La chambre criminelle du Liban Nord a innocenté mercredi pour absence de preuves le mari de Roula Yacoub, qui avait été tuée le 7 juillet 2013 sous les coups violents de l’époux. La mort de Roula Yacoub, mère de cinq filles, avait accéléré l'adoption au Parlement de la loi sur la violence domestique.
Brièvement arrêté puis libéré, peu après la mort de son épouse, Karam el-Bazi, avait fait l'objet d'un mandat d'arrêt le 13 mai 2016 qui n'a jamais été exécuté.
Réunie mardi, la chambre criminelle du Liban Nord a innocenté le mari violent, estimant que les preuves avancées n’étaient pas probantes. C’est à une majorité de deux voix contre une que le jugement a été rendu, les deux juges conseillers, Khaled Akari et Ziyad Dawalabi, ayant innocenté Karam el-Bazi, contre l’avis du président de la Cour, le juge Dani Chebli.
Contactée par L’Orient-Le Jour, l’association Kafa qui milite contre la violence domestique a dénoncé mercredi « un verdict injuste et non équitable » envers la victime. Après des années de mobilisation en faveur des femmes battues notamment, elle a relevé « des aberrations dans le jugement rendu », et promis « de se pourvoir en cassation ». Elle a invité enfin à prendre en considération l’avis du président de la chambre criminelle, le juge Chebli.
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Absence de preuves
Rayan Majed, responsable de la communication de Kafa, a expliqué à l’OLJ les arguments des juges. « Les deux juges conseillers ont considéré que le mari est innocent pour absence de preuves. Ils n’ont pas pris en compte les témoignages du voisinage, estimant que ces témoignages n’avaient pas qualité de preuves », note-t-elle. Celui de la proche voisine qui s’est précipitée en début de soirée au chevet des fillettes, à l’issue du drame. L’aînée, née en 2001, lui avait raconté que son père avait battu sa mère au moyen d’une raclette à sol, avant de se retourner contre elle. La fillette avait supplié la voisine de ne rien dire, son père l’ayant menacée de mort si elle le répétait à quelqu’un. « Si tu le racontes à quelqu’un, je te tue », lui avait-il dit. Mais aussi le témoignage d’un voisin qui « avait entendu des cris, dans la maison de la victime, peu avant son décès, et qui raconte avoir compris qu’il s’agissait d’une dispute entre Karam el-Bazi et son épouse, sous forme d’interrogatoire que faisait subir l’époux à sa femme . Il a bien tenté de calmer les choses en sonnant à la porte, mais le mari violent lui a répondu que tout allait bien, avant de poursuivre son agression contre son épouse, rappelle Mme Majed.
Les deux juges ont de plus estimé que les traces de coups observées sur le corps de Roula Yacoub ne sont pas les causes du décès. Ils n’ont donc pas pris en considération la violence conjugale. Et ce, parce que la fille de la victime est revenue sur ses propos, et affirmé que son père n’avait pas frappé sa mère. « Les juges n’ont donc pas retenu les témoignages des deux voisins, pourtant adultes et responsables », déplore Mme Majed. La représentante de Kafa tient à préciser sur ce plan que « la jeune fille, adolescente au moment du drame, était placée sous la tutelle de son père. Et qu’elle a été entendue par les juges en présence de sa tante paternelle. Ce qui justifie sa peur et la modification de sa déposition ».
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Un crime à caractère spécifique, soutient le juge Chebli
Quant aux arguments du président de la chambre criminelle du Liban-nord, le juge Dani Chebli, ils reposent sur « des faits et des preuves irréfutables que Karam el-Bazi a bien provoqué le décès de sa femme ». Et que son acte relève du « crime à caractère spécifique, tel que décrit par l’article 550 du code pénal », indique la représentante de Kafa.. « Le meurtrier a donc commis un acte délibéré qui a entraîné la mort de sa victime, souligne Mme Majed. Et qui plus est, les actes de violence étaient visibles, puisque le corps de la malheureuse était couvert d’ecchymoses ».
Enfin, le juge Chebli a tenu à prendre en considération les témoignages du voisinage, qui, reprenant les propos premiers des adolescentes du couple avant qu’elles ne se rétractent, ont raconté les détails du drame du 7 juillet 2013. Ces dernières avaient aussi reconnu que Karam-el Bazi était « régulièrement violent envers son épouse, plus particulièrement lorsqu’il était énervé. Il lui arrivait alors de briser des objets au domicile familial ».
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commentaires (13)
Pourquoi n'est-elle pas partie avant le coup fatal? La question revient souvent, dans les articles de presse sur les homicides conjugaux. On y sous-entend que la victime aurait dû porter plainte dès le premier coup ou la première insulte, qu'elle n'aurait pas dû rester sans dénoncer son conjoint, qu'elle serait coupable de ne pas avoir réagi à temps. Pourquoi ne font-elles tout simplement pas leurs valises?Une culpabilisation !Toutes les femmes vivent des histoires différentes, mais les mécanismes sont exactement les mêmes. Des femmes qui sont peu à peu isolées de leur sphère professionnelle, amicale, sociale, et deviennent totalement dépendantes de leur conjoint
Fredy Hakim
17 h 27, le 01 novembre 2018