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Culture - Décryptage

Les géniales (im)postures de Banksy

Sur une scène artistique contemporaine dominée par les provocations et les surenchères, quel pourrait être l’impact du (dernier) coup d’éclat du fameux street-artiste britannique ?


Une peinture déchiquetée qui va peut-être marquer un tournant dans l’histoire de l’art. Crédit photo : @PierreKoukjian/Instagram/@Sincefineart/Reuters

Vendredi 5 octobre 2018. C’est à une spectaculaire et inédite « performance » qu’assistent, ébahis, les « happy few » présents à une vente aux enchères chez Sotheby’s Londres. Le marteau du commissaire-priseur vient à peine de tomber, adjugeant à un acheteur à l’identité non révélée la Girl With Balloon de Banksy pour la modique somme de 1,042 million de livres sterling (1,3 million de dollars), que l’œuvre en question (une reproduction à l’acrylique et aérosol, signée par le célèbre street-artiste britannique, d’un de ses graffitis les plus connus, peint sur un mur de l’est londonien en 2002) s’autodétruit, sous les yeux médusés de l’assistance. L’image de la peinture, partiellement découpée en fines lamelles par une broyeuse à papier dissimulée dans son épais cadre doré, est ainsi postée quelques heures plus tard sur le compte Instagram de Banksy, ironiquement accompagnée de la légende : « Adjugée vendue... ». Et la cotation de la peinture déchiquetée s’envole immédiatement, dépassant, dit-on, les 2 millions de sterling…Le geste, plus qu’audacieux, soulève aussitôt un tourbillon d’interrogations. Pourquoi un tel acte ? Est-ce le mystérieux artiste qui a lui-même actionné la télécommande ? Pourquoi ni le vendeur ni l’acheteur ne se sont pas manifestés ? Quel impact cet « exploit » pourrait-il avoir sur l’avenir de l’art ?

Même s’il faut rappeler que ce n’est pas le premier pied de nez au marché de l’art contemporain de cet artiste subversif – il avait déjà vendu à New York, il y a quelques années, plusieurs de ses œuvres aux passants pour 60 dollars, largement en dessous de leur valeur estimée à 160 000 dollars –, ses motivations, cette fois, laissent plus d’un observateur dubitatif… Coup d’éclat contre un marché de plus en plus monétarisé ou coup de maître en marketing ? Pour essayer d’en comprendre la portée, L’OLJ a posé cette seule et même question à six acteurs du marché de l’art au Liban : « Que pensez-vous du geste de Banksy ? » Voici leurs opinions et leurs éclaircissements.


(Lire aussi : Banksy frappe encore : une de ses toiles s'auto-détruit en pleine enchère)


Yazan Halawani, street-artiste

« Je pense que cette œuvre est, tout à la fois, formidable et… critiquable quant à la rigueur de son concept. Elle est formidable, parce que sa destruction juste après la vente lui donne deux forces : d’abord, celle d’être (quasiment) une première dans l’histoire de l’art conceptuel, ce qui la met dans une position à part. J’y vois d’ailleurs un parallèle avec l’œuvre de Robert Rauschenberg Erased de Kooning Drawings mais avec, en plus, l’impact spectaculaire de Banksy.

Ensuite, parce qu’elle résonne avec l’ère des médias sociaux, en créant une histoire qui peut être consommée par les masses à travers les réseaux sociaux (ce qui est loin d’être le cas des grandes œuvres à l’heure actuelle). Sa capacité à atteindre une large audience participe à la démocratisation de l’art conceptuel et l’amplifie.

A contrario, elle est critiquable dans son échec à atteindre son but conceptuel. Car, conceptuellement, la destruction devrait amener à l’effacement total de l’œuvre. Alors que la mise en exécution a eu pour résultat une œuvre modifiée, plus iconique même que la pièce originelle.

Et puis, des questions se posent sur l’implication de la maison d’enchères dans ce coup. Car, d’une part, le mécanisme (NDLR : de broyage dissimulé dans le cadre) est vieux de 12 ans et, étant diplômé en ingénierie électrique, je me demande comment il ne s’est pas altéré avec le temps.

Tout comme l’utilisation de lames X-Acto qui auraient dû être rouillées. Mais aussi la vidéo montrant la mise en place du dispositif est d’une qualité telle qu’on pourrait soupçonner qu’elle n’a pas été réalisée par un simple amateur il y a 12 ans. Enfin, je suis étonné que Sotheby’s, qui a bien signalé que la pièce est signée et dédicacée à l’arrière, n’ait pas vu le mécanisme… »


(Pour mémoire : L'hôtel Banksy accueille ses premiers clients à Bethléem)


Karina el-Hélou, curatrice d’art

« Il s’agit clairement une critique du marché de l’art. De ce spectacle qu’est devenue une vente aux enchères, avec ces prix qui s’envolent à outrance. Personnellement, je trouve que c’est un pied de nez trop facile de la part d’un artiste dont les œuvres atteignent des sommes exorbitantes.

C’est un geste très punk, qui va avec l’esprit de rébellion antisystème de Banksy. Mais, en réalité, il vit de ce système. Il en a même fait un « brand », dont la valeur monétaire va encore augmenter grâce à cette « action ». En tant que commissaire d’exposition, je n’apprécie pas cet acte de pure provocation. Ce n’est pas l’image qu’on veut donner du travail des artistes dont la valeur sur le marché de l’art se construit dans le temps. »


Farouk Abillama, collectionneur

« C’est un point marquant dans l’histoire de l’art. Je ne sais pas si on pourra le mettre sur pied d’égalité avec la fontaine de Marcel Duchamp ou l’art abstrait de Hilma Af Klint (première personne à faire de l’art abstrait, avant Kandinsky et Malevich) mais en tout cas, on est bien parti et l’avenir nous le dira. Ce qui est certain, c’est qu’il y aura un avant et un après cette vente. Les médias internationaux ne se sont d’ailleurs pas trompés puisque ce moment a fait l’ouverture de beaucoup de journaux télévisés. Les accusations contre l’artiste ou la supposée collaboration de la maison d’enchères ne sont que pain bénit pour parler encore plus de l’œuvre (la Mona Lisa a acquis ses lettres de noblesse une fois volée). Je m’attends à ce que d’autres artistes fassent quelque chose de similaire (transformation de l’œuvre postvente). En tant que collectionneur, c’est le rêve d’obtenir cette toile qui est maintenant rentrée dans le panthéon des œuvres d’art. On est toujours à la recherche ou bien d’une belle pièce ou bien d’une pièce qui a une histoire intéressante. Celle-là a fait l’histoire. Chapeau l’artiste ! »


Saleh Barakat, galeriste

« J’adore ! c’est un fabuleux « Statement ». Une performance d’une intelligence suprême. Car, d’une part, Banksy fait passer son message critique et cynique sur la relation très controversée entre l’art et l’argent. Et, d’autre part, il sait pertinemment qu’une première pareille, orchestrée comme il se doit, va être tellement médiatisée qu’elle va faire flamber sa cote et la demande sur son travail. En résumé, c’est une œuvre qui rentrera dans les annales de l’art ! »


Nada Boulos el-Assad, commissaire-priseur

« C’est un véritable coup d’éclat ! J’apprécie le message qu’il a voulu véhiculer et qui consiste à s’insurger contre le fait que les œuvres d’art sont désormais perçues uniquement comme des investissements. Et je le trouve même louable. Mais ce coup de colère, pour justifié qu’il soit, reste quand même un acte de vandalisme par rapport au propriétaire (vendeur) de l’œuvre. Il pourrait être passible de sanctions, ou du moins d’une amende… À moins que ce ne soit Banksy lui-même qui la mettait en vente… Au final, c’est un impressionnant coup de semonce dans ce marché. Je pense que cet acte va obliger tous les acteurs à réfléchir avant de disposer d’œuvres d’artistes vivants contemporains. Peut-être pas pour longtemps, néanmoins. Ils oublieront vite, à mon avis… »


Marie Muraciole, historienne de l’art et directrice du BAC

« Cet épisode ne nous apprend rien que nous ne sachions déjà : ce qui semble s’opposer au marché n’en est que mieux valorisé par ce marché. Par ailleurs, le geste ne va pas bien loin : il n’est nullement une destruction mais un découpage assez propret. C’est, avant tout, un spectacle très convenu destiné aux médias sociaux : un acte promotionnel qui fait de la publicité pour une maison de vente.

Banksy s’y montre conformiste, et même fétichiste, au regard de l’histoire de l’art et des transgressions qui s’y sont produites depuis plus d’un siècle sur la question de la dématérialisation ou de la remise en cause de l’objet d’art. »



Identité masquée et renommée planétaire

Actif depuis la fin des années 1990 et d’origine britannique, Banksy est probablement le street-artiste le plus coté. Et le plus mystérieux, puisqu’il se plaît à garder son identité secrète. Seule (quasi-) certitude : il serait originaire de Bristol et probablement lié au groupe Massive Attack, originaire de la même ville. Ce graffeur s’est fait connaître pour son art urbain ironique et engagé, ainsi que ses fréquentes dénonciations du consumérisme… Même si certaines de ses créations ont été vendues aux enchères pour des sommes vertigineuses.

Ses œuvres, souvent subversives, sont visibles sur les murs du monde entier, de Gaza à Calais, en passant par New York ou Douvres. Parmi ses dernières œuvres, plusieurs pochoirs réalisés sur les murs de Paris, dénonçant le traitement des migrants ou rendant hommage aux victimes du Bataclan. Banksy revendique généralement la paternité de ses œuvres sur internet, via son compte Instagram.



Pour mémoire

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Vendredi 5 octobre 2018. C’est à une spectaculaire et inédite « performance » qu’assistent, ébahis, les « happy few » présents à une vente aux enchères chez Sotheby’s Londres. Le marteau du commissaire-priseur vient à peine de tomber, adjugeant à un acheteur à l’identité non révélée la Girl With Balloon de Banksy pour la modique somme de 1,042 million...

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DANS LE MONDE DES ENCHERES IL Y A DEUX CATEGORIES DE GENS. LES BETES ET LES PLUS BETES !

LA LIBRE EXPRESSION

09 h 51, le 11 octobre 2018

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  • DANS LE MONDE DES ENCHERES IL Y A DEUX CATEGORIES DE GENS. LES BETES ET LES PLUS BETES !

    LA LIBRE EXPRESSION

    09 h 51, le 11 octobre 2018

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