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Moyen Orient et Monde - Reportage

Les druzes d’Israël, entre loyauté et dissidence

Depuis l’adoption le 19 juillet par le Parlement israélien d’une loi définissant Israël comme « l’État-nation du peuple juif », la révolte gronde dans les rangs de la communauté druze. Historiquement fidèle à l’État hébreu – et à son armée –, celle-ci s’estime discriminée par ce texte. Soldats et généraux druzes ont pris la tête de la contestation, mais pour les refuzniks de cette minorité religieuse, cette loi controversée n’est en rien une surprise.

Les leaders de la communauté druze manifestaient contre la loi sur l’État-nation samedi dernier à Tel-Aviv. Corinna Kern/Reuters

Placardé sur la porte d’entrée du cimetière militaire, au sommet du mont Carmel, ces mots en hébreu : « Hommage aux soldats druzes tombés, nous ne vous avons pas honorés comme nous l’aurions dû. » Amir, muscles saillants et pantalon kaki, regarde le panneau avec un sourire triste. « C’est un voisin juif qui a écrit ça, ça fait plaisir », confie ce druze de 39 ans, un vétéran de l’armée israélienne qui a servi pendant la deuxième intifada. Croyant en la réincarnation, les sépultures druzes sont traditionnellement dépourvues de stèle nominative. Mais exception est faite, ici, pour ceux qui sont tombés pour la patrie. Sur les dalles de pierre, plus de 400 noms de soldats druzes. Les premiers remontent à 1938, soit une décennie avant la fondation de l’État d’Israël.

Environ 83 % des jeunes druzes servent dans les rangs de l’armée, soit le taux d’engagement le plus élevé du pays, tous groupes confondus. « Nous avons donné nos vies, et plus encore. Et maintenant, le gouvernement veut faire de nous des citoyens de seconde classe. Pourquoi? » se demande le colosse en arpentant les allées du cimetière sous un soleil brûlant. C’est justement parce qu’ils ont donné leurs vies pour la nation que tant de soldats et officiers druzes, une minorité religieuse arabophone professant un islam très hétérodoxe et estimée à 130 000 membres dans le pays, mènent aujourd’hui la contestation contre l’adoption d’une loi fondamentale. Un texte, en gestation depuis 2012, qui pour la première fois ancre Israël en tant que « foyer national du peuple juif » et qui détermine que « le droit à l’exercice de l’autodétermination nationale au sein de l’État d’Israël est propre à la population juive », suscitant de nombreuses critiques au sein des minorités du pays, de l’opposition et de la diaspora. Samedi dernier, ils étaient environ 50 000 à prendre d’assaut les rues de Tel-Aviv pour protester contre ce texte jugé discriminatoire et vécu comme un coup de canif dans le « pacte de sang » qui lie les druzes à Israël depuis 1948.
« Tout ce que nous voulons, c’est être des citoyens égaux. Juifs, druzes, chrétiens, musulmans, bédouins... Nous sommes tous des Israéliens. Nous devons changer cette mauvaise loi », assène l’ex-brigadier général Amal Assad, qui mène aujourd’hui la fronde des officiers druzes. Sur les réseaux sociaux, il s’était fendu quelques jours plus tôt d’un texte cinglant affirmant qu’avec l’adoption de cette législation, Israël risquait d’emprunter le chemin de l’apartheid. Indigné par ces mots, le Premier ministre Benjamin Netanyahu n’avait pas hésité à quitter furieusement – et théâtralement – une réunion de sortie de crise qu’il tenait avec des leaders de la communauté druze, dont Amal Assad.


(Lire aussi : Avec la loi sur "l'Etat-nation juif", Netanyahu prépare les futures élections)

« Un système de castes, comme en Inde ! »
Pour ces contestataires, la nouvelle loi n’est pas problématique pour ce qu’elle dit – beaucoup reconnaissent le droit des juifs israéliens, majoritaires, à définir le pays comme leur État-nation –, mais plutôt pour ce qu’elle ne proclame pas : l’égalité entre tous les citoyens. M. Netanyahu a balayé d’un revers de la main la possibilité d’amender la loi, mais pour apaiser les tensions, il a proposé une nouvelle législation offrant des avantages aux membres des groupes issus des minorités qui servent dans les forces de sécurité, ainsi qu’un soutien financier aux institutions religieuses, éducatives et culturelles druzes.
Une proposition qui convient à Amal Nasereldeen, ancien membre de la Knesset (Likoud) qui était en poste au Liban-Sud pendant l’occupation israélienne, et qui préside aujourd’hui un mémorial honorant les membres de sa communauté morts au service d’Israël. « C’est leur droit d’avoir un État juif, mais nous demandons une loi qui protège les druzes en particulier, parce que nous les avons soutenus depuis toujours », estime ce responsable qui a perdu un fils lors de la guerre d’usure avec l’Égypte, en 1969, et un petit-fils lors de la guerre à Gaza de 2008. Dans la famille Nasereldeen, on est prêt à payer le prix du sang pour l’État. « S’il le faut, un druze israélien se battra contre un druze libanais », insiste son cadet.

Mais des dispositions spéciales pour les druzes font craindre aux critiques de Benjamin Netanyahu la codification d’un système qui hiérarchiserait les communautés du pays sur des bases ethno-religieuses. Avec les juifs israéliens en première position, suivis des minorités considérées comme « loyales », et les autres, tels que les Arabes israéliens. « Ce serait un système de castes, comme en Inde ! » objecte-t-on à la mairie de Daliyat al-Carmel, principal bastion druze d’Israël.


(Lire aussi : Les druzes pris au piège des faveurs de Netanyahu)


« Avant, on faisait flotter le drapeau israélien »
Dans cette bourgade du nord du pays, on se plaint depuis des années déjà de négligences, voire de discriminations à l’égard de la communauté druze. Ici, 70 % des habitations ont été construites sans permis, car jamais délivrés, et 500 maisons ne sont même pas raccordées au réseau d’électricité publique. « Regardez à quoi ressemblent les villes juives de la région, et regardez à quoi ressemblent les nôtres », soupire-t-on sur le mont Carmel. Une marginalisation qui alimente depuis plusieurs années déjà une colère sourde. « Cette loi n’est pas une surprise. Ce qu’elle dit, on le vit déjà depuis des années. Dans mon village, 200 maisons n’ont pas l’électricité », s’insurge Maisane Hamdane, une druze laïc de 27 ans. Là où la majorité des membres de sa communauté rejettent la nouvelle loi mais jurent allégeance au pays, elle rejette l’État. Là où les druzes parlent de loyauté, elle – qui se considère comme palestinienne malgré son passeport israélien – parle d’asservissement.


(Lire aussi : Israël, un État-nation juif non démocratique)


 « Ils vivaient dans un rêve. Israël veut leur faire croire que c’est le seul endroit du Moyen-Orient qui peut les protéger, mais c’est faux. Les druzes ont été élevés dans l’optique que l’égalité est une faveur qui se gagne en échange de son service. Mais dans quel genre de démocratie est-ce qu’on voit ça ? » se demande Maisane Hamdane, qui milite contre le service militaire obligatoire pour les druzes. Rafat Harb, 26 ans, est l’un de ces objecteurs de conscience qui ont refusé de servir dans l’armée. Parce qu’il ne s’est pas présenté au moment d’être appelé à servir, il a écopé de 20 jours de prison. Il s’est alors rendu à l’hôpital, où il a faussement affirmé avoir des pensées suicidaires, et a été déclaré inapte au service militaire. Libéré, il décide d’entamer des études en psychologie. « Il est dit que ceux qui étudient la santé mentale sont tous des fous. Moi, j’ai le document qui le prouve », ironise-t-il avec un sourire en coin. Refuser d’intégrer l’armée a constitué un affront à sa communauté, mais surtout à sa propre famille : ses cinq frères aînés, ses « héros », ont tous fait l’armée.

Mais aujourd’hui, Rafat Harb n’est plus le seul à remettre en question le soutien aveugle des druzes à l’État hébreu. « Avant, on faisait flotter le drapeau israélien sur notre toit. Plus maintenant. Je suis fier de dire que j’ai réussi à faire changer d’avis ma famille sur l’armée. Je ne pense pas que mes frères feront faire le service militaire à leurs fils », se félicite le jeune homme. « Maintenant, sourit Rafat, le débat au sein de ma famille est de savoir si on est israéliens ou palestiniens. Ma grand-mère et moi, nous nous considérons comme palestiniens. »


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Placardé sur la porte d’entrée du cimetière militaire, au sommet du mont Carmel, ces mots en hébreu : « Hommage aux soldats druzes tombés, nous ne vous avons pas honorés comme nous l’aurions dû. » Amir, muscles saillants et pantalon kaki, regarde le panneau avec un sourire triste. « C’est un voisin juif qui a écrit ça, ça fait plaisir », confie ce...

commentaires (3)

Y quelque chose qui ne joue pas. Depuis lacreation d'Israel, les medias (et surtout les media arabes)le qualifie d'etat juif, et maintenant qu'Israel le confirme, voila que tout le monde s'inquiete? Non mais c'est quoi ca?

IMB a SPO

15 h 29, le 09 août 2018

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Commentaires (3)

  • Y quelque chose qui ne joue pas. Depuis lacreation d'Israel, les medias (et surtout les media arabes)le qualifie d'etat juif, et maintenant qu'Israel le confirme, voila que tout le monde s'inquiete? Non mais c'est quoi ca?

    IMB a SPO

    15 h 29, le 09 août 2018

  • FIDELES CITOYENS ISRAELIENS OU TRAITRES PALESTINIENS ?

    LA LIBRE EXPRESSION

    07 h 27, le 09 août 2018

  • Cette loi est une bonne chosee. Elle rend plus explicite l'état de fait qui est déjà consubstantiel à l'état israélien. Il est temps que les druzes se réveillent

    Jean abou Fayez

    04 h 54, le 09 août 2018

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