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Liban - Communautés

La Fondation maronite dans le monde à Rome : deux temps forts et des vérités glaçantes

À l’Église maronite en visite ad limina, le pape recommande « témoignage, pauvreté, courage et espérance ».

Charles Hage, président de la Fondation maronite dans le monde, offrant au pape un exemplaire rarissime de la seconde édition de la Bible imprimée par la première imprimerie du Levant, au couvent de Saint-Antoine de Kozhaya, au début du XVIIe siècle. Photo patriarcat de Bkerké

C’est un véritable temps fort qu’une délégation de la Fondation maronite dans le monde a pu vivre hier au Vatican, en marge de la visite ad limina qu’y effectue l’Église maronite. Reçus par le cardinal Paul Gallagher, président du secrétariat pour les Relations avec les États, les députés membres de la délégation ont pu mesurer, une fois de plus, la complexité de la situation régionale, et son impact dévastateur sur le Liban.

« Vous n’êtes pas venus ici pour écouter des contes pour enfants », a lancé le cardinal à la délégation parlementaire multiconfessionnelle qu’il accueillait, en marge de la visite de communion avec le siège de Pierre qu’y effectuait l’Église maronite. Une visite dont la particularité est d’inclure tous les évêques, de comprendre un entretien exhaustif avec le pape et des visites à tous les chefs de dicastère du Saint-Siège. En guise de « conte de fées », ce sont des vérités glaçantes que les députés, pensant solliciter une action diplomatique plus énergique du Saint-Siège, en vue d’un règlement du problème des déplacés syriens au Liban, ont entendues.

Selon les échos de la visite recueillis auprès des intéressés, le « ministre des Affaires étrangères du Vatican », citant un officiel du département d’État américain qu’il avait rencontré récemment, a affirmé que ce règlement est improbable dans un prochain avenir. « Il n’y a aucun signe » venant de la communauté internationale annonciateur d’un « retour imminent » de ces déplacés, aurait affirmé le responsable du Vatican. Bien plus, toujours selon les mêmes sources, le président syrien Bachar el-Assad « ne veut pas » des réfugiés, et s’accommode parfaitement de leur présence au Liban, « n’ayant pas les moyens de les nourrir ». Il a même estimé que le chef de l’État syrien « est là pour rester ».


Une guerre par procuration

Ce qui se passe en ce moment en Syrie est « une guerre par procuration entre les grandes puissances » dont l’issue est encore lointaine, a dit en substance le cardinal Gallagher, citant à l’appui de ses affirmations la démission récente de Staffan de Mistura et le surplace des négociations d’Astana et de Sotchi. Et le dignitaire du Vatican d’insister sur le rôle « éminent » que joue l’Iran dans la région, suscitant les réserves verbales du député Ali Bazzi. « Je n’ai dit ni rôle positif ni rôle négatif, j’ai dit éminent », devait rectifier Mgr Gallagher, selon les témoins. Le secrétaire aux Relations avec les États s’est déclaré « aussi choqué » par ces vérités que ses hôtes, tout en ajoutant qu’il leur faut perdre leurs illusions et « vivre dans le monde réel ».

Venus à Rome à l’invitation de la Fondation maronite dans le monde, la délégation parlementaire comprenait, outre Charles Hage, Rose Choueiri et Hyam Boustany, respectivement président, vice-présidente et directrice de la Fondation, les députés Yassine Jaber, Neemat Frem, Nadim Gemayel, Tony Frangié, Ali Bazzi, Roula Tabch, Chawki Daccache, Alain Aoun, Nicolas Nahas, Jean Talouzian, ainsi que Ahmad Hariri, secrétaire général du courant du Futur, Alain Hakim, ancien ministre, et Michel Hage (FAO). À l’issue d’un tour de table relativement bref, les députés avaient mis en évidence le poids devenu « insupportable à tous les points de vue » des déplacés syriens, indépendamment de la dimension humanitaire de leur présence.

Il y a désormais plus de naissance d’enfants syriens que d’enfants libanais, ont-ils fait valoir, citant à ce sujet le chiffre de 70 000 naissances par an, sans compter 200 000 autres non enregistrées auprès des agences internationales ou des autorités libanaises, depuis que le grand afflux a commencé en 2013. Selon les députés, « la population de déplacés syriens a atteint une masse critique » qui influe sur la situation générale du Liban, et « le plus de temps ils restent, le plus il sera difficile de les rapatrier ».

Le rapatriement des déplacés syriens « n’est pas un problème spécifique aux chrétiens, c’est un problème national », a insisté à son tour Ahmad Hariri. « La plus grande masse se situe dans les régions et villes à prédominance sunnite. Considérez que nous n’avons pas d’autres pays que le Liban où vivre, et que la situation devient de plus en plus insupportable », a-t-il dit.

À l’exemple d’autres intervenants, M. Hariri avait souligné que la présence des déplacés influe sur la situation économique et, par ricochet, sur le chômage et l’hémorragie humaine des jeunes diplômés à la recherche d’un emploi.


(Pour mémoire : Passation des pouvoirs à la Fondation maronite dans le monde, devenue institution patriarcale modèle)


François et la « multiplication des Libanais »

Un premier temps fort de la présence à Rome de la délégation de la Fondation maronite avait été, mardi, l’audience que leur avait accordée le pape François dans la salle Clémentine du palais pontifical. Le Saint-Père avait en particulier remercié la communauté libanaise pour sa capacité à « maintenir l’équilibre entre chrétiens et musulmans », et pour l’accueil généreux de plus d’un million de réfugiés de tout le Moyen-Orient. Dans un discours improvisé, après un salut du patriarche maronite Béchara Raï soulignant l’importance du pluralisme au Liban, le pape s’était adressé à la cinquantaine de membres de la Fondation, gonflée par la présence de nombreux séminaristes et étudiants en théologie, venus profiter de l’occasion, en affirmant avec humour que la présence d’une délégation de laïcs accompagnant la visite ad limina des évêques maronites était « une bonne idée », car elle permettait de savoir « ce que pensent les laïcs de leurs évêques et de partager des choses plus concrètes de la vie de la communauté ».

« On m’avait dit qu’il y aurait une quarantaine de personnes à saluer, mais j’ai assisté à la multiplication des Libanais ! » a lancé le pape avec humour, faisant référence au miracle de la multiplication des pains.

Un « équilibre créatif »

Le pape a ensuite remercié la communauté pour tout ce qu’elle fait au Liban afin de « maintenir l’équilibre, cet équilibre créatif, fort comme les cèdres, entre chrétiens et musulmans, sunnites et chiites, un équilibre de patriotes, entre frères ». « Merci pour votre générosité, votre cœur accueillant avec les réfugiés. Vous en avez plus d’un million. Merci beaucoup ! Que le Seigneur vous bénisse tous : vous, vos familles, votre patrie, vos enfants, vos réfugiés », avait enfin exhorté le pape, qui avait rejoint la délégation de la Fondation maronite après avoir été longuement à l’écoute, dans une autre salle du palais pontifical, des 35 évêques maronites venus du Liban et des pays de la diaspora.

À ses hôtes, et selon l’un des évêques présents, le pape avait résumé ses recommandations en cinq mots-clés : « Témoignage, pauvreté, courage et espérance. » Au regard de l’avis de tempête que constituent les vérités assénées par Mgr Gallagher, ces vertus, que l’Église est invitée à réanimer en son sein, ne seront pas de trop pour lui permettre de faire face aux difficultés, et de continuer d’être « le sel de la terre » libanaise.

La visite à Rome de la délégation de la Fondation maronite a par ailleurs été marquée par un dîner de gala offert par la Fondation en l’honneur du patriarche Raï, en présence des cardinaux Pietro Parolin et Leonardo Sandri, respectivement secrétaire d’État du Vatican et président de la congrégation pour les Églises orientales, avec, comme invitée d’honneur, May Chidiac, accueillie en future « ministre de la Culture ».



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C’est un véritable temps fort qu’une délégation de la Fondation maronite dans le monde a pu vivre hier au Vatican, en marge de la visite ad limina qu’y effectue l’Église maronite. Reçus par le cardinal Paul Gallagher, président du secrétariat pour les Relations avec les États, les députés membres de la délégation ont pu mesurer, une fois de plus, la complexité de la situation...

commentaires (4)

La vérité, aussi brutale soit-elle dans sa limpide transparence, n'est point glaçante. Les propos tenus sont de nature, non à faire paniquer, mais à réveiller les esprits afin qu'ils prennent la juste mesure des réalités du monde. Le Liban de 2018 n'est pas le Liban de 1918. Le Levant se trouve face à des bouleversements profonds qui sont en train de modifier son visage. Les libanais chrétiens sont-ils en mesure de dépasser leurs clanismes afin de faire face aux défis qui les guettent?

COURBAN Antoine

13 h 50, le 22 novembre 2018

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Commentaires (4)

  • La vérité, aussi brutale soit-elle dans sa limpide transparence, n'est point glaçante. Les propos tenus sont de nature, non à faire paniquer, mais à réveiller les esprits afin qu'ils prennent la juste mesure des réalités du monde. Le Liban de 2018 n'est pas le Liban de 1918. Le Levant se trouve face à des bouleversements profonds qui sont en train de modifier son visage. Les libanais chrétiens sont-ils en mesure de dépasser leurs clanismes afin de faire face aux défis qui les guettent?

    COURBAN Antoine

    13 h 50, le 22 novembre 2018

  • Le pape a ensuite remercié la communauté pour tout ce qu’elle fait au Liban afin de « maintenir l’équilibre, cet équilibre créatif, fort comme les cèdres, entre chrétiens et musulmans, sunnites et chiites, un équilibre de patriotes, entre frères » Comment expliquer que le libanais est ce qui est decrit ci-haut, en meme temps que ce qui est honteux si on le decrivait sous son autre face ?

    Gaby SIOUFI

    13 h 43, le 22 novembre 2018

  • Ce genre de réunion est cruciale car elle nous permet de comprendre réellement les problèmes dévastateurs engendrés par les réfugiés syriens dont le retour, en Syrie , n’est certainement pas désiré par le pouvoir syrien en place.

    L’azuréen

    09 h 34, le 22 novembre 2018

  • C'est une réjouissante visite du "monde maronite" au saint siège. Il est vrai que le pape François est très proche des chrétiens de l'orient en général et cette visite vient compléter cette approche et enrichir d'avantage cette relation privilégié. Concernant la phrase "des vérités glaçantes" ... c'est peut être un peu fort même si je comprends le fond. En effet tout ce que le cardinal Callagher dit (ou le Pape), à propos de la situation du Liban ou la Syrie on le savait, on s'en doutait, vu la situation politique actuelle. A nous libanais (de toutes confessions) d'être vigilants pour préserver notre indépendance et libertés dans le respect de la dignité humaine et l'intérêt de tous. En 2016 voici ce qu'il disait le pape François lors d'un entretien retranscrit dans un livre intitulé "le nom de Dieu est Miséricorde : "La miséricorde sera toujours plus grande que tous les péchés, nul ne pourra mettre une limite à l'amour de Dieu qui pardonne. Si seulement nous le considérons, si seulement nous levons notre regard, recroquevillé sur notre moi, et sur nos blessures, et si nous laissons au moins un rai de lumière à l'action de sa grâce." Peut-on s'attendre à d'autres messages que le pardon et le miracle de l'amour venant d'un pape ? Pour moi c'est une très belle image, cette visite enthousiaste et fraternelle au saint des saints BRAVO

    Sarkis Serge Tateossian

    01 h 49, le 22 novembre 2018

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