Plus qu’une lenteur, c’est la stagnation qui caractérise l’état actuel du processus de formation du nouveau cabinet. Toutes les parties campent sur leurs positions, lesquelles ne sont pas justifiées par quelque souci d’appliquer la Constitution, comme veulent le faire croire certaines forces politiques pour justifier la quote-part qui leur reviendrait. Qui plus est, certains vont jusqu’à innover des coutumes en la matière, comme la prétendue tradition de désigner un vice-président du Conseil qui relèverait du président de la République.
C’est d’ailleurs pour camoufler ces hérésies que des forces politiques proches du Hezbollah, voire du Courant patriotique libre (CPL), réorientent le débat vers quelque ingérence saoudienne qui entraverait la naissance du nouveau cabinet.
S’il y a une part de vérité, c’est que la configuration du nouveau Parlement est le reflet des rapports de force régionaux. Et c’est dans cette configuration qu’il faudrait chercher les motivations du Courant patriotique libre (CPL), qui s’attache à obtenir le tiers de blocage dans le prochain gouvernement.
Une évaluation neutre des résultats des législatives indique que ni le 14 Mars ni le 8 Mars ne détient la majorité parlementaire. Un constat qui va à l’encontre de la déclaration de Qassem Soleimani, le chef de la Force al-Qods des gardiens de la révolution, qui avait décrit une prétendue majorité parlementaire de 74 députés acquise au Hezbollah. Les précisions du député Mohammad Raad, chef du groupe parlementaire du Hezbollah qui s’était hâté de rectifier le tir en évoquant des majorités fluides, sont plus plausibles.
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En effet, il s’avère qu’aucune coalition ne peut prétendre à la majorité parlementaire renforcée sans le CPL, qu’il s’agisse de l’ex-14 Mars qui se redessine (Futur, Forces libanaises, Parti socialiste progressiste et certains indépendants) ou du 8 Mars (Amal, Hezbollah, Marada, Parti syrien national social, avec des indépendants). Les premiers ne comptent à leur actif que 54 sièges parlementaires, et les seconds ne peuvent se targuer de plus de 45 députés. Seul le bloc de Gebran Bassil avec ses 29 députés est à même de décider, en fonction de son alliance avec l’un ou l’autre camp, qui des deux sera majoritaire. Ce bloc est le seul à pouvoir servir de point de bascule du balancier politique, un rôle jusqu’alors réservé au groupe joumblattiste.
Et c’est justement pour cette raison que le CPL, conscient de cet atout, évite pour l’instant de s’aventurer à prendre des positions tranchées à l’égard de l’un ou l’autre des deux camps. Il veut peser le pour et le contre de chaque prise de position, et tient à obtenir des acquis ou des garanties susceptibles d’être capitalisés entre autres au niveau de l’échéance de la présidentielle de 2022, convoitée d’ores et déjà par Gebran Bassil.
Pour ce faire, le CPL semble anticiper sur les développements régionaux – qui ne sont pas sans lui causer une forme d’inquiétude, voire de paranoïa – en fortifiant sa position sur l’échiquier national.
C’est cela tout l’objectif du tiers de blocage qu’il tient à obtenir au sein du nouveau cabinet et qu’il présente comme un droit acquis.
Les appréhensions aounistes sont aussi d’ordre interne : voyant les alliances ou ententes se faire en fonction des échéances en vue et se défaire abusivement une fois ces échéances passées, le CPL n’est pas sans craindre un éventuel coup d’État contre le pouvoir. Le tiers de blocage paraît comme l’immunité dont il a besoin pour la période à venir, la seule protection solide contre le tandem chiite et le contrepoids le plus efficace au trio Futur-FL-PSP qui se redessine.
La question que se posent tous les milieux politiques est de savoir jusqu’où ira la stagnation, alors que chaque camp continue de camper sur ses positions.
Selon des sources diplomatiques occidentales, une intervention de l’étranger finira par s’avérer inévitable, comme elle l’a été pour le déblocage de la présidentielle. Mais quand prévoir une telle intervention ? Pas de gouvernement avant une solution politique en Syrie, disent les milieux politiques qui se basent sur le point de vue officieux du Hezbollah, qui assimile la naissance du cabinet Hariri à un cadeau de Noël.
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Le hezb a plus de similarité avec les FL qu’avec le CPL ... la question de ses armes et de son allégeance à l’iran Est passager malgré les affirmations répéter du contraire même concernant la Syrie
19 h 30, le 09 août 2018