Des manifestants dénonçant, hier place Samir Kassir, à Beyrouth, la répression de la liberté d’expression au Liban. Anwar Amro/AFP
Un simple hashtag intitulé #Contre_La_Répression, publié il y a trois jours sur les réseaux sociaux par un groupe de journalistes, et relayé par quelques organisations de la société civile, a suffi pour faire converger hier soir vers la place Samir Kassir, dans le centre-ville de Beyrouth, au moins 600 personnes venues exprimer leur indignation contre la recrudescence, ces derniers temps, des poursuites et arrestations liées à des commentaires sur les réseaux sociaux et des articles parus dans des médias, critiquant des responsables politiques.
Les protestataires commencent à affluer une heure avant le début de l’événement, prévu à 19 h. Trente minutes plus tard, la place est déjà noire de monde, et ceux qui croyaient être ponctuels n’ont plus le choix que de se tenir autour du bassin attenant. Les forces de sécurité ont déjà pris position autour de la place, mais elles n’interviennent à aucun moment, la volonté des activistes, journalistes, et blogueurs présents étant d’exprimer de manière pacifique leur refus de la répression des libertés.
Dalia Mokdad, 28 ans, directrice des médias à la Fondation Adyan, déplore « le recul des libertés dans un pays décrit il y a quelques années comme une oasis de liberté dans le monde arabe ». « Le thème pour lequel nous nous mobilisons aujourd’hui, à savoir “Contre la répression et le recul des libertés d’expression au Liban”, est effrayant », constate-t-elle, regrettant que « la liberté de répression remplace désormais la liberté d’expression ».
Un jeune homme s’avance et se présente. Il s’agit d’Élie Khoury, un étudiant interpellé le week-end dernier par le bureau de lutte contre la cybercriminalité parce qu’il avait exhorté dans un post Facebook le chef de l’État, Michel Aoun, à lutter contre la corruption en commençant par demander des comptes à ses proches. « Pourquoi ai-je été arrêté, alors que je me contente de transmettre la détresse de chaque jeune homme qui ne parvient pas à trouver de travail et à acquérir un logement ? » lance le jeune étudiant. « Je n’ai blessé et agressé personne, je demande simplement des réformes », poursuit-il, estimant que son discours « est pacifiste », et qu’il ne s’empêchera pas de continuer à publier ses opinions, parce que « le droit de s’exprimer est garanti par la Constitution ».
(Lire aussi : Bilan consternant pour la liberté d’expression au Liban)
« Je ne me tairai que s’ils me tuent »
Il est vite rejoint par Mohammad Awad, activiste de 25 ans, arrêté vendredi dernier par les services de renseignements de la Sûreté générale, pour avoir publié sur le site NewLebanon, un écrit anti-Hezbollah, intitulé « Le mini-État gouverne les pauvres ». Lui aussi affirme qu’il continuera à dénoncer la corruption : « Une fois relâché, je me suis d’ailleurs exprimé à nouveau sur les réseaux sociaux, et j’ai dit à ceux qui cherchent à me faire taire qu’ils ne réussiront que s’ils me tuent. »
Un peu plus loin, Farah el-Baba, 22 ans, fraîchement diplômée en psychologie, brandit une affiche où elle a écrit : « Le mandat fasciste ». Invitée à s’expliquer, elle dit : « Lorsqu’un simple post critiquant la situation déplorable du pays déclenche des poursuites et sanctions à l’encontre de son auteur, le mandat à l’ombre duquel ces pratiques sévissent est un mandat fasciste. » « Des pratiques qui pavent la voie à l’autocratie et à la dictature du parti unique », renchérit Paul Chaoul, journaliste et poète. « Si l’on continue de cette manière, nous n’aurons plus le droit que de parler de la pluie et du beau temps, alors qu’il est légitime de crier notre douleur et notre révolte », note à son tour Régina Kantara, avocate et activiste.
Leurs voix sont couvertes par celles de manifestants qui scandent avec force des slogans hostiles à la classe au pouvoir : « Contre la répression, contre l’humiliation », ou « le 8 et le 14 Mars ont fait du pays une boutique : ils ont vendu la moitié à l’Iran et l’autre à l’Arabie saoudite », ou encore : « Écoutez geôliers, nous ne nous tairons pas, nous ne partirons pas, et que chute le gouvernement des voyous ! ». À côté d’eux, un calicot est bien visible : « Plus la répression augmente, plus notre voix sera forte ».
Adham Hassaniyé, un des organisateurs du sit-in, se félicite de ce que « l’appel à manifester a eu un effet viral ». « Les gens ne supportent plus l’étau qui se resserre sur leurs libertés et ne veulent plus céder aux intimidations », constate-t-il, déplorant que « le bureau de la lutte contre la cybercriminalité use de pression sur les activistes interpellés, tentant de leur faire signer un engagement de ne plus critiquer les personnalités publiques ». « Cette demande est illégale », affirme M. Hassaniyé, qui met en garde contre une escalade au cas où les arrestations abusives se poursuivraient pour entraver l’exercice de ces libertés fondamentales que sont les libertés d’information et d’expression.
Quelques heures avant la manifestation, le Centre SKeyes pour la défense de la liberté d’expression annonçait que deux militants libanais avaient été convoqués par les services de sécurité au sujet de messages sur les réseaux sociaux dans lesquels ils critiquent des responsables.
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commentaires (8)
Je me suis rendue compte depuis un an quand je parlais avec ma famille ou mes amis de politique ils changaient de conversation
Eleni Caridopoulou
13 h 32, le 14 août 2018