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Culture - Interview

Ibrahim Maalouf : Mon père nous empêchait de parler une autre langue que l’arabe !

Le musicien franco-libanais, de passage à Beyrouth pour une reconnaissance avant son concert*, retrace en dix lettres et dix thèmes son parcours depuis le berceau (peu douillet) du classique où il a été bercé jusqu’à son affranchissement artistique dont il a édifié son univers sonore libre et personnel...

Ibrahim Maalouf. Photo Anne Ilcinkas.

D comme… devise
À y repenser, ma devise découle de la leçon la plus précieuse que mon métier m’a apprise. Au risque de passer pour un vieux con, j’ai réalisé que pour se construire, il fallait faire confiance aux rencontres, suivre leur fleuve, se laisser conduire de l’une à l’autre et, en même temps, ne faire réellement confiance à personne. J’ai trouvé une forme d’équilibre au cœur de cette contradiction. Une question de dosage, je crois.

E comme… exil
Tout en s’implantant en France au moment de la guerre civile libanaise, d’abord parce qu’on pensait que cet exil était temporaire, et ensuite parce qu’on se rendait à Beyrouth dès que la situation l’autorisait, ma famille est restée foncièrement enracinée au Liban. À la maison, on mangeait libanais, Fayrouz et Oum Kalsoum se relayaient dans le transistor et mon père nous empêchait même de parler une autre langue que l’arabe. Cela m’a permis de construire ma propre représentation du Liban, qui est en fait une sorte de mosaïque fantasmée d’un Liban mélangé à un Liban français.



F comme… figures de référence
Du plus loin que me reviennent mes souvenirs, les photos de Maurice André étaient parsemées dans tous les coins de la maison. Si bien que j’ai longtemps cru, avec une profonde conviction, qu’il était mon grand-père.
Ensuite, il y a eu la découverte, bouleversante, du personnage de Michael Jackson qui cassait tous les codes et me prouvait que le talent pouvait se jouer ailleurs que dans le registre classique auquel j’avais été biberonné. En termes d’idoles, je pense également à Fayrouz et Oum Kalsoum évidemment, cela va sans dire, et avant tout à mon père (Nassim Maalouf, trompettiste qui a inventé la trompette quart de ton, NDLR), dont j’admire l’opiniâtreté et le parcours.
Sa vie serait digne d’un film.

I comme… improvisation
L’initiation à l’improvisation, dont j’ai par la suite fait une partie intégrante de ma musique, a coïncidé avec l’époque où je me suis affranchi artistiquement du schéma dans lequel j’étais jusqu’alors enfermé. J’avais 20 ans environ et je comprenais alors que la musique représentait un champ bien plus vaste qu’une succession de compétitions et de mises à l’épreuve. Je me rendais compte que la musique est avant tout un plaisir. Cette découverte de l’improvisation était si précieuse que j’ai ressenti le besoin de la partager en devenant prof d’impro au CRR (Conservatoire à rayonnement régional) de Paris. En outre, j’organise jusqu’à présent des concerts d’improvisation géants, parfois à plus de 2 000 musiciens. Ce sont des moments où une insondable magie émane de cette communion spontanée et sans calculs.

L comme… liberté
Si mes parents, mon père en particulier, m’ont inculqué une certaine culture de la rigueur doublée d’une quête permanente de perfection, ils m’ont dans un même temps répété qu’il est essentiel de se tromper pour mieux apprendre. C’est ainsi que je pense m’être construit en n’ayant pas peur des erreurs, en ne craignant pas d’être dans la marge. Cette extrême liberté a contribué à la création de mon univers sonore autonome à la croisée des chemins musicaux.

O comme… Oum Kalsoum
En 2015, j’ai sorti l’album Kalthoum dans lequel je proposais ma relecture du célèbre Alf Leila Wa Leila de la diva égyptienne, que j’avais accompagnée d’improvisations à la trompette. Je me languis déjà de rejouer ce répertoire le 11 août, dans le cadre du Festival de Batroun. Je viens tout juste de visiter ce lieu sublime, presque irréel, qui, je trouve, convient bien à l’astre Oum Kalsoum.

P comme… papa
Je pense avoir réussi à me sortir de ce qui aurait pu être un piège : la présence d’un père à la fois extrêmement inspirante et intimidante dont l’influence risquait de m’encombrer. Il a fallu que je m’affranchisse artistiquement de cette tutelle, toutefois en conservant précieusement les outils que mon père m’avait donnés tout au long de mon enfance. Que je développe librement tout ce matériel précieux qu’il m’a légué, que je le réinvente à ma manière. Aujourd’hui, je ne retiens que le meilleur : cette chance inouïe d’avoir eu ce modèle, cet aiguillon qui m’a mis un métier entre les mains.

R comme… rêve
Je m’en tiens à distance car le problème du rêve, c’est qu’il marque à chaque fois les prémices d’une désillusion. J’essaye, du mieux possible, d’ancrer tous mes fantasmes dans la réalité, à défaut d’être déçu.

S comme… souvenir (le plus marquant)
Sans l’ombre d’un doute, lorsque mon père a partagé la scène avec moi, au Casino du Liban en mai 2016. C’était la première fois qu’il assistait à l’un de mes concerts et qu’en plus, il y jouait avec moi. Rien qu’à l’idée, je suis bouleversé.

T comme… transmission
Je garde un souvenir marquant depuis mon enfance : lorsque mon père, d’ordinaire sévère et rigide, me donnait des cours de trompette, il devenait presque quelqu’un d’autre. On entrait en fusion grâce à ce qu’il me léguait. De ces images qui ne m’ont jamais quitté, j’ai développé un goût pour la transmission et l’enseignement. Je pense que pour continuer à apprendre, il faut transmettre, donner, enseigner. Cela dépasse les frontières de la musique.

*Ibrahim Maalouf, le 11 août 2018 dans le cadre du Festival de Batroun.


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D comme… deviseÀ y repenser, ma devise découle de la leçon la plus précieuse que mon métier m’a apprise. Au risque de passer pour un vieux con, j’ai réalisé que pour se construire, il fallait faire confiance aux rencontres, suivre leur fleuve, se laisser conduire de l’une à l’autre et, en même temps, ne faire réellement confiance à personne. J’ai trouvé une forme...

commentaires (1)

J'ai booké pour son prochain concert à la Seine musicale...en janvier 2019. Morte d'impatience!

Marionet

17 h 06, le 28 juillet 2018

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Commentaires (1)

  • J'ai booké pour son prochain concert à la Seine musicale...en janvier 2019. Morte d'impatience!

    Marionet

    17 h 06, le 28 juillet 2018

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