Rechercher
Rechercher

Culture - Rencontre

Salah Stétié, son âme, ses souvenirs, Fouad Chéhab, Malraux, et le chocolat Mecco...

C’est dans une maison médicalisée, au cœur du département boisé des Yvelines, que l’écrivain, poète et ancien diplomate réside actuellement. En dépit de quelques problèmes de santé, le poète nonagénaire partage ses souvenirs et ses projets, avec enthousiasme et précision.

Salah Stétié lors d’un entretien avec « L’Orient-Le Jour » à Beyrouth en 2017. Photo Michel Sayegh

Dans son costume bleu marine élégant, Salah Stétié est friand d’échanges et de dialogue. Il accueille ses visiteurs avec chaleur et affection. Sa sœur et sa nièce lui ont apporté un dessert, mais il est déjà en train d’évoquer ses parents, nés « à l’époque où le pays n’était qu’une province gouvernée par le pacha ottoman de Damas ». Mahmoud et Raïfé Stétié sont des lettrés, férus de poésie arabe classique et de rhétorique ; mais pour leur fils, né en 1929 sous le mandat français, ils font le choix de l’enseignement français, au Collège protestant de Beyrouth, puis chez les jésuites. Sa grande sœur, Amal, évoque avec humour ce petit frère qui proposait de jouer au « duc », ce que les autres enfants interprétaient comme « coq ».

Les souvenirs des étés à Barouk sont très prégnants, et témoignent de la mémoire intacte et cristalline de l’auteur, qui évoque les poètes qui se retrouvaient chez ses parents pour improviser ou réciter leurs vers : Boulos Salameh ou Rachid Nakhlé entre autres… Les longs séjours dans la montagne du Chouf nourrissent l’imaginaire de l’écrivain, et inspireront plus tard différents recueils poétiques : L’eau froide gardée, « une condensation verbale de mes vacances », ou encore Mystère et mélancolie de la poupée.

L’ancien diplomate évoque ensuite avec facétie un élément qui l’a beaucoup marqué pendant la Seconde Guerre mondiale : la pénurie de sucre, mais surtout de chocolat Mecco. « Et puis, à l’occasion de l’entrée victorieuse des alliés à Beyrouth, j’ai goûté mon premier chewing-gum. »

Écouter l’auteur des Porteurs de feu revient à parcourir le grand livre du temps, qu’il ressuscite avec grâce, les yeux brillants, comme ses années d’étudiant à l’École supérieure des lettres de Beyrouth, qui est pour lui un âge d’or de la littérature française au Liban. « J’y ai rencontré une des personnes les plus importantes pour moi, Gabriel Bounoure, critique à la NRF (Nouvelle Revue française), écrivain, et surtout directeur de l’École des lettres de Beyrouth. Le Français est entré au Liban en 1920 de son fait, il a eu beaucoup d’impact sur ses élèves, chrétiens ou musulmans. Les chrétiens étaient acquis au français, mais certains musulmans étaient plus réticents, il a su leur faire adopter la langue française. Aujourd’hui, le français a un usage essentiellement informatif au Liban, mais certains auteurs ont su le rendre vivant : Georges Schéhadé, Fouad Gabriel Naffah, Vénus Khoury-Ghata et Amin Maalouf. Alexandre Najjar se situe dans cette lignée. »


(Pour mémoire : La riche collection du poète libanais Salah Stétié entre au Musée Paul Valéry)


« Salah, raconte que tu es allé à Paris dans les années 50, ça a mis plus d’un mois, en bateau jusqu’en Italie, puis en avion », suggère sa sœur. En 1951, le poète poursuit ses études à la Sorbonne, il passe cinq ans à Paris, où il fréquente les milieux mythiques de Saint-Germain-des-Prés et toute l’avant-garde littéraire qui se réunit au Café de Flore. « J’ai eu la chance rencontrer Sartre, Camus, Pierre Jean Jouve ; j’étais très ami avec Cioran et Yves Bonnefoy, qui était la vedette du Mercure de France. J’ai aussi participé à la création des Lettres nouvelles avec Maurice Saillet. »

Puis Salah Stétié rentre au Liban et dirige L’Orient littéraire, créé en 1929 par Georges Schéhadé. « J’étais à l’affût d’artistes nouveaux, je voulais encourager le destin spirituel du Liban. J’y ai fait de belles rencontres, Fouad Gabriel Naffah par exemple, qui était brillant et qui a disparu pendant la guerre civile, le peintre Paul Guiragossian et beaucoup d’autres. »

En 1961, on lui propose d’être conseiller culturel à Paris, c’est le début d’une longue carrière diplomatique aux Pays-Bas, au Maroc, en Irak, au Sénégal… « Ce qui m’a le plus marqué à cette époque, ce sont mes relations avec de grands hommes de culture, Malraux notamment. » Sa nièce Sawsan lui enjoint de raconter ses entrevues avec le général de Gaulle. « Mais c’est d’un autre général que j’ai envie de parler, un général libanais ; parmi les personnalités politiques, c’est le plus admiré, le général Fouad Chéhab. Il avait une planification, une vraie vision pour le Liban. Beaucoup d’institutions ont été créées et ont existé de son fait. »

En pleine guerre civile, Salah Stétié est rappelé au Liban pour être secrétaire général du ministère des Affaires étrangères. « Nous avons finalement réussi à faire cesser les combats, je suis heureux d’y avoir participé. » En 1992, il s’installe définitivement en France et se consacre entièrement à l’écriture.


(Pour mémoire : Salah Stétié : « Un écrivain qui n’extériorise pas ses secrets est un écrivain inaccompli... »)


Poésie essentielle
« J’ai publié de la prose, des essais, sur Mallarmé, sur Rimbaud, j’ai collaboré à des albums d’art, j’ai fait des traductions, des entretiens, mais l’essentiel de mon œuvre est poétique. » Son écriture poétique, traversée par un souffle épique et mystique, est assez tardive. « J’ai commencé vers 40 ans, et je suis allé très vite et très loin. Pour moi, la poésie est ce qui prend en compte tout le destin de l’homme et qui le présente dans une apothéose aux autorités supérieures de l’esprit. » Dans la foulée, il souhaite s’adresser à la jeunesse libanaise, avec la fougue qui le caractérise : « Ne perdez pas une minute pour rester en contact avec la création innovante et vivante. »

Certains sujets de l’actualité l’attristent, comme le conflit israélo-palestinien et « les enfants compliqués d’Abraham ». Pour lui, pas d’issue possible actuellement. « L’Occident a renoncé à s’impliquer dans la région, tout est bloqué, les Palestiniens ont perdu. » Il refuse catégoriquement d’évoquer le djihadisme : « J’ai déjà écrit un texte paru dans L’Orient-Le Jour et dans Le Figaro intitulé ‘‘J’ai honte’’, et bien j’ai honte, voilà ! »

Si le poète revendique sa position d’agnostique, la religion, notamment l’islam, est présente dans son œuvre, avec un essai sur l’islam et une biographie de Mahomet, qui a suscité des remous à Beyrouth en l’an 2000. L’ouvrage reproduisait une peinture du XIIIe siècle où figurait le Prophète. L’auteur a été sommé par le mufti de la République de retirer cette illustration, ce qui l’a beaucoup peiné.

Dans ses textes, la quête mystique et la transcendance par l’art sont fondamentales : « La réalisation spirituelle passe par l’art. Pour moi, la réalisation dans le temps passe par l’aspiration mystique et non par l’éternité. Je me sens proche des mystiques comme les prophètes, les soufis, saint François d’Assise, sainte Thérèse d’Avila, Hallaj… »

S’il n’écrit plus depuis quelque temps, Salah Stétié a des projets. « J’ai prévu de me rendre au festival de Sète, où je lirai mes poèmes, extraits du recueil L’oiseau de feu aux mains de neige, et du Bleu métaphysique. Je voudrais aussi participer au Salon du livre de Beyrouth, pour présenter une conférence sur Gabriel Bounoure, qui est arrivé au Liban il y a 80 ans, et lire mes derniers poèmes. »

Sa voix commence à faiblir, le poète est fatigué et finit par goûter le riz au lait fait maison. Dans son regard, la quête inassouvie d’un homme de lettres et d’érudition, jamais rassasié de savoirs, de rencontres, de création et d’émotion esthétique. « J’irai jusqu’à l’ultime porte du désir/Avec les liserons bleuis d’une pensée/Debout dans les immaculés du temps... »



Pour mémoire

« Merci à la France, mon autre patrie... »

« J’ai honte », le cri de révolte de Salah Stétié, dans « Le Figaro », contre le comportement des jihadistes

Les Mémoires de Salah Stétié, une leçon d’histoire


Dans son costume bleu marine élégant, Salah Stétié est friand d’échanges et de dialogue. Il accueille ses visiteurs avec chaleur et affection. Sa sœur et sa nièce lui ont apporté un dessert, mais il est déjà en train d’évoquer ses parents, nés « à l’époque où le pays n’était qu’une province gouvernée par le pacha ottoman de Damas ». Mahmoud et Raïfé...

commentaires (5)

Koulouna lel-watan Koulouna "Dyuke".... Pas d'inquiétude.. ! +

Sarkis Serge Tateossian

15 h 42, le 29 octobre 2018

Tous les commentaires

Commentaires (5)

  • Koulouna lel-watan Koulouna "Dyuke".... Pas d'inquiétude.. ! +

    Sarkis Serge Tateossian

    15 h 42, le 29 octobre 2018

  • Une personne d'une telle valeur humaine, participe à la transmission de notre conscience identitaire, individuelle et collective... Une transmission en terme de culture, de liberté et de démocratie. Mettre en valeur le capital de leur savoir (nos anciens, nos poetes, nos artistes, nos patriotes humanistes, nos inspirateurs ...) pour nous c'est comme un retour aux sources les plus intimes de notre humanité. Vive le Liban

    Sarkis Serge Tateossian

    15 h 22, le 29 octobre 2018

  • Ce beau Liban d'antan cousu de diplomatie et finesse dans le comportement des politiciens reviendra-t-il un jour ? Difficile .

    Antoine Sabbagha

    10 h 51, le 29 octobre 2018

  • "Sa grande sœur, Amal, évoque avec humour ce petit frère qui proposait de jouer au « duc », ce que les autres enfants interprétaient comme « coq »." Et que feraient de cette anecdote les lecteurs qui ne parlent pas l'arabe? De plus, comment se fait-il que ni Stétié, ni sa soeur ou sa nièce n'évoquent son autobiographie, parue en 2015 sous le titre "L'Extravagance"? Et qu'est-il advenu de sa jeune femme, pour que ce soient sa soeur et sa nièce qui s'en occupent?

    Georges MELKI

    10 h 20, le 29 octobre 2018

  • Hélas il y a de moins en moins de personnalités de ce gabarit pour servir la Patrie libanaise, aussi bien à l'intérieur, que dans le reste du monde. Longue vie à ce grand Monsieur.

    Shou fi

    09 h 56, le 29 octobre 2018

Retour en haut