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Culture - Rencontre

Thierry Frémaux : Au Liban, j’ai l’impression d’être chez moi, c’est ça la magie du cinéma !

Directeur de l’Institut Lumière depuis 1997 (aux côtés du président Bertrand Tavernier) et délégué général du Festival de Cannes depuis 2004, l’amoureux fou des cinémas du monde était de passage à Beyrouth pour un masterclass et la présentation du film « Lumière! L’aventure commence ».


Thierry Frémaux : « Que le cinéma soit au cœur de nos vies. » Michel Sayegh

Il aime parler. Parler de cinéma. Avec un critique, avec la presse. « Car quand on parle de cinéma, c’est comme si on se parlait entre potes, on rigole, on se chamaille, on s’embrasse. » Ce cinéma qui est au cœur de la vie de Thierry Frémaux depuis sa jeune enfance, il l’a présenté, à l’invitation du producteur Tarek Sikias, lors d’un masterclass modéré par le producteur Antoine Khalifé à l’auditorium de Malia Tower, devant une audience qui se délectait à l’écoute des pépites égrenées avec amour. « Aujourd’hui, je viens vers votre pays, alors qu’en général, votre pays vient vers moi avec ses films, comme récemment celui de Nadine Labaki. Et croyez-moi, j’ai l’impression d’être chez moi. C’est ça, la magie du cinéma. »


Vous venez présenter le film « Lumière! L’aventure commence ». Y a-t-il donc en vous un réalisateur qui pointe du nez ?

Tout jeune cinéphile, je rêvais, certes, d’être cinéaste, mais mon existence m’a emmené ailleurs, vers l’Institut Lumière et le Festival de Cannes. Vous savez, mes collègues et moi jugeons, dans le cadre de ces deux professions, 1 500 films par an. J’en juge moi-même 500 pour la sélection cannoise. Je ne vais donc pas venir demander ensuite : et le mien, vous le trouvez comment? Sur l’affiche, il n’est pas écrit que ce film est de Thierry Frémeaux. C’est un film de montage que j’ai assemblé avec les films des cinématographes Lumière pour leur rendre hommage. Je ne voulais pas du tout mettre mon nom. Ce sont de petits films de 50 secondes. J’en ai ainsi choisi une centaine pour en faire un objet sacré d’une heure et demie (NDLR : il y en a même deux tournés à Beyrouth). Je l’ai fait pour que les gens retournent au cinéma voir les films. Et même si je vais en assembler d’autres à l’avenir, je n’en réaliserai pas moi-même.


Vous avez deux lourdes responsabilités, mais totalement différentes. L’une où vous avez affaire uniquement au film : restauration, diffusion, propagation. L’autre concerne aussi les stars, souvent capricieuses. Quelle est la charge la plus dure ?

Je considère que j’ai un grand privilège de m’occuper du très contemporain avec Cannes et du très patrimoine avec l’Institut Lumière. Finalement, les deux se complètent bien. Quand on s’occupe de cinéma classique, il ne faut pas ignorer l’évolution du cinéma et, inversement, quand on juge le cinéma contemporain, il ne faut pas ignorer d’où viennent les films, d’où ils puisent leur inspiration. Est-ce qu’on peut comprendre la musique classique en ignorant l’œuvre de Beethoven ou de Mozart ? Pour le cinéma, c’est la même chose, et je me dois de garder l’esprit ouvert. Par ailleurs, les réactions du public à Cannes ne sont pas les mêmes que dans le cadre du Festival Lumière, qui dépend de l’Institut. Le premier peut se permettre de dire « on aime ou on n’aime pas », surtout qu’il s’agit de compétition. Pour le second, on ne peut juger un Orson Welles car il s’agit de chefs-d’œuvre confirmés. Quant aux caprices de stars, tout le monde en fait, même les journalistes ! (Rires)


Depuis que vous êtes à Cannes, vous faites régner l’ordre, entre autres. Pourquoi avoir interdit les selfies sur les marches ?

Je ne suis pas seul chef d’orchestre sur la Croisette. J’ai une équipe et Cannes a ses traditions. Ce festival appartient à tous ceux qui le font. Les quatre piliers sont : les auteurs, les stars, les journalistes et les professionnels. Si l’un de ces piliers vacille, il faut s’alarmer.


Quand votre rôle s’arrête-t-il au Festival de Cannes ?

Une fois que la sélection est faite, je la donne à la presse, au public, aux festivaliers, et puis je la donne au jury. Lorsque Pierre Lescure, président du festival, et moi-même rencontrons les membres du jury au haut des marches, nous donnons la clef du festival au président ou à la présidente. Et puis nous nous retrouvons à la fin de l’édition cannoise. Ils débattent seuls, mais nous n’en disons mot. Le jury est souverain.


Mais il est certain qu’il y a des verdicts cannois qui vous ont déçu, non ?

Non, pas vraiment. Un jury est formé de neuf personnes qui vont rendre un palmarès de sept prix à l’intérieur d’une sélection d’une vingtaine de films. Si vous choisissez un autre jury, il pourra vous rendre un palmarès différent. Le jury est à la fois fort et complètement subjectif. À observer de plus près, toutes les Palmes d’or ont été de grands films.


Selon vous, qu’est-ce qu’un bon critique ?

Un critique a plusieurs fonctions. Tout d’abord, celle d’analyser une œuvre, mais ensuite d’être dans la transmission entre cette œuvre et son lecteur. C’est quelqu’un qui a du goût, un regard personnel (quel qu’il soit) et qui a par ailleurs un style, littéraire même. La tâche d’un critique, enfin, est de laisser une trace, mais aussi d’entretenir un dialogue. Mais le meilleur critique, c’est le temps. Prenez par exemple La Règle du jeu, signé Jean Renoir, considéré aujourd’hui comme un grand film français, mais dont la sortie en 1939 était un désastre. Un film doit vivre un peu dans la tête de celui qui le voit pour qu’il puisse donner un verdict juste là-dessus.


Et un bon cinéphile ?

Martin Scorsese a dit qu’on commence à devenir cinéphile quand on connaît le nom des cinéastes. Avec mes copains, on allait au cinéma. Puis, petit à petit, on n’est plus allé voir les mêmes films. J’ai commencé par la suite à voir les films sous-titrés et à connaître le nom des metteurs en scène. Eux, ils étaient bons spectateurs, et moi cinéphile. Mais un critique est à la fois cinéphile car qu’est-ce qu’un cinéphile sinon un amoureux du cinéma ? Chacun a sa propre cinéphilie. Ainsi, Bertrand Tavernier est un grand connaisseur du cinéma américain, contrairement à moi. Je suis quelqu’un qui est ouvert à tous les genres de films. Et je pense qu’il y a de très bons films commerciaux comme il y a de très mauvais films d’auteur. Cela ne veut pas dire qu’un film d’auteur ne peut pas devenir commercial. N’importe quel artiste a envie d’être vu et reconnu.


Qu’avez-vous introduit de nouveau dans le Festival de Cannes ?

Je crois avoir donné les couleurs de la générosité et de l’audace. Faire revenir le cinéma de genre en compétition, comme l’animation ou le documentaire, et faire en sorte que Cannes soit ouvert à tout le monde. Aujourd’hui, on peut même avoir en compétition un premier film égyptien comme Yomeddine durant l’édition 2018.


Est-ce vrai que Cannes a été boudé cette année par les Américains ?

Pas du tout, mais il y avait la question Netflix au centre du débat : mettre ou ne pas mettre leurs productions en compétition. La presse s’est chargée par la suite d’en faire des tonnes. Le cinéma américain était bien présent, entre autres le film de Spike Lee ou l’hommage à John Travolta…

Que rêvez-vous encore pour Cannes et quels nouveaux projets pour l’Institut Lumière ?

Que l’esprit de Cannes, qui est une idée collective, demeure partagée afin de défendre les auteurs et que le cinéma soit au cœur de nos vies. En outre, nous avons un grand projet de reconstruire les usines Lumière avec un musée et de continuer à explorer la mémoire de ceux qui ont inventé le cinématographe.

Il aime parler. Parler de cinéma. Avec un critique, avec la presse. « Car quand on parle de cinéma, c’est comme si on se parlait entre potes, on rigole, on se chamaille, on s’embrasse. » Ce cinéma qui est au cœur de la vie de Thierry Frémaux depuis sa jeune enfance, il l’a présenté, à l’invitation du producteur Tarek Sikias, lors d’un masterclass modéré par le...

commentaires (1)

"Croyez-moi, j'ai l'impression d'être chez moi". En France, on parle français, au Liban, on parle désormais anglais. "mesterclass" et "star" ne sont pas des mots français.

Un Libanais

14 h 50, le 15 septembre 2018

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Commentaires (1)

  • "Croyez-moi, j'ai l'impression d'être chez moi". En France, on parle français, au Liban, on parle désormais anglais. "mesterclass" et "star" ne sont pas des mots français.

    Un Libanais

    14 h 50, le 15 septembre 2018

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