Nous, Libanais, sommes de très sympathiques brigands, fondateurs mythiques de l’alphabet et du pourpre, de redoutables commerçants, que les dieux, épuisés par notre bêtise et notre capacité à détruire tout ce que nos ancêtres ont construit, ont décidé un beau jour de punir, de transformer en malheureux, en ridicules Sisyphe. En nous armant, plus ou moins généreusement, de résilience, puis de résignation, mais surtout, de patience. Et de cette patience, nous en aurons grandement besoin dans les jours et les mois à venir.
Dans ces mêmes colonnes, la semaine dernière, l’on se demandait qui, au Liban, pouvait faire contrepoids à Hassan Nasrallah et son affolant aventurisme politique et économique. La réponse, malgré le passif très lourd de l’ancien président-et-six-ministres, était sans ambages. Seul le chef de l’État, qui a récemment fêté les deux ans de son accession au trône délabré de Baabda sur un échec retentissant : l’absence de gouvernement, pourrait dire stop aux caprices criminels du Hezbollah et à son obéissance aveugle aux diktats de Téhéran.
Peine perdue. Michel Aoun, qui avait pourtant montré à l’occasion de cet anniversaire une belle pugnacité en prenant fait et cause pour un Saad Hariri fort, en refusant donc qu’un sunnite pro-8 Mars soit greffé sur la prochaine équipe exécutive, vient de se faire gifler, et de la belle manière, par Hassan Nasrallah. Son associé au sein de ce qui n’est finalement que l’une des plus belles supercheries politiques de ces vingt dernières années au Liban : l’accord de Mar Mikhaël. Cette gifle a été assénée non seulement à la personne de Michel Aoun, mais aussi et surtout au président de la République. Tout un symbole, dont les conséquences risquent d’être particulièrement graves à plus d’un niveau. Parce que l’humiliation par M. Nasrallah de M. Aoun, qualifié, avec le CPL, d’« allié stratégique », est sans nuances : « Nous refusons que qui que ce soit exprime son refus de voir » un ministre issu des sunnites pro-8 Mars entrer au gouvernement, a claironné le patron du Hezb, se posant par la même occasion en protecteur-sauveur de ces sunnites, gentiment relégués, ainsi, au rang de dhimmis. Tout un symbole, encore une fois…
Le président Aoun appréciera. Surtout qu’avant le discours de samedi de M. Nasrallah, il avait démenti à plusieurs reprises, sans que personne ne sache, naturellement, à quel point il en était convaincu, les accusations du Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, sur la présence de missiles du Hezbollah aux alentours de l’aéroport international de Beyrouth. Et voilà ces Sisyphe que nous, pauvres Libanais, sommes, qui commencent à rêver de ce jour où l’homme qui a dit non à l’occupation syrienne du Liban, dans des conditions certes éminemment discutables, aura la lumineuse idée de convoquer une réunion du dialogue national axée principalement sur les armes illégales, miliciennes et mercenaires, du Hezbollah. Quelle que soit la réaction du Hezb.
Mais patience est effectivement mère de toutes les vertus. Ce n’est pas demain que M. Aoun lancera cet appel audacieux, courageux et indispensable à l’intérêt supérieur de la nation et du cha3b loubnan el-3azim : le président de la République a du ménage à faire. Outre l’arbitrage semble-t-il quasi quotidien désormais entre sa fille Mireille Hachem et son gendre Gebran Bassil, il devra gérer le nouvel oracle, proféré par ce dernier vendredi dans la soirée devant les pharmaciens du CPL. « Personne ne peut accaparer la représentation d’une communauté », avait dit le très éclairé ministre sortant des Affaires étrangères. On aura beau prétexter cent et une distributions de rôle éventuelles entre le beau-père et le gendre, le camouflet du second au premier est d’anthologie. Tout le monde est d’accord sur la nécessité, à un moment bien précis, de tuer, symboliquement, le (beau-)père, mais tout de même…
Et pendant que nous, Libanais, comptons les points entre MM. Aoun et Nasrallah, en nous demandant jusqu’où le secrétaire général du Hezb va aller dans son entreprise de sape systémique, et qui est le véritable locataire du palais de Baabda (Michel Aoun ? Gebran Bassil ? Mireille Aoun Hachem? Cette troïka 2.0 ?), et en continuant à pousser indéfiniment, vainement et (de moins en moins) patiemment notre rocher, vient se poser à nous cette équation flamboyante et irréversible, proposée pour la première fois, bien avant ce sacré Camus, par un philosophe japonais constamment à la recherche, lui aussi, du père, Shūzõ Kuki : il faut imaginer Sisyphe heureux.
À la bonne heure…
commentaires (9)
Comme toujours pile poils dans le mille... "Bull's eye!!!" comme que dirait Trump! Vous faites cependant erreur sur une chose seulement... Le score est bien plus que 2 - 0... Hassan Nasrallah est déjà a plus de 10 et Michel Aoun semble avoir même contracté des pénalités, il est a moins... Dieu seul sait combien. Le plus triste est que Melhem Riachi avait bien souligné a son homologue du CPL lors du dernier débat sur la MTV: "Ne nous laisser pas arriver a vous demandez, ou est ton frères Caïn!" Michel Aoun a conduit le pays vers l'abysse politique mais aussi économique qui conduisent inévitablement vers ... la guerre! Ni les Druzes n'accepteront le statut que le Hezbollah cherche a leur imposer, ni les Sunnites et surement pas les Chrétiens souverainistes. La réaction ne se fera pas attendre ... Elle sera grave!
Pierre Hadjigeorgiou
08 h 56, le 13 novembre 2018