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À La Une - reportage

Dans un ancien camp du sud de la France: les harkis n'ont que leur mémoire contre l'oubli

"Le plus dur pour moi, enfant, c'était la haie de cyprès, avec les barbelés juste derrière, tout autour du camp. Le fait de ne pas sortir, c'est ce qui me manquait le plus...".


Mohamed Badi déchire un rapport sur la situation des harkis en France, près de Villeneuve-sur-Lot, le 18 septembre 2018. AFP / GEORGES GOBET

Dans l'amertume des harkis, anciens supplétifs de l'armée française rapatriés d'Algérie après l'indépendance, se lit 50 ans de ballottement entre "invisibles" et "oubliés". Un oubli palpable à l'ancien camp de Bias, au sud-ouest de la France, où rien ne subsiste, hormis leurs souvenirs.

"Le plus dur pour moi, enfant, c'était la haie de cyprès, avec les barbelés juste derrière, tout autour du camp. Le fait de ne pas sortir, c'est ce qui me manquait le plus...". Bertrand Haffi, 54 ans, pointe du doigt la lisière du camp, aujourd'hui bordure d'une petite route, un champ de maïs, un abribus, une petite stèle inaugurée en 2001.

Chacun a son souvenir du "Centre d'Accueil de Rapatriés d'Algérie" (Cara) de Bias, son nom officiel. L'unique douche hebdomadaire "un jour les hommes, un jour les femmes", le couvre-feu à 22H00, après lequel "les cafards revenaient dans l'obscurité", dans l'unique pièce où dormait toute la famille. L'école primaire du camp, d'où on sortait "avec des années de retard sur +les autres+". Le sac de coke par foyer pour se chauffer un mois. La dureté de la direction, militaire.

Mohamed Badi serre encore les dents en revoyant la gifle du directeur à sa mère veuve, et son impuissance, du haut de ses 11 ans... Au souvenir aussi de ces adultes, si peu sûrs d'eux, de leur place, "qui se mettaient au garde à vous devant un garde-champêtre. Un garde-champêtre... Sans déconner !"

Du camp, il ne reste rien ou presque. Pas de musée-mémorial ici comme à Rivesaltes. Pas de vestiges. Un vaste espace d'herbe jaunie au soleil, un terrain de foot, le socle en béton fissuré du mât où l'on hissait les couleurs. Et un lotissement de modestes pavillons, bâtis là où étaient jadis alignés, sur 10 hectares, 22 baraquements au toit de tôle ou d'éverite, qui abritèrent jusqu'à 1.300 familles à la fois.


Enfermement, empêchement

A 3 km du petit bourg de Bias, le camp - qui avait accueilli jadis des Vietnamiens d'Indochine, des réfugiés espagnols - était loin d'à peu près tout. Loin et invisible, presque inaccessible - il fallait aux visiteurs laisser leurs papiers à l'entrée, signaler ses absences. Logés, nourris, oui. "Parqués", corrige M. Badi.

De camp il n'y a plus, mais il est en eux. Chez Bertrand, qui vit dans un bout de bâtiment de l'ex-direction et regrette de "n'avoir jamais eu les moyens de partir". Chez Ahmed Benalla, 47 ans, dans un des pavillons. Et qui reste, "parce que j'ai toujours eu peur d'aller au loin, à l'extérieur. La sensation de me retrouver seul face à tout". Ils sont une quarantaine d'anciens, occupants ou descendants, encore sur place.

"C'est fou, ce que l'enfermement peut produire comme empêchements. Empêchement matériel, psychologique... Et l'angoisse de revivre un départ", médite Katia Khemache, historienne auteur en 2018 d'un livre "Harkis, un passé qui ne passe pas". "Et pour des gens qui ont été en quête d'identité, le camp, habitat isolé, regroupé, est un marqueur identitaire fort".

Bias est emblématique, relève-t-elle, parce qu'il était le camp des "non-classables", ou "irrécupérables" pour l'administration: veuves, blessés, invalides, malades mentaux... Aussi parce qu'il fut le terreau de la révolte harkie, avec en 1975 une prise d'otage, l'intervention policière. C'est à la suite d'actions comme Bias, que le démantèlement fut entrepris, l'administration passant au civil, les familles incitées à partir. Les baraquements mirent 20 ans à être tous rasés.

A l'approche de la Journée nationale d'hommage le 25 septembre - où le gouvernement pourrait faire des annonces - certaines instances harkies clament l'heure venue de la réparation matérielle, qu'elles chiffrent en milliards. Pour d'autres, l'urgence est davantage mémorielle, "d'une histoire singulière enfin perçue, connue, reconnue. Cette réappropriation, cette transmission apaisée, est plutôt le fait de la 3e génération".

Mais pour ceux qui ont vécu Bias, urgence il y a, avant d'être oubliés, une dernière fois. "Dans le pays, on n'est plus que 5-6.000 de la 1ère génération", rappelle M. Badi, du CNLH (Comité national de liaison des harkis). Seul objet de mémoire à Bias, la plaque sur la stèle a été vandalisée le week-end dernier, brisée en morceaux. Encore un coup pour l'oubli.


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commentaires (1)

en France, on préfère accueillir ceux qui voulaient l'indépendance , et leurs enfants foutre la merde dans les banlieues

Talaat Dominique

14 h 00, le 23 septembre 2018

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Commentaires (1)

  • en France, on préfère accueillir ceux qui voulaient l'indépendance , et leurs enfants foutre la merde dans les banlieues

    Talaat Dominique

    14 h 00, le 23 septembre 2018

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