Entre les États-Unis et l’Iran, le bras de fer commence réellement maintenant. Washington est passé hier de la parole aux actes en confirmant le retour des mesures économiques punitives. Côté américain, la stratégie est on ne peut plus limpide : isoler l’Iran, l’étouffer économiquement et encourager ainsi la population à se rebeller contre le régime. Le plan américain a déjà porté ses premiers fruits : les entreprises européennes ont renoncé au marché iranien, les manifestations de la population se multiplient, le rial a perdu plus de la moitié de sa valeur par rapport au dollar, la côte de popularité du président Hassan Rohani est au plus bas et les slogans dénonçant la corruption du régime et la politique étrangère des gardiens de la révolution font florès. Les dirigeants iraniens donnent l’impression de vouloir faire le dos rond en attendant que la tempête passe, mais l’inquiétude commence clairement à gagner leurs rangs. La République islamique a décidé dimanche, selon des propos rapportés par la télévision iranienne, d’assouplir sa politique économique en annulant le taux officiel fixe, en levant la restriction de change dans les bureaux et celle des limitations d’importation d’or et de monnaie étrangère. Le gouverneur de la Banque centrale iranienne, Abdolnaser Hemmati, a expliqué que ce plan démontrait la confiance de l’Iran avant le retour des sanctions. « Cela montre notre pouvoir. Le jour même où vous (les Américains) imposez des sanctions, nous ouvrons notre économie. Nous n’avons pas de problèmes, pourquoi notre peuple devrait-il dès lors s’inquiéter ? » a-t-il dit lors d’une interview diffusée en direct à la télévision.
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Le retour des sanctions américaines marque symboliquement la fin d’une très bonne séquence iranienne sur la scène internationale. Portée par le couple Rohani-Zarif, la signature de l’accord nucléaire a suscité beaucoup d’espoir au sein de la population. Cette ouverture vers l’Occident était acceptable pour le clan des durs dans la mesure où elle ne remettait pas en question la politique interventionniste des pasdaran au Moyen-Orient, qui ont même largement consolidé leur influence au cours de ces dernières années. Malgré une économie au ralenti, le ciel était plutôt au beau fixe pour Téhéran avec d’une part la perspective des investissements étrangers, de l’autre le renforcement de ses positions dans la région. Ces deux tableaux sont désormais simultanément menacés par la volonté américaine de couper les tentacules de la pieuvre iranienne.
La politique américaine a pour premier effet de sérieusement affaiblir les positions des modérés du régime, en particulier celle du président Hassan Rohani. Ce dernier s’est fait élire en 2013, puis réélire en 2017, en faisant de l’économie, de la lutte contre le chômage et de l’accord sur le nucléaire les priorités de ses deux mandats. Ce sont ces électeurs qui sont aujourd’hui les plus déçus. La situation semble lui échapper et le président manque clairement de marge de manœuvre. « S’il y avait une lutte efficace contre la corruption, qui est aujourd’hui virale en Iran, il y aurait des moyens pour le régime de trouver des fonds pour les injecter dans des politiques économiques et sociales », dit à L’Orient-Le Jour Jonathan Piron, historien et politologue spécialiste de l’Iran. « Le problème, c’est que l’économie est très mal gérée aujourd’hui. C’est un monstre énorme contre lequel l’administration Rohani a peu de prise », ajoute-t-il. Certaines factions de l’opposition ont appelé au départ de M. Rohani. Mais ce dernier a pour l’instant l’avantage de servir de paratonnerre à l’ensemble du régime, et de donner une image susceptible de séduire les autres partenaires de l’accord, en premier lieu les Européens.
(Pour mémoire : Rohani isolé et en difficulté avant les sanctions américaines)
Impasse
Hassan Rohani n’est toutefois pas le seul à subir les critiques de la foule. Les pasdaran, véritables piliers du régime, sont accusés de privilégier les Gazaouis et le Hezbollah à la population, et même le guide suprême, Ali Khamenei, est directement visé par les critiques. Extrêmement résiliente, la société iranienne avait pris l’habitude de faire front commun contre l’ennemi extérieur depuis la révolution de 1979. C’est cette même résilience qui commence à se fissurer sous le poids des sanctions américaines et de la mauvaise gestion économique du pouvoir. « La situation économique et politique iranienne est dans une impasse. C’est une période sans précédent pour la République islamique et il est donc très difficile de prédire comment et combien de temps le régime va résister à cela », dit à L’Orient-Le Jour Ali Fethollah Nejad, spécialiste de l’Iran au Brookings Doha Center.
Le régime dispose toutefois de plusieurs armes qui pourraient lui permettre de gagner du temps. Il peut gérer la colère de la foule par la peur et par la force, et a déjà montré par le passé son savoir-faire en matière de répression. Aucune opposition crédible ni aucun leader charismatique n’est aujourd’hui en mesure de présenter une alternative à une mobilisation qui manque pour l’instant d’union et de structuration politique. Le régime peut enfin considérer que l’administration Trump ne sera pas éternelle et que son successeur pourrait être plus conciliant à son égard.
À quel point l’économie iranienne peut-elle survivre au retour des sanctions américaines, dans un contexte de crise sociale ? La réponse semble de moins en moins rassurante du côté de Téhéran. D’autant qu’une deuxième vague de sanctions est prévue pour le 4 novembre et pèsera cette fois sur le pétrole et le gaz iraniens. Le plus dur est donc à venir pour la République islamique.
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12 h 01, le 07 août 2018