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Culture - Rencontre

« Le cinéma est un milieu de passion, de tension et de transformation »

Directeur de l’école Louis-Lumière depuis 2017, Vincent Lowy était au Liban, invité par l’Académie libanaise des beaux-arts pour renforcer un partenariat « historique », dit-il, puisqu’il s’agit d’une collaboration à double sens depuis 18 ans déjà. Avec Alain Brenas, directeur de l’école de cinéma et de réalisation audiovisuelle de l’Alba, et Vincent Lowy, le 7e art était au menu du jour.


Vincent Lowy avec Alain Brenas à l’Alba. Photo Michel Sayegh

Professeur en études cinématographiques, vous devenez en 2017 directeur de l’école Louis-Lumière qui relève de l’enseignement supérieur. Quels sont les axes de votre nouveau programme ?

Je suis au Liban à l’invitation de l’Alba car il est important pour notre relationnel de connaître son partenaire. Mon programme est de permettre à l’école d’aller plus loin, tout en restant dans la continuité, en mettant à jour l’université d’un point de vue technologique parce que tout va trop vite dans ce domaine. Nous couvrons principalement trois champs : la photographie, les métiers de l’image comme la lumière, le cadre, l’étalonnage, ainsi que tous les métiers du son.

De plus, l’école est conditionnée par un resserrement des liens de partenariat qui existent déjà. On peut resserrer et intensifier et faire en sorte que ces partenariats deviennent structurants dans les formations, tant dans l’environnement de l’école avec les institutions d’enseignement supérieur et national qu’avec les partenaires à l’étranger. Et un des plus beaux partenariats qui ont rythmé la vie de l’école depuis une vingtaine d’années est bien celui avec l’Alba. Nous avons eu avec cette université libanaise des échanges nourris. Pour l’avenir, l’axe prioritaire est d’avoir avec ceux qui enseignent les métiers de l’audiovisuel un socle de valeurs communes et un héritage qui s’inscrive dans l’espace de la francophonie et dans un esprit de rayonnement au niveau de nos diplômes. Ces derniers seraient rituels et organisés de sorte que les élèves de Louis-Lumière viennent chaque année enseigner, mais aussi pour être dans un échange mutuel. Alain Brenas m’a avoué que l’Alba se sent en complémentarité avec l’école Louis-Lumière car c’est une confrontation des savoirs, mais aussi des expériences, du vécu et des cultures.


À l’ère où tout va vite, l’enseignement académique est-il encore à l’heure du jour ?

Je suis un professeur de cinéma au départ, un historien. Je comprends cette problématique et les faiblesses de notre système d’enseignement supérieur. J’ai coutume de dire que je suis anticlérical, parce que j’appartiens au plus vieux clergé du monde qui est l’université, et je sais que les relations entre recherches théoriques et apprentissage pratique sont problématiques. Aujourd’hui, il y a un degré supérieur en matière de recherches qui est l’innovation. L’école Louis-Lumière s’inscrit dans une logique de recherches appliquées. Cette recherche est donc un enjeu très fort qui nous permet d’avoir un grand soutien de la part de notre tutelle et nous permet d’aller encore plus loin. Ainsi, nous avons la possibilité de tout tester comme, entre autres, les caméras du marché, et une capacité à projeter nos étudiants dans le monde professionnel. Nous sommes un laboratoire de recherches et de création.


(Lire aussi : Thierry Frémaux : Au Liban, j’ai l’impression d’être chez moi, c’est ça la magie du cinéma !)


Comment a eu lieu votre coup de foudre avec le cinéma ?

Nous avons tous envie d’être dans le cinéma. C’est plus tard que nous développons des qualités qui nous permettent de nous diriger vers tel ou tel secteur. Le cinéaste Max Ophüls, par exemple, a fait ses débuts comme metteur en scène de théâtre. À Berlin, il était même critique de théâtre. Puis il s’est dit : « Je ne veux pas faire quelque chose qui consiste à commenter ce que j’ai envie de faire. » Quand on veut être absolument dans ce milieu, on devient dans le pire des cas universitaire. Pour ma part, j’ai eu beaucoup de chance dans ma carrière d’universitaire, car l’opportunité de diriger l’école Louis-Lumière s’est présentée à moi. J’étais candidat et j’ai été élu.


Comment avez-vous appréhendé cette mission ?

L’école Louis-Lumière est une très belle tradition, un bel héritage et une très belle perspective. Un potentiel énorme dans la vitesse et l’accélération du temps technologique. Elle a un défi majeur de mise à jour et on est engagé dans cette transformation qui sera collective, dynamique et qui nous permettra d’atteindre dans les années 2020, dans certains champs comme celui des étalonneurs, un certain leadership. C’est l’objet de mon mandat. Est-ce qu’il faut être cinéphile ? Je ne connais personne qui travaille dans le cinéma qui ne soit pas cinéphile, même les machinistes ou ceux qui passent le balai sur le plateau de tournage. La cinéphilie, c’est organique, et le cinéma est un métier très dur, très exigeant. C’est un milieu de passion, de tension, de transformation. Un système passionnant pour voir le monde et le représenter en donnant à voir des images et des sons qui ont un rôle émancipateur. Il est le reflet des tensions du monde.


(Lire aussi : Le cinéma au Liban, une affaire de femmes)


Par le cinéma, les frères Lumière ont offert le monde au monde. Tend-il à devenir actuellement plus une industrie qu’un art ? Est-il menacé par Netflix ?

Le cinéma est un marqueur culturel très important dans la mondialisation. Netflix, qui est au cinéma ce qu’est Uber aux taxis, assure une visibilité aux réalisateurs à moindre prix. En tant que pédagogues, on pourrait avoir peur en termes de qualité et non de quantité. Il faut donc arriver à garantir à nos étudiants la meilleure insertion professionnelle avec la meilleure qualité possible. L’accélération et les mutations technologiques ne créent pas un environnement de menace mais d’instabilité. Le cinéma en tant que récit du monde existera toujours. Au XIXe siècle, c’était le roman, maintenant, c’est le cinéma. Et on sait que ça continuera à exister.


Dans les années 60, on parlait de films de genre (western, noir…) ou à identité : le cinéma français, le cinéma italien. La mondialisation a-t-elle été bénéfique ou néfaste pour cette catégorisation ?

Aujourd’hui, on peut faire un western en Chine. Le cinéma devient un métissage dans les références culturelles. Même Tarantino a contribué à briser ces codes-là. De plus, dans l’ère numérique, on est dans des schémas explosés sans hiérarchie, avec une progression intuitive qui ne favorise pas le savoir, mais l’absence de savoir, de mémoire et de mémoire collective. Je ne prétends pas que ce n’est pas bien, mais nous, pédagogues, avons des obligations supplémentaires envers ces étudiants qui ont grandi dans un environnement différent du nôtre (le savoir livresque, l’analogique) et qui progressent dans une sorte de flou de références. À l’Alba, il y a, outre l’enseignement, des projections continues, une sorte de ciné-club.

De plus, les responsables de l’audiovisuel ont instauré récemment un format de projections où l’on comprend le cinéma d’aujourd’hui par le cinéma d’hier.

C’est par ces mécanismes qu’on doit procéder à l’« enculturation » des jeunes étudiants et contrer les menaces qui guettent le milieu du cinéma.


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