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Liban - La psychanalyse, ni ange ni démon

Les entretiens préliminaires à une psychanalyse : l’énoncé des règles (suite V)

La deuxième règle de la psychanalyse est de payer les séances manquées : « La séance manquée est due. » Pratiquée du temps de Freud, par lui-même d’abord, elle a une fonction importante dans le déroulement de la cure analytique. Mais son application stricte pose aujourd’hui beaucoup de problèmes qui, parfois, desservent l’analyste et discréditent la psychanalyse elle-même.
Cette règle a deux versants : celui qui concerne l’analyste et celui qui concerne le patient. Pour ce qui est de l’analyste, ayant réservé un temps particulier pour son patient, entre deux et quatre séances par semaine, il perdrait son temps et ses honoraires si le patient ne venait pas. Il n’y a aucun doute qu’au début de la pratique, du temps de Freud et des premiers disciples, cette règle avait surtout ce sens-là. Comme le dit Paul Roazen (1936-2005), l’un des historiens scientifiques de la psychanalyse, Freud était ponctuel et n’aimait pas attendre. Après avoir décrit la ponctualité de Freud et donné quelques exemples, Roazen conclut ce paragraphe par : « Dans tous les cas, une séance manquée est due. »

Pour ce qui est de l’analysant, les théories divergent. La séance manquée est un acte manqué et, comme tout acte manqué, cela a du sens, l’absence du patient ici marque en fait sa présence. Que la séance manquée ait été oubliée ou volontaire, l’interprétation analytique de la séance manquée devient possible, comme tout autre élément interprétable pendant la cure. Kurt Eissler (1908-1999), fondateur et secrétaire des Archives Sigmund Freud jusqu’à sa mort, distinguait la Règle contractuelle où toute séance manquée est due, quelle que soit la raison invoquée par le patient, d’un « gentlemen’s agreement » où dans certaines conditions la séance manquée n’est pas due. Par exemple lorsque le patient prévient l’analyste de son absence avec un certain délai raisonnable. Ou bien lorsque dans les circonstances de la vie du patient un événement inattendu advient : voyage imprévu pour des raisons professionnelles, accident, mort d’un proche, impossibilité d’arriver à temps à cause d’embouteillages imprévus, etc.

« Pile je gagne, face tu perds »
Pour les tenants de la règle absolue, sans aucun écart, on a vu un analyste, au nom d’une opposition entre la réalité du patient et ses fantasmes, faire payer à une analysante les séances manquées pendant le dernier mois de sa grossesse et le premier mois de son accouchement. Quelles que soient les raisons théoriques de cet analyste, son comportement est honteux, discrédite la psychanalyse qu’il pratique et la psychanalyse dans son ensemble. Ce comportement est paradoxal et témoigne de la toute-puissance de l’analyste. C’est comme si l’analyste jouait à « pile ou face » en énonçant implicitement à l’analysant « Pile je gagne, face tu perds ». Vu la grande sujétion qu’il exerce sur ses patients, souvent ces derniers acceptent et finissent par adopter une attitude soumise et silencieuse qui les empêche de dire ce qu’ils pensent. Ainsi, la règle principale de l’analyse « Dites ce qui vous passe par la tête » devient impossible à appliquer. Surtout ce qu’ils pensent de leur analyste, silence qui les conduit à des analyses sans fin. Ainsi, face à l’omnipotence et à la toute-puissance de l’analyste vis-à-vis de son patient, le patient répond par une lutte par le silence, silence contre sa propre ambivalence à l’égard de l’analyste. L’analyse devient ainsi interminable et la relation avec l’analyste jamais dénouée.

Enfin, pour les analysants en formation, futurs analystes, ce genre de pratiques qui leur imposent absolument la règle de la séance manquée, séance due les amènent à agir de la même manière avec leurs propres patients. Sans le savoir, ils agiront selon le mécanisme de défense de l’identification à l’agresseur. Inconsciemment, ils agresseront leurs patients comme ils ont été agressés par leur propre analyste. Nous verrons la prochaine fois comment résoudre ce paradoxe.


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N'importe quel professionnel lettré dans n'importe quel domaine d'activité, qui travaille dans une bureau, en général climatisé, peut occuper intelligemment les 45 minutes d'une séance manquée; en lisant, en liquidant des affaires administratives, en téléphonant à des parents, amis, patients, collègues, etc. Faire payer une absence à un fidèle client/patient relève de la petitesse de certains psychanalystes.

Shou fi

16 h 41, le 26 juillet 2018

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Commentaires (1)

  • N'importe quel professionnel lettré dans n'importe quel domaine d'activité, qui travaille dans une bureau, en général climatisé, peut occuper intelligemment les 45 minutes d'une séance manquée; en lisant, en liquidant des affaires administratives, en téléphonant à des parents, amis, patients, collègues, etc. Faire payer une absence à un fidèle client/patient relève de la petitesse de certains psychanalystes.

    Shou fi

    16 h 41, le 26 juillet 2018

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