Rencontre historique entre le chef des Forces libanaises Samir Geagea (d) et le chef du courant des Marada Sleiman Frangié (g) sous la houlette du patriarche maronite Mgr Béchara Raï, mercredi 14 novembre 2018 à Bkerké. Photo Ani
La rencontre attendue entre Samir Geagea, chef des Forces libanaises, et Sleiman Frangié, président du Courant des Marada, a enfin eu lieu mercredi sous la houlette du patriarche maronite Mgr Béchara Raï à Bkerké. Une telle rencontre au sommet vient couronner des mois de contacts en vue d’aplanir les obstacles qui empêchaient, jusque-là, une collaboration réelle entre ces deux formations, fortement implantées au Liban-Nord. Les origines de l’adversité, voire de l’animosité, entre les deux formations remonte aux jours noirs du début de la guerre civile, plus précisément à l’assassinat de Tony Frangié, père de Sleiman, et de sa famille à Ehden en 1978, dans le cadre du conflit qui opposait à cette époque les Marada aux Kataëb, dont Samir Geagea était déjà un cadre militaire. Plus qu’une simple signification politique, cette rencontre, quarante ans plus tard, revêt donc une véritable symbolique historique permettant de tourner une page très sombre de l’histoire du Liban.
La délégation FL était composée des députés Sethrida Geagea, Antoine Habchi, Chawki Daccache et Joseph Ishak, des ex-députés Fady Karam et Antoine Zahra ainsi que du directeur du bureau des FL au Liban-Nord Tony Chidiac. La délégation des Marada était composée des députés Tony Frangié (fils de Sleiman), Farid Haykal el-Khazen et Fayez Ghosn, du ministre sortant Youssef Fenianos et des anciens ministres Youssef Saadé et Rony Arayji.
"Contre les binômes et les trinômes"
Après une poignée de mains et des embrassades revêtant un caractère historique entre MM. Geagea et Frangié, le patriarche Raï a prononcé un discours qui a débuté par une phrase des psaumes (1:133) : "Qu'il est agréable, qu'il est doux pour des frères de demeurer ensemble!". "Nous sommes fils d'un même Père et donc nous sommes frères", a-t-il ajouté, soulignant que "tous ceux qui aiment la paix et la réconciliation pour le pays et son peuple sont heureux aujourd'hui". "Dieu veut que nous nous rencontrions et que nous tournions la page pour vivre heureux et dans la paix, pour que l'amitié nous unisse", a affirmé Mgr Raï. "Nous nous réunissons aujourd'hui pour poursuivre le chemin de (l'unité interne)". "A Bkerké, nous sommes avec les institutions étatiques, contre les binômes et les trinômes. Si nous devons parler de bipartisme au Liban, il y en a un seul : deux ailes égales et complémentaires, les musulmans et les chrétiens", a souligné Mgr Raï avant d'ajouter : C'est cela le secret du Liban, dans sa diversité, son rôle et son message". Le patriarche a conclu en indiquant que "puisqu'elle a lieu en un jour pluvieux, cette rencontre est donc source de bien pour le Liban".
"Tourner la page du passé douloureux"
Dans le communiqué rendu public à l'issue de la rencontre, les deux formations rappellent que cette réconciliation "est l'aboutissement d'une série de réconciliations chrétiennes historiques", soulignant que "c'est en mémoire des martyrs que la rencontre d'aujourd'hui a eu lieu". Les deux partis chrétiens ont fait part de leur "volonté commune de tourner la page du passé douloureux, en insistant sur la nécessité de résoudre les différends afin de s'orienter vers de nouveaux horizons". "Samir Geagea et Sleiman Frangié ont affirmé que la communion entre les chrétiens et le fait de rester à l'écart de la logique d'élimination de l'autre constituent des facteurs de force pour le Liban, tout en soulignant que l'époque des animosités entre eux est révolue, et qu'à présent le temps de l'entente et du dialogue est arrivé". Les deux formations ont toutefois expliqué que la rencontre à Bkerké "respecte les convictions politiques respectives de chaque partie, sans leur porter atteinte (...)". "La diversité politique n’empêche pas d’être d’accord sur des questions nationales, dans le respect de cette diversité politique et sociale, et le respect de l’avis de l’autre", concluent les deux formations.
La scène chrétienne libanaise avait déjà connu en janvier 2016 une réconciliation importante entre les FL et le Courant patriotique libre (fondé par le président de la République Michel Aoun et dirigé aujourd'hui par le ministre sortant des Affaires étrangères Gebran Bassil), mise à mal par des conflits depuis.
Relation "normale"
"Cette nouvelle page (qui se tourne) aujourd'hui est une belle journée historique", a réagi M. Geagea à l'issue de la rencontre. Interrogé sur l'éventualité qu'il se rende prochainement à Ehden ou Zghorta, le chef des FL a répondu : "Tout est possible".
Sur Twitter, le chef des FL a posté une photo de la rencontre, mentionnant pour la première fois M. Frangié et ajoutant le mot-clé #Nouvelle_page.
A Bécharré, village natal de M. Geagea, les cloches des églises ont carillonné de joie.
"Cette rencontre revêt un caractère émotionnel, a de son côté affirmé M. Frangié. C'est une nouvelle page qui se tourne". A la question d'un journaliste qui lui demandait si cette réconciliation se faisait "aux dépens d'une autre partie" le chef des Marada a répondu : "Non, elle a eu lieu de manière naturelle et affective". "Aujourd'hui, nous considérons que notre relation est normale", a souligné M. Frangié.
"Le timing n'est dirigé contre personne"
Plusieurs autres personnalités ont salué l'événement. "La réconciliation entre les Forces libanaises et les Marada est une nouvelle page blanche qui s'ouvre, mettant fin à des douleurs, des animosités et des anxiétés. Nous félicitons Sleiman Frangié et Samir Geagea pour ce grand moment qui a été parrainé par le patriarche Raï", a twitté le Premier ministre désigné, Saad Hariri.
"Bénie soit la réconciliation entre les Marada et les Forces libanaises, sous le parrainage de Bkerké, et toute autre réconciliation libanaise, surtout lorsqu'elle intervient pour refermer une blessure qui a duré quarante ans", a twitté le chef du CPL Gebran Bassil rappelant que "le chemin de la réconciliation a débuté avec le retour du général (Michel Aoun) en 2005".
L'ancien chef de l'Etat Amine Gemayel, ancien chef du parti Kataëb, a lui aussi salué la rencontre entre les deux leaders maronites. "Il s'agit d'une bonne nouvelle à tous les niveaux, car cette rencontre incarne le vrai esprit national et chrétien qui fait défaut en ce moment et qui doit servir de boussole à notre engagement chrétien et national", a estimé M. Gemayel. Il a dit espérer que cette réconciliation "puisse constituer une nouvelle dynamique nationale et politique (...)". Saluant Sleiman Frangié, Amine Gemayel a vanté le "pardon et la citoyenneté" dont a fait preuve le chef des Marada.
L'actuel chef des Kataëb, Samy Gemayel, a également "félicité Samir Geagea et Sleiman Frangié pour avoir réussi à clore un chapitre douloureux de l'histoire des chrétiens et du Liban". Il a en outre remercié le patriarche pour avoir parrainé cette réconciliation. "Le parti Kataëb a toujours encouragé et soutenu toute réconciliation, tant au niveau chrétien qu'au niveau national, et espère que la réconciliation entre les FL et les Marada constituera un pas supplémentaire vers une réconciliation nationale fondée sur une véritable démocratie", peut-on lire dans un communiqué du parti.
Le député Tony Frangié, fils de Sleiman, a, lui, souligné que "l'aspect le plus important dans la réconciliation avec Samir Geagea est sa portée à caractère émotionnel pour les familles de tous les martyrs".
L'épouse de Sleiman Frangié, Rima Frangié, a écrit sur Twitter que les "blessures profondes requièrent une foi et un amour profonds", accompagnant son tweet de la photo de son époux.
De son côté, Sethrida Geagea a affirmé que cette réconciliation "donne espoir aux Libanais". "Le timing n'est dirigé contre personne, mais vise à rapprocher les points de vue, et les grands hommes sont ceux qui savent tourner la page du passé et aller de l'avant", a-t-elle ajouté.
La rencontre entre MM. Geagea et Frangié intervient en effet à un moment où leurs formations respectives ont des relations pour le moins tendues avec le CPL et son chef. Mais selon une source bien informée à l'OLJ, l’objectif premier de cette réunion reste de tourner une page noire du passé et de purifier encore plus la scène chrétienne des ressentiments liés à la guerre, sans pour autant être dirigée contre quiconque.Lire aussi
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commentaires (16)
Je salue cette réconciliation qui mets un terme à l’éparpillement des chretiens du Liban tel que le voulaient certains... d’autres veulent ressusciter les morts des guerres ... j’ai une question y a t il une guerre propre ?!?! si on suit leur logique alors le sud Vietnam et le nord ne se serait jamais réunis ... l’allemagne Idem et tant d’autres Encore une fois le Hakim nous prouve jour après jour être un grand homme d’etat Qui mérite la chaise présidentielle plus que d’autre opportunistes Pq les autres chefs de guerres ont le droit et lui non ?! Qui pourtant a fait 11 ans de prisons et en plus. Demander avant tout le monde pardon au peuple libanais
Bery tus
22 h 13, le 14 novembre 2018