Malgré les pourparlers menés ces derniers jours sur les différents fronts politiques, notamment la rencontre entre le Premier ministre Saad Hariri et le chef du Courant patriotique libre (CPL) Gebran Bassil, qui a eu lieu mardi en marge de la séance parlementaire consacrée à la formation des commissions, la naissance du gouvernement continue de se faire attendre. Alors qu’on pouvait espérer un signe de déblocage à l’issue de la réunion, il semble ainsi que les nœuds soient toujours enchevêtrés.
En cause d’abord, la confrontation intrachrétienne à laquelle se livrent les Forces libanaises (FL) et le CPL, le premier parti réclamant cinq portefeuilles ministériels pour un gouvernement de trente, et le deuxième s’opposant à cette revendication au motif que la représentation parlementaire des FL (15 députés) ne leur permet d’obtenir que trois postes. Hier, Sethrida Geagea, députée de Bécharré, a de nouveau revendiqué une représentation ministérielle digne du « vrai poids » du parti de Samir Geagea, déplorant, au sortir de sa visite à Nabih Berry à Aïn el-Tiné, que « ce poids ne semble pas plaire à certaines parties qui tendent de le réduire ».
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Concernant la teneur des discussions qui ont eu lieu lors de la rencontre éclair de mardi (elle a à peine duré vingt minutes), un proche du courant aouniste affirme à L’Orient-Le Jour que M. Bassil aurait demandé à M. Hariri de « fixer enfin un paramètre unique, basé sur les résultats des dernières élections législatives ». Il lui aurait également fait savoir qu’il ne peut plus supporter les accusations des différentes parties alléguant qu’il intervient dans la formation du gouvernement, alors que lui-même n’entreprend aucun contact et n’appelle à aucune réunion pour discuter du problème gouvernemental. M. Bassil aurait aussi exhorté le Premier ministre désigné à se prononcer sur les critères à adopter pour l’obtention de portefeuilles ministériels, considérant qu’il doit user de ses prérogatives en ce sens.
Un observateur affirme que si le critère choisi est l’octroi d’un portefeuille pour 4 députés, le CPL exigerait 8 ministres, sachant qu’il est représenté par 29 députés. Viendrait s’ajouter à ce calcul un autre élément, à savoir la part que le chef de l’État réclame pour lui, et qui est donc distincte de celle du CPL dont il est le fondateur. L’équation de figure serait alors 8+3= 11, l’équivalent du chiffre qui correspond au tiers de blocage, note l’observateur.
Interrogé par L’OLJ, Eddy Maalouf, député CPL du Metn, réfute l’idée attribuée à son camp selon laquelle celui-ci veut s’attribuer ce tiers qui bloquerait le fonctionnement du gouvernement. « Le sexennat est fort tant par un président de la République, que par un groupe parlementaire important et de nombreuses alliances, et n’a donc nullement besoin de chercher à s’arroger le tiers de blocage », assure-t-il, soulignant que « ce moyen est généralement recherché par l’opposition ».
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Séance parlementaire de concertations
Selon un autre observateur, le régime s’estime en fait si fort que le chef de l’État compte user de pression pour pousser M. Hariri à former le plus rapidement un gouvernement, au plus tard en septembre. Il envisagerait d’adresser une lettre au Parlement lui demandant de débattre des causes et des dessous du retard de cette échéance, sachant qu’il ne voudrait pas célébrer le deuxième anniversaire de son accession à Baabda en l’absence d’un cabinet.
Le président du Parlement, Nabih Berry, a pour sa part réitéré hier, lors de sa rencontre hebdomadaire avec des députés, sa décision d’« appeler à une séance parlementaire de concertations autour de la formation du cabinet si d’ici à une semaine rien n’aura été fait en ce sens ».
Comme en réponse à ces velléités d’outrepasser les prérogatives du Premier ministre désigné, le mufti de la République, Abdellatif Deriane, qui s’est rendu hier à la Maison du Centre, a assuré que « la mission de former un gouvernement revient à M. Hariri seul, en concertation avec le chef de l’État Michel Aoun et le président du Parlement Nabih Berry ». Il a appelé par ailleurs toutes les forces politiques à faciliter cette mission, souhaitant que « le dialogue se poursuive dans l’intérêt supérieur du Liban et des Libanais ».
La volonté de dialogue semble en tout cas manifeste chez M. Hariri. C’est ce qu’un cadre de son parti a affirmé à L’OLJ, soulignant que « le chef du gouvernement rejette l’idée d’une querelle avec le chef de l’État et d’une rupture du partenariat ayant conduit à son élection à la présidence de la République ». « Il veut continuer à dialoguer jusqu’à ce que les discussions aboutissent à un dénominateur commun », poursuit ce responsable du courant haririen, rappelant en outre les concertations qui ont lieu actuellement entre le ministre sortant de la Culture, Ghattas Khoury (Futur), et le député Élias Bou Saab (CPL) pour essayer de dégager un compromis.
Les milieux de la présidence de la République affirment de leur côté que l’arrangement politique concocté avec M. Hariri n’est pas ébranlé et que les pourparlers se poursuivront jusqu’à parvenir à la formation d’un gouvernement d’union nationale qui n’exclurait aucune composante politique. Ces milieux ne précisent pas cependant si, avant son départ pour l’Espagne prévu en fin de semaine, le Premier ministre effectuera une nouvelle visite à Baabda dans ce cadre, sachant qu’il s’y est rendu tout récemment pour présenter à M. Aoun une mouture que ce dernier n’a vraisemblablement pas approuvée.
Le nœud druze, une fabrication du CPL ?
Outre le nœud chrétien, le deuxième obstacle qui entrave la mise sur pied du cabinet est l’insistance du leader du Rassemblement démocratique, Walid Joumblatt, à monopoliser la représentation druze, tandis que, soutenu par le CPL, le député Talal Arslane tient à faire partie de l’équipe ministérielle. Hier M. Arslane a d’ailleurs écrit sur son compte Twitter : « Nous ne serons représentés au gouvernement que par la position naturelle qui nous revient dans la quote-part druze. »
Mais le député Anouar Khalil, député du bloc Berry, estime que ce qui est appelé « nœud druze » n’aurait pas réellement existé s’il n’avait été « fabriqué » par le Courant patriotique libre. Selon lui, « le CPL l’a créé pour l’utiliser et l’exploiter en vue d’imposer des noms qui ne représentent pas la réalité druze, et de couvrir les vrais nœuds créés par le tandem chrétien (CPL-FL) ». « L’écrasante majorité des druzes ont voté lors des élections législatives pour le Parti socialiste progressiste (PSP), et ont ainsi exprimé leur volonté d’être représentés par ce parti au Parlement et au gouvernement », a ajouté M. Khalil, soupçonnant le CPL de « dresser des obstacles à la formation du gouvernement, obstacles qui constituent une violation de la Constitution et du pacte national ».
Pour boucler ce tableau noueux, il ne faut pas oublier les revendications des députés sunnites qui ne gravitent pas dans l’orbite de Saad Hariri. Ainsi, Fayçal Karamé, Abdel Rahim Mrad, Jihad el-Samad, Adnane Traboulsi, Kassem Hachem et Walid Succarié exigent toujours d’être représentés par deux ministres. Aux dernières nouvelles parvenues à L’OLJ, le Premier ministre désigné serait toujours prêt à se désister de l’un des six portefeuilles qu’il estime lui revenir, en faveur du président de la République, à qui reviendrait alors le choix de nommer un ministre sunnite. À condition, bien entendu, que M. Hariri choisisse en contrepartie un ministre de confession chrétienne.
Gouvernement et réformes
Entre-temps, la communauté internationale presse les protagonistes de hâter le processus de la formation du cabinet, notamment pour éviter un impact négatif au plan économique, en référence aux conditions de redressement exigées par la conférence de Paris (CEDRE), qui a eu lieu à Paris en avril dernier. L’ambassadeur de Grande-Bretagne, Hugo Shorter, a ainsi appelé hier à « poursuivre les négociations autour de la formation du gouvernement selon une équation équilibrée, parce que le Liban a besoin d’une action gouvernementale et de mesures de réformes qu’il ne peut plus se permettre d’attendre ». « Nous espérons voir naître un gouvernement qui reflète au monde un signe positif selon lequel le Liban ne prend pas parti pour un axe et ne risque donc pas la déstabilisation », a déclaré M. Shorter, à Bickfaya, où il s’est rendu auprès de l’ancien président de la République, Amine Gemayel, pour une visite d’adieu à l’occasion de la fin de sa mission au Liban.
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commentaires (5)
BASSIL N'INTERVIENT PLUS, MAIS IL EST VENU DONNER LES ORDRES RAPIDEMENT. IL N'A PLUS LE TEMPS À PERDRE, IL EST DANS LES AFFAIRES INTERNATIONALES.
Gebran Eid
13 h 45, le 19 juillet 2018