La nouvelle était prévisible. Alors que courait, ces derniers temps, le bruit d’un possible départ des forces kurdes de Manbij, l’information a été confirmée hier par les Unités de protection du peuple (YPG). La milice a annoncé le « retrait » de ses « conseillers militaires », deux ans après la prise de la ville dans le Nord syrien des mains de l’organisation État islamique dans le cadre de la coalition menée par Washington pour la lutte contre le groupe jihadiste. Dans un communiqué, les YPG affirment que leurs forces se sont retirées de Manbij en novembre 2016, mais que des conseillers étaient restés sur place pour travailler avec le conseil militaire local.
L’information a été rendue publique au lendemain de la rencontre entre le secrétaire d’État américain, Mike Pompeo, et le ministre turc des Affaires étrangères, Mevlüt Cavusoglu, à Washington. Lors de ce rendez-vous, ils « ont approuvé une feuille de route et souligné leur engagement mutuel à sa mise en œuvre », a précisé le département d’État. Il y a une dizaine de jours, l’ambassade américaine à Ankara et le ministère turc des Affaires étrangères avaient déjà indiqué dans un communiqué que cette feuille de route avait été dessinée par les groupes de travail turco-américains mis en place en février sous l’impulsion du prédécesseur de M. Pompeo, Rex Tillerson, « en vue d’assurer la sécurité et la stabilité à Manbij ».
« Les Kurdes n’ont pas eu beaucoup de choix » face au peu de marge de manœuvre dont ils disposent et sans alternative possible, explique à L’Orient-Le Jour Jordi Tejel, professeur titulaire rattaché à l’Institut d’histoire de l’Université de Neuchâtel et spécialiste des Kurdes. Bien que les États-Unis disposent de troupes dans la ville et soient les alliés des forces kurdes majoritaires au sein des Forces démocratiques syriennes, la Turquie a fait part de son intention à plusieurs reprises de se diriger vers Manbij après avoir pris Afrine alors sous contrôle kurde, dans le Nord-Est syrien, dans le cadre de l’opération baptisée « Rameau d’olivier » lancée en janvier dernier. Ankara, qui considère les YPG comme des « terroristes » liés au Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), ne peut tolérer la présence des forces kurdes non loin de sa frontière avec la Syrie. L’établissement de ces groupes de travail visait donc à trouver un terrain d’entente entre ces deux alliés de l’OTAN et éviter à tout prix une confrontation militaire entre eux.
« Cet accord vient confirmer ce qu’il s’est déjà passé à Afrine, c’est-à-dire la répartition des cartes entre la Russie, les États-Unis et leurs différents alliés », estime M. Tejel. Avant de lancer l’offensive à Afrine, Ankara a notamment bénéficié du feu vert russe. Selon lui, « il y a donc une répartition des frontières turco-syriennes, avec l’ouest de l’Euphrate (dont Manbij) sous influence de la Turquie et de la Russie, et le côté oriental sous contrôle des Occidentaux où ils maintiennent une présence » militaire.
« Aveu de faiblesse »
La « feuille de route » vise notamment à « tenir l’engagement américain de déplacer les YPG à l’est de l’Euphrate », a expliqué à des journalistes un haut responsable du département d’État. Mais il s’agit d’un « cadre politique large » dont les « détails doivent encore être négociés » et dont la mise en œuvre « se fera étape par étape en fonction des développements sur le terrain », a-t-il poursuivi. Le ministre turc des Affaires étrangères a par ailleurs déclaré lundi que les miliciens kurdes quittant la région seraient désarmés et conduits à l’est de l’Euphrate.
Si « c’est un aveu de faiblesse » pour les Kurdes, « l’accord n’est pas encore très explicite et l’alliance avec Washington n’est pas complètement ternie », souligne M. Tejel. « C’est un jeu à plusieurs bandes, il y a tellement de fronts ouverts (en Syrie) que cette annonce ne marque pas un tournant », précise-t-il. « Cela va permettre aux Kurdes de recentrer leurs forces après avoir été éparpillés, c’est une sorte de retrait pour mieux assurer leur contrôle sur leurs régions traditionnelles », indique le professeur.
L’agence étatique progouvernementale Anadolu avait par ailleurs affirmé la semaine dernière que l’accord prévoyait, 45 jours après le 4 juin, des inspections militaires conjointes américano-turques à Manbij, et, dans les 60 jours après cette même date, la formation d’une administration locale de la ville pour remplacer les conseils qui incluent actuellement les YPG. Un haut responsable américain a confirmé devant des journalistes l’objectif de « patrouilles communes » mais a démenti l’existence d’un calendrier détaillé. « Nous sommes déterminés à le faire le plus rapidement possible » mais les dates rapportées dans la presse « ne reflètent rien de concret », a-t-il assuré. « Ce ne sera pas facile », « la mise en œuvre sera compliquée » mais bénéficiera à tous car cela va stabiliser Manbij sur le long terme, a-t-il insisté. L’administration américaine assure aussi être en constante concertation avec ses alliés kurdes pour qu’ils adhèrent à la mise en œuvre de cette « feuille de route ». En échange, « les Kurdes pourraient peut-être être renforcés militairement ailleurs », suppose M. Tejel.
Mais face à l’évolution de la situation en Syrie, cet accord « envoie aussi un message aux acteurs kurdes alors que la plupart des États régionaux et de la communauté internationale veulent garder les frontières de la région telles quelles » tandis que les Kurdes veulent établir officiellement un État kurde en Syrie et en Irak, remarque-t-il.
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pour les groupes qui ont comme alliés les américains, ne pas leur faire confiance !!! la turquie annexe une partie de la Syrie avec leur accord
18 h 59, le 06 juin 2018