En ces temps de régression populiste et nationaliste un peu partout dans le monde, la Knesset vient de frapper très fort avec l’adoption, le 9 juillet, d’une loi fondamentale consacrant l’État d’Israël comme l’État-nation du peuple juif.
Pour son principal inspirateur, le Premier ministre Benjamin Netanyahu, « c’est un moment décisif dans les annales du sionisme et de l’histoire de l’État ». Et il a raison. C’est bien un tournant dans lequel le pouvoir en place composé des partis de droite et d’extrême droite nationalistes et religieux constitutionnalise le caractère juif de l’État. Son rapporteur, Avi Dichter (Likoud), a été très clair : « Israël est l’État de tous ses citoyens individuels, (mais) ce n’est pas et ne sera pas l’État-nation d’une minorité qui y habite (…). Il s’agit d’un droit que ce projet de loi donne au seul peuple juif. » Formules qu’on retrouve dès l’article 1 de la loi : « Le droit d’exercer l’autodétermination nationale dans l’État d’Israël est propre au peuple juif. »
Débat existentiel
Les Arabes israéliens, c’est-à-dire les Palestiniens d’Israël (1,8 million sur une population globale de 8,8 millions en 2018), qui ont toujours été, dans les faits, des citoyens de seconde zone – de 1948 à 1965, ils étaient même soumis à un régime militaire – sont donc désormais exclus de jure de l’essentiel de la citoyenneté, c’est-à-dire de leur participation à la souveraineté indissociable des fondements mêmes d’une démocratie. Dans le prolongement de cette discrimination structurelle, la langue arabe, jusque-là considérée comme officielle, est rétrogradée au rang d’un vague « statut spécial » en des termes d’ailleurs assez confus (art. 4) : « La langue de l’État est l’hébreu. La langue arabe a un statut spécial dans l’État... Cette disposition ne porte pas atteinte au statut accordé à la langue arabe avant que cette loi n’entre en application »... Les députés arabes de la Knesset n’ont pas eu de mots assez durs pour critiquer une loi « d’apartheid, raciste et ultranationaliste qui ne peut effacer le fait que deux nations vivent ici » (Ayman Odeh) et annoncerait « la mort de la démocratie » (Ahmad Tibi). Les représentants de la communauté druze, dont les membres servent dans les rangs de l’armée, ont aussi lancé une vigoureuse campagne de protestation. L’opposition à cette loi va bien au-delà des minorités, d’autant qu’elle n’a été adoptée que par 62 voix contre 55 (sur 120 députés). Plusieurs grandes figures travaillistes, voire certains membres éminents du Likoud, l’ont également contestée, notamment au nom de la défense des droits de l’homme ou du principe d’égalité. En outre, de nombreux intellectuels, dont Amos Oz, David Grossman et A.B. Yehoshua, ont écrit au Premier ministre pour exiger « l’abolition immédiate (d’une) loi (qui) sape la coexistence de la majorité juive en Israël avec ses minorités ».
Ce débat sur les conditions permettant à Israël d’être à la fois un État juif et démocratique est aussi essentiel qu’ancien. Il se pose en fait dès les origines du sionisme tout entier tendu vers la création d’un État juif : comment garantir le caractère juif de l’État tout en respectant les principes d’égalité pour tous les citoyens ? La Déclaration d’indépendance de 1948 avait ouvert une voie de synthèse, plus tard confortée par les deux lois fondamentales sur les droits de l’homme adoptées en 1992. Ce texte en prend l’exact contrepied et clôt le débat.
Quoi qu’en dise Benjamin Netanyahu, le caractère juif de l’État l’emporte constitutionnellement sur son caractère démocratique. Et, comme l’a rappelé le chef de l’État, Reuven Rivlin (Likoud), il est en contradiction avec la Déclaration d’indépendance de 1948 qui stipule que : « L’État d’Israël sera fondé sur les principes de liberté, de justice et de paix enseignés par les prophètes d’Israël ; il assurera une complète égalité de droits sociaux et politiques à tous ses citoyens, sans distinction de croyance, de race ou de sexe... » Ce nouveau texte est donc aussi en rupture avec les deux lois fondamentales de 1992 et intégrées au corpus constitutionnel. Ces contradictions devront, un jour, être traitées par la Cour suprême.
(Lire aussi : Les druzes pris au piège des faveurs de Netanyahu)
Renforcer la colonisation
Ce texte est aussi crucial pour le conflit israélo-palestinien puisqu’il consacre des positions sur Jérusalem et les colonies en totale contradiction avec le droit international.
Il réitère l’affirmation selon laquelle « Jérusalem, entière et réunifiée, est la capitale d’Israël ». Une posture naturellement ancienne mais considérablement renforcée par la décision de Donald Trump d’y transférer, en mai dernier, l’ambassade des États-Unis.
Par ailleurs, le texte stipule que : « L’État considère le développement des colonies juives comme une valeur nationale et agira pour encourager et promouvoir leur création et leur renforcement. » Par cette déclaration intégrée à un texte constitutionnel, la colonisation, critiquée en Israël même et absolument contraire à la légalité internationale, est érigée en une « valeur » constitutive de l’identité de l’État. Cela traduit et renforce la détermination des partis de droite et d’extrême droite à poursuivre un processus qui a permis, à ce jour, à plus de 600 000 Israéliens de s’installer dans le territoire palestinien occupé en Cisjordanie et à Jérusalem-Est. En définitive, ce texte confirme que ce gouvernement ne veut en aucun cas d’une solution négociée. Et encore moins d’un État palestinien. La seule réalité qui compte pour lui est le rapport de forces et, sur cette base, la prochaine séquence sera l’annexion d’une partie de la Cisjordanie.
Cette loi fondamentale parachève donc une évolution déjà ancienne, marquée du sceau d’un nationalisme ancré dans une conception ethniciste de l’État-nation arcbouté sur l’ivresse de puissance que lui confère la force de son armée. Ce texte dévoile donc l’État d’Israël tel qu’il est aujourd’hui sous la férule des droites : un État nationaliste et colonial qui déploie de multiples formes de discriminations structurelles – envers les / des minorités en Israël et les Palestiniens dans les territoires occupés. Ce système a un nom : l’apartheid.
Professeur émérite des Universités, président de l’Institut de Recherche et d’Études Méditerranée Moyen-Orient (Paris) et directeur de la revue « Confluences-Méditerranée ». Dernier ouvrage : « Israël face à Israël » (avec Pierre Blanc, Autrement, 2018).
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commentaires (3)
C'est la fin d'Israel je ne sais pas combien de temps elle va survivre, c' est une dictature. Quand à la démocratie c'est comme tout le moyen orient ils parlent de démocratie mais ils ne savent pas ce que c'est. Le Liban encore c'est une démocratie, jusqu'à quand?
Eleni Caridopoulou
20 h 50, le 04 août 2018