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Moyen Orient et Monde - Syrie

Face à la versatilité américaine, le Rojava en appelle à Damas

La région semi autonome du Kurdistan syrien s’est dit prête à négocier avec le régime de Bachar el-Assad pour conserver ses territoires gagnés depuis le début de la guerre.

Les Kurdes défilent en soutien à la ville de Afrine dans la ville de Jawadiya, le 18 janvier 2018. Delil Souleiman/AFP

Les Kurdes syriens auront-ils préféré le régime de Bachar el-Assad à leurs alliés américains ? Des responsables du Rojava (Kurdistan syrien, avec pour capitale Qamichli) ont affirmé hier vouloir négocier avec Damas pour conserver leurs territoires acquis tout au long de la guerre et reprendre, dans le même temps, les zones conquises par l’armée turque et ses supplétifs de l’Armée syrienne libre (ASL) à la frontière turco-syrienne. En échange, ces mêmes responsables kurdes se sont dit prêts à participer à une opération aux côtés du gouvernement syrien dans la région d’Idleb, dans le nord-ouest du pays. Celle-ci est actuellement tenue par des factions rebelles, soutenues par la Turquie, et jihadistes, dominées par le groupe Hay’at Tahrir el-Cham, l’ex-branche d’el-Qaëda en Syrie. Cette région représentera également l’ultime étape de la reconquête du territoire syrien par le régime et ses alliés russes et iraniens, après la reprise totale des territoires rebelles du Sud syrien.

Selon l’agence de presse kurde Rudaw, le Rojava cherche à mener des pressions directement sur les troupes turques à Idleb pour permettre la libération des territoires anciennement contrôlés par les Kurdes, notamment l’enclave de Afrine, prise par les Turcs le 18 mars dernier. « L’une des étapes vers la libération de Afrine est que nous devons faire pression sur la Turquie et lui demander de se retirer complètement du territoire syrien – et de nos enclaves en particulier », affirme Aldar Khalil, coprésident de l’organe exécutif du Mouvement pour une Société démocratique (TEV-DEM), cité par Rudaw. « Pour les expulser (les Turcs), nous devons recourir à tous les moyens nécessaires, qu’il s’agisse d’efforts diplomatiques, militaires ou médiatiques (…). La défaite des troupes turques à Idleb ouvrirait la voie à leur défaite à Afrine », a-t-il ajouté. Toutefois, derrière toute cette démarche entreprise par les Kurdes se trouve l’attitude versatile des États-Unis ces derniers mois.


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La versatilité américaine
Washington soutient la coalition arabo-kurde des Forces démocratiques syriennes (FDS), dans le cadre de la coalition internationale contre le groupe État islamique. Elles opèrent essentiellement dans l’Est syrien et ont participé à la libération de plusieurs grandes villes dont celle de Manbij et de Raqqa, ancienne capitale autoproclamée de l’EI en Syrie.
Mais les choses ont pris un nouveau tour le 20 janvier dernier lors de l’entrée sur le territoire syrien des troupes turques, dans le cadre de l’opération « Rameau d’olivier » contre les Kurdes des YPG (Unités de protection du peuple), considérés par Ankara comme des terroristes proches du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan). Face à l’avancée des forces proturques, les Américains sont restés silencieux, pour éviter sans doute de se brouiller encore plus avec la Turquie, partenaire de Washington au sein de l’OTAN.

Ainsi, en l’absence du soutien américain, les Kurdes ont dû céder un à un des territoires qu’ils occupaient dans le nord-ouest du pays. « Nous nous sommes sentis abandonnés », dit Ilham Ahmed, une représentante de la branche politique des FDS. Par ailleurs, les déclarations contradictoires au sein de l’administration américaine n’ont pas arrangé les choses. Le président américain Donald Trump avait annoncé dès le début du mois d‘avril vouloir retirer ses troupes présentes sur le territoire syrien. Une information nuancée par d’autres hauts responsables américains. Cette contradiction et cette incertitude ont donc poussé les Kurdes à prendre leur distance de leurs alliés et à trouver une possible solution en dialoguant directement avec Damas.


(Lire aussi : Vers un changement de la politique turque en Syrie après la réélection d’Erdogan ?)


Se montrer « raisonnable »
« Nous avons la conviction qu’il faut ouvrir des canaux de dialogue (...). La Constitution, le processus politique, tout cela ne sera pas résolu sans le régime », souligne Ilham Ahmed. « Le régime ne va pas disparaître », ajoute-t-elle.Le Rojava et Damas ont connu depuis le début du conflit syrien des relations ambiguës, alternant entre périodes de rapprochement et de tensions. Les deux parties avaient d’ailleurs déjà discuté d’un possible renforcement de l’autonomie du Rojava. En septembre 2017, le ministre syrien des Affaires étrangères, Walid Moallem, avait annoncé la possibilité d’une « négociation » pour une autonomie plus grande de la région, tout en rejetant catégoriquement l’option d’une indépendance du Rojava. Mais trois mois plus tard, Bachar el-Assad, qui n’a jamais caché sa volonté de reconquérir tout le territoire syrien, accusait les Kurdes d’être des « traîtres » en raison de leur coopération avec les Américains. En réponse, les Kurdes avaient accusé le régime d’avoir ouvert les frontières aux jihadistes étrangers.

Mais cette fois, si un éventuel accord entre le Rojava et le régime syrien est signé, il ne pourra se faire qu’avec des concessions de la part des Kurdes, notamment en ce qui concerne la question des territoires autonomes. Le régime syrien, ayant reconquis une grosse partie des territoires rebelles du pays, apparaît également en position de force par rapport au Rojava qui, lui, semble dos au mur. « Un accord n’est possible que si les Kurdes se montrent raisonnables. Ils ne peuvent pas prétendre conserver tous les territoires qu’ils occupent à l’heure actuelle grâce à la lutte victorieuse contre l’EI. Une grande partie de ces territoires sont arabes et non pas kurdes et je crois que c’est ça qui sera l’objet de la négociation », explique à L’Orient-Le Jour Gérard Chaliand, géostratège et spécialiste de la question kurde. « Les Kurdes sont dans une position compliquée. M. Erdogan veut grignoter au maximum toutes leurs prérogatives comme on l’a vu à Afrine mais aussi à Manbij. Il ne veut plus d’une autonomie de facto occupée par des Kurdes à sa frontière, qui est pour lui une menace », poursuit-il. « Les Kurdes ont donc intérêt à négocier un statu quo vivable avec Bachar el-Assad », conclut l’expert. Mais pour le régime syrien, qui n’a pas encore commenté l’offre kurde, l’heure est pour l’instant à la reprise des territoires rebelles du sud du pays.Reste aussi la réaction des Américains : seront-ils favorables à un rapprochement entre les Kurdes et Damas, ou bien mettront-ils des bâtons dans les roues de toute éventuelle négociation?



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