement du cancer n’a pas seulement pour objectif de sauver la vie du patient, mais aussi de lui permettre de mieux vivre. Photo Bigstock

Démasquer tôt une tumeur et la traiter rapidement est la règle d’or de la prise en charge des cancers. Cette règle est battue en brèche… du moins en ce qui concerne les cancers localisés de la prostate, découverts en masse aujourd’hui : environ 50 000 cas en France et entre 5 000 à 6 000 cas au Liban par an.

Pourquoi ce changement important dans l’approche médicale des cancers localisés de la prostate ? Pour le comprendre, il faut rappeler quelques faits spécifiques à ce type de cancers. Premièrement, comme leur nom l’indique, ce sont des cancers encore localisés à l’intérieur de la prostate et qui ne sont pas propagés à l’extérieur. Deuxièmement, tous les cancers de la prostate n’ont pas la même agressivité. En effet, une grande partie d’entre eux évolue lentement, la progression sans symptômes pouvant s’étaler sur de nombreuses années, parfois même sur des dizaines d’années, alors que d’autres cas sont plus agressifs et évoluent plus rapidement. Troisièmement, et c’est le point le plus important, ce sont des cancers qui surviennent généralement chez des hommes âgés – dans plus de 50 % des cas, la maladie survient après l’âge de 71 ans – dont l’espérance de vie est de ce fait limitée, notamment lorsqu’ils présentent, en plus, d’autres maladies cardiovasculaires ou dégénératives, comme c’est souvent le cas. Il s’établit alors une course de vitesse entre l’évolution du cancer et l’espérance de vie du malade. Dans un grand nombre de cas, le cancer peu évolutif perd la course. Les malades décèdent alors d’une autre cause, avant même que la maladie n’ait eu le temps de se développer suffisamment ou n’ait posé une quelconque menace sur leur survie. Ces patients meurent ainsi avec leur cancer et non à cause de leur cancer. Manifestement, ils n’auraient tiré aucun bénéfice d’un traitement de leur cancer.


Trop de traitements inutiles

Les traitements habituels à visée curative du cancer localisé de la prostate sont la chirurgie, qui consiste à réséquer entièrement la prostate, ou la radiothérapie. Ces traitements ne sont pas anodins et peuvent provoquer, notamment la chirurgie, des complications graves, comme une perte involontaire des urines (dans 3 à 10 % des cas), des troubles de l’érection (la majorité des cas) et des troubles intestinaux (surtout en cas de radiothérapie).

Dans les années 1980, lorsqu’on a commencé à traiter ces cancers localisés à large échelle, la chirurgie et la radiothérapie étaient proposées systématiquement à tous les malades. On s’est vite rendu compte que les malades qui avaient une espérance de vie limitée, c’est-à-dire moins de dix ans, ne bénéficiaient pas de ces traitements. Le cancer, évoluant lentement, n’avait pas le temps de devenir gênant au cours de cette période relativement courte. Toutefois, les malades traités souffraient inutilement des complications des traitements. On a alors décidé de ne plus proposer un traitement immédiat à ce groupe de patients dont l’espérance de vie est limitée, mais qu’on continue à surveiller de près. Par contre, la chirurgie ou la radiothérapie continuaient à être proposés d’emblée à ceux dont l’espérance de vie dépassait les dix ans. Avec le recul, on a de nouveau constaté que l’on en faisait encore trop, car il fallait traiter plus de trente malades pour être utile à un seul !


Éviter les traitements inutiles

Aussi, pour améliorer le rendement des traitements, il était important de cerner les malades susceptibles d’en bénéficier et d’éviter les traitements inutiles et leurs complications chez les autres. À cet effet, les chercheurs ont proposé de traiter d’emblée par chirurgie ou radiothérapie les cas dont le cancer présente un fort risque d’évolution et de soumettre à une surveillance active les cas qui présentent un faible risque d’évolution, c’est-à-dire la majorité des cas.

Cette surveillance active consiste à effectuer à des intervalles réguliers des tests pour évaluer l’évolution – significative ou pas – de la maladie. Les principaux tests utilisés sont le dosage régulier de la PSA (une substance sécrétée par la prostate dont le taux est mesuré dans le sang, plus il est augmenté, plus il y a un risque de cancer de la prostate), l’imagerie prostatique par résonance magnétique ou IRM (qui permet de délimiter dans la prostate des zones suspectes ou franchement cancéreuses) et les biopsies. Celles-ci consistent à prélever avec une aiguille plusieurs fragments de différents endroits de la prostate qui sont étudiés au microscope à la recherche d’un cancer et l’évaluation de son degré d’anarchie cellulaire exprimé par le score de Gleason. Plus les cellules sont anarchiques, plus le cancer est agressif.

Les malades qui ne manifestent pas, lors du suivi, des signes évolutifs significatifs restent sous surveillance. Par contre, un traitement (chirurgie ou radiothérapie) est proposé uniquement quand on constate une progression inquiétante du cancer risquant de menacer la qualité de vie ou la survie du patient. Cette stratégie doit être clairement expliquée aux patients à qui on expose les avantages et les inconvénients, pour les impliquer dans la décision, d’autant que nombre d’entre eux ont beaucoup de mal à accepter l’idée qu’il est préférable de ne pas être traité.


Hypothèse confirmée par les études cliniques

Cette hypothèse de travail a été testée dans plusieurs grandes études internationales randomisées, dans le cadre desquelles les malades présentant un cancer localisé de faible risque d’évolution sont assignés au hasard soit pour être traités d’emblée par chirurgie ou radiothérapie, soit pour faire l’objet d’une surveillance active et être traités secondairement, si nécessaire. La période d’observation variait entre dix et vingt-trois ans.

Ces études ont montré que dans le groupe de surveillance active, près de 30 % des patients ont vu leur maladie progresser dangereusement et ont été traités secondairement par chirurgie ou radiothérapie, tandis que le reste du groupe, près de 70 %, restait sans traitement sous surveillance. Les résultats ont montré que cette approche n’a pas porté atteinte aux chances de survie du groupe sous surveillance active comparé à celui traité d’emblée, puisque in fine, le même taux de mortalité a été observé dans les deux groupes.

Le vrai bénéfice pour le groupe placé sous surveillance active a été le fait d’éviter à 70 % des malades les complications du traitement, sans pour autant leur faire perdre de leur espérance de vie. Ce qui leur a permis de mener une vie normale avec une meilleure qualité par rapport aux groupes traités d’emblée.

Une étude menée au Royaume-uni et publiée en 2016 dans la revue scientifique New England Journal of Medicine illustre ces résultats. Elle a été menée sur une période de dix ans, entre 1999 et 2009, au cours desquels 82 429 hommes âgés entre 50 et 69 ans ont effectué le test PSA. Parmi eux, 2 664 ont été diagnostiqués avec un cancer localisé de la prostate dont 1 643 ont accepté de participer à l’étude qui les a répartis de manière randomisée en trois groupes. Le premier a été soumis à une surveillance active qui comprend des biopsies et des tests de PSA réguliers. Le deuxième groupe a bénéficié d’une chirurgie et le troisième a suivi un traitement de radiothérapie. Dix ans plus tard, on a constaté que le risque de décès est identique dans les trois groupes. Par contre, la qualité de vie du groupe placé sous surveillance active a été nettement supérieure à celle observée chez les patients des deux autres groupes.

En conclusion, il faut rappeler que le traitement du cancer n’a pas seulement pour objectif de sauver la vie du patient, mais aussi de lui permettre de mieux vivre, ce qui est capital pour certains. En évitant un traitement inutile chez une grande partie des patients avec un cancer localisé de la prostate (peu évolutifs), on leur permet de vivre mieux sans toutefois diminuer leur chance de survie.

Cette attitude est non seulement favorable aux malades. Elle permet aussi de diminuer la facture de la santé (estimée dans ce cas à 600 millions de dollars par an aux États-Unis) et de réinvestir dans d’autres domaines de la santé de première nécessité qui manquent affreusement de moyens.

* Saad Khoury est professeur d’urologie à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris.


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