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Moyen Orient et Monde - Éclairage

Comment Erbil tente de tourner la page du référendum

Les résultats des dernières élections législatives ont permis un retour au statu quo du partage du pouvoir entre le PDK et l’UKP.

Une large affiche appelant à voter « oui » au référendum d’indépendance kurde, organisé l’année dernière. Azad Lashkari/Reuters

Les deux partis historiques du Kurdistan irakien, le Parti démocratique du Kurdistan (PDK) et l’Union patriotique du Kurdistan (UPK), ont repris des couleurs. Le fiasco du référendum de septembre 2017 avait plongé la région autonome dans une profonde crise politique et économique, et l’avait fait revenir des années en arrière. Mais les résultats électoraux du 12 mai 2018 ont confirmé la mainmise des deux partis dans leurs fiefs respectifs, et le paysage politique qui se dessine actuellement à Bagdad pour la formation d’un nouveau gouvernement devrait leur permettre de revenir dans le jeu politique.

Les résultats des élections ont permis un retour au statu quo du partage du pouvoir entre le PDK et l’UPK, qui avait été contesté en 2013 par la montée en puissance des partis de l’opposition. Le parti d’opposition Goran (Le changement, en kurde) menaçait particulièrement l’UPK et comptait sur ces élections pour la devancer et balayer le bipartisme pour de bon. Or, dans la région kurde, le PDK sort grand gagnant en remportant 25 sièges parlementaires et l’UPK arrive second avec 18 sièges, loin devant le Goran qui n’en obtient que 5. Désabusé, le mouvement contestataire a annoncé envisager de se retirer complètement du processus politique irakien. S’il était attendu que les élections confirment le rapport de force en faveur du clan de Massoud Barzani – la mort du leader historique de l’UPK, Jalal Talabani, en octobre 2017, puis celle de Nawshirwan Mustafa, chef du mouvement Goran, la même année, lui ont ouvert la voie comme seule figure fédératrice du Kurdistan –, la victoire de l’UPK dans la province de Souleymaniya est pour le moins surprenante. C’est dans cette même province que s’est déclenchée cet hiver une violente vague d’hostilités vis-à-vis de la gouvernance de l’UPK, caractérisée par une corruption endémique. La population kurde subit les conséquences d’une grave crise économique, aggravée à la suite du référendum par les mesures punitives de Bagdad et la reprise de la riche province pétrolière de Kirkouk, réduisant de moitié les revenus pétroliers de la région autonome. Les États-Unis avaient donné leur bénédiction à l’UPK pour qu’il envoie ses peshmergas réprimer les mouvements contestataires qui défiaient Erbil.
Dimanche 24 juin, suite aux nombreuses plaintes pour fraudes et irrégularités concernant le scrutin du 12 mai, neufs juges nommés par la Cour suprême irakienne ont annoncé qu’un nouveau décompte serait effectué dans les circonscriptions qui ont donné lieu à une contestation, notamment dans les régions kurdes. Pour certains analystes, ces résultats inattendus sont le signe d’une ingérence iranienne dans le jeu politique kurde pour maintenir en place l’UPK, avec qui l’Iran entretient des liens étroits. L’analyste Abdullah Hawez avait révélé la présence de Kassem Soleimani, le commandant des forces iraniennes al-Qods, à Souleymaniya le jour des élections, sur son compte Twitter.


(Pour mémoire : En Irak, le scrutin de l’après-État islamique)

Luttes intestines
Habituellement à couteaux tirés, le PDK et l’UPK ont décidé de faire front commun à la fois face à l’opposition kurde et face à Bagdad. Au cours des dernières semaines, en amont des rencontres avec Bagdad, les deux partis se sont retrouvés pour « élaborer un programme commun de demandes, qu’une seule délégation représentative ira porter à Bagdad au nom des Kurdes ». Prompt à rebattre les cartes, Mala Bakhtiar, chef exécutif du bureau politique de l’UPK, déclare d’un ton conciliant à L’Orient-Le-Jour que « notre responsabilité nous impose de mettre de côté nos rivalités, il y va de la survie du GRK (Gouvernement de la région autonome) ». Pourtant, quelques mois plus tôt, Massoud Barzani accusait « l’UPK d’avoir sabordé le bateau pour couler le capitaine », en faisant référence à la docilité – voire la complicité – avec laquelle l’UPK a laissé l’armée irakienne reprendre Kirkouk à la suite du référendum. En réalité, des décennies de luttes intestines interkurdes minent le Kurdistan. Depuis la fin de leur guerre civile (1994-1997), l’UKP et le PDK privilégient leurs intérêts partisans via de multiples jeux d’alliances avec les Kurdes de Syrie et le PKK de Turquie, et les voisins régionaux, la Turquie et l’Iran. Acculés par le fiasco du référendum sur l’autodétermination de septembre 2017, les Kurdes doivent désormais faire front commun face à Bagdad afin de retrouver voix au chapitre dans la renégociation des dossiers qui les opposent au gouvernement fédéral. D’après Mala Bakhtiar, la priorité concerne la question du budget – Bagdad a réduit la part du budget allouée à la région autonome à 12,6 %, alors que 17 % sont prévus dans la Constitution –, le versement des salaires des fonctionnaires kurdes, notamment des peshmergas, la redistribution des ressources pétrolières, mais aussi le statut des « zones disputées », comme Kirkouk.

Nécessité d’un Kurdistan fort
Les deux partis politiques kurdes avaient félicité conjointement la nouvelle alliance scellée le 13 juin entre Moqtada Sadr et Hadi al-Ameri, le chef du Fateh, le parti le plus pro-iranien sur la scène irakienne. D’après leur communiqué, il s’agissait d’une avancée positive vers « le début d’une feuille de route politique pour surmonter la crise politique actuelle en Irak et au Kurdistan ». Le bloc kurde PDK-UPK pourrait s’allier à son tour à cette coalition, à la condition qu’elle s’engage à faire avancer les dossiers qui le concerne. Le soutien kurde permettrait à la coalition, qui s’est élargie le week-end dernier, grâce à une alliance avec le bloc du Premier ministre actuel, Haïder al-Abadi, d’atteindre le nombre de voix nécessaire pour former le prochain gouvernement irakien. Ce qui vaudrait aux Kurdes, à l’image de 2006 et 2014, le titre de « faiseurs de rois ».
Néanmoins, habitués des volte-face et trahisons qui caractérisent la « zone verte », les Kurdes ne font confiance à aucun interlocuteur. Ils gardent un goût amer de celle de l’ancien Premier ministre Nouri al-Maliki, qu’ils avaient pourtant contribué à porter au pouvoir, et plus récemment celle du Premier ministre sortant M. Abadi qui a réprimé le projet d’autodétermination. « Tous les partis se montrent à l’écoute dans la phase des négociations postscrutin, mais c’est une fois au pouvoir qu’ils sacrifient la cause kurde », affirme le haut politique kurde.

« Conscients qu’aujourd’hui ils ne sont plus en mesure d’imposer leur ligne rouge à Bagdad, les Kurdes adoptent un rôle de spectateur et parlent à tout le monde «, analyse Adel Bakawan, chercheur associé à l’EHESS, spécialiste des Kurdes d’Irak, quitte à s’allier à une coalition comprenant M. Abadi, qui incarne pourtant la débâcle du référendum, et Hadi al-Ameri, l’obligé des Iraniens et ennemi de leur parrain américain. Barzani avait entrepris le référendum de septembre pour exercer une pression sur Bagdad, mais son pari s’est retourné contre lui et le Kurdistan en a payé le prix fort. Désormais, les Kurdes se sont fait une raison et comptent atteindre leurs objectifs graduellement, en misant sur la légalité de leurs revendications et le soutien de la communauté internationale. Car s’il y a bien un consensus qui réunit les puissances régionales rivales, c’est « la nécessité d’un Kurdistan fort dans un Irak uni », conclut le spécialiste Adel Bakawan.


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