Le Premier ministre désigné Saad Hariri cherche à profiter du momentum créé par sa dernière initiative et des progrès qui l’ont accompagnée pour donner un coup de fouet supplémentaire au processus de formation du nouveau gouvernement. M. Hariri tente également de profiter de la présence d’une volonté commune d’arrondir les angles, notamment de la part du président de la République Michel Aoun, du président de la Chambre Nabih Berry et du Hezbollah, afin de conclure un marché global autour de la formation du cabinet incluant les quotes-parts, les portefeuilles, les noms des ministres et la déclaration ministérielle.
Avec le progrès enregistré par Saad Hariri après sa visite à Aïn el-Tiné et son long entretien privé avec le chef de la diplomatie Gebran Bassil à la Maison du centre, il est désormais question d’un accord sur une formule gouvernementale de 3 x 10 : dix sièges au Courant patriotique libre et au président de la République (7 + 3), dix sièges au courant du Futur et aux Forces libanaises (6+4), et dix sièges au duopole chiite Amal-Hezbollah, au Parti socialiste progressiste et aux Marada (6+3+1). Ainsi, aucune des forces en présence n’obtiendrait le tiers de blocage. Par ailleurs, MM. Hariri et Berry offriraient tous deux la garantie qu’aucune composante ne dispose d’un « veto communautaire » à même de paralyser l’équipe ministérielle.
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Cet accord de principe réalisé par Saad Hariri lors de sa dernière initiative – qui attend encore de se concrétiser à travers une prochaine rencontre avec le chef du PSP Walid Joumblatt et un nouvel entretien M. Bassil – a permis de faire progresser les discussions afin qu’elles portent sur la distribution des portefeuilles, les noms et la déclaration ministérielle. Cependant, après l’accord Hariri-Bassil sur la distribution des quotes-parts en fonction de la formule précitée des 3 x 10, d’aucuns s’étonnent de la persistance du chef du CPL à obtenir la participation au gouvernement du chef du Parti démocrate libanais Talal Arslane ainsi que celle des sunnites du 8 Mars. Des sources politiques estiment ainsi qu’il est étrange qu’une partie fasse des concessions d’une part pour poser de nouvelles conditions de l’autre.
La formule Hariri des 3 x 10 permet en effet de dépasser les questions du tiers de blocage et du veto communautaire, et règle les deux nœuds principaux qui bloquaient la genèse du nouveau cabinet, druze et chrétien. Walid Joumblatt obtient ainsi trois ministres druzes, dont le troisième ferait partie de la quote-part de Saad Hariri avec la bénédiction du chef du PSP. Les FL se voient attribuer quatre portefeuilles de services essentiels mais pas de portefeuille régalien ou de vice-présidence du Conseil.
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Partant, le bras de fer se porte désormais non plus sur les parts respectives de chacun, mais sur les portefeuilles, surtout de services, notamment les Travaux publics, la Santé, l’Énergie et l’Éducation. Le CPL convoite le portefeuille des Travaux publics, que les Marada souhaitent maintenir, faute de quoi le parti de Sleiman Frangié voudrait s’attribuer l’Énergie ou les Télécoms. Nabih Berry a lui aussi les yeux rivés sur les Travaux publics, de même que les FL, qui voudraient ainsi compenser la perte de la vice-présidence du Conseil, tout en occupant les portefeuilles de la Justice et de l’Éducation. Cependant, des sources proches du Grand Sérail indiquent que Saad Hariri ne procédera pas à des remaniements du côté des portefeuilles, le timing pour cela étant inadéquat. Il procéderait toutefois à quelques amendements nécessaires à la formation du cabinet.
Le Premier ministre désigné cherche par ailleurs à adopter la même déclaration ministérielle que celle du gouvernement précédent, à partir du moment où le cabinet d’union nationale qu’il aspire à former est attaché à la politique de distanciation et à la déclaration de Baabda pour un Liban neutre et à l’abri de la politique des axes – d’autant que les développements régionaux nécessitent une telle politique ainsi que l’élaboration d’une stratégie nationale de défense à même de rétablir le monopole de la violence légitime aux mains de l’État libanais.
Selon des sources diplomatiques occidentales, les discussions au Conseil de sécurité pour le renouvellement du mandat de la Finul à la fin du mois se focaliseront sur la question des armes, et la mission de la Finul pourrait se retrouver modifiée, de sorte qu’elle se retrouve sous le chapitre VII et que ses prérogatives soient élargies de sorte à ce qu’elle contrôle aussi les frontières terrestres, maritimes et aériennes. Un différend est apparu à ce niveau entre les États-Unis, qui souhaitent une telle extension de prérogatives, et la France, qui prône un renouvellement de routine, sans amendements. Baabda, le palais Bustros et le Hezbollah ont d’ores et déjà opposé une fin de non-recevoir à la proposition américaine. Le parti chiite craint que l’objectif d’une modification du mandat de la Finul vise à le prendre pour cible, à l’heure où la campagne de Washington contre lui bat son plein.
Pour Baabda, le nouveau gouvernement devrait se concentrer sur le redressement de la situation économique, profiter du momentum des conférences internationales de soutien au Liban et rester à l’écart des conflits étrangers. Mais un ancien ministre estime pour sa part que la raison qui retarde encore la formation du cabinet, et qui explique cet appétit gargantuesque pour les quotas de poids et les portefeuilles juteux, est le fait qu’il s’agirait du dernier gouvernement du mandat Aoun. Le mandat du nouveau Parlement, qui échoit en mai 2022, serait prorogé d’un an pour qu’il puisse élire le nouveau président de la République en octobre 2022. Partant, il serait très difficile qu’un autre gouvernement soit encore formé d’ici à la fin du mandat.
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14 h 39, le 14 août 2018