Au cœur d’un début de soirée tranquille, en ce juillet où la lumière refuse obstinément de céder sa part de ciel, et alors que tout le monde est enfin rentré chez soi, lourd de chaleur et d’impatience après avoir ramé dans les embouteillages, on a du mal à se détendre complètement. On sait, on sent que quelqu’un, ou quelque chose va nous faire sursauter. Et voilà que ça arrive, comme une mauvaise farce, et que cela vous parcourt le dos et vous picote à la racine des cheveux comme aux pires moments de la guerre. On a eu les rafales de mitraillettes à la publication des résultats du brevet. Auxquels se sont ajoutés les cortèges délirants avec force hurlements et musique à tue-tête pour les résultats du bac. Pour la nouvelle fournée de diplômés des universités, idem. À moins que ces tirs de roquettes (à blanc, on l’espère) et ces lancers de dynamite (comment, de simples feux d’artifice ?) annoncent un mariage dans les environs. Entre deux explosions, quand un même cri ondule à travers les rues de Beyrouth, c’est qu’en cette saison de Mondial, quelqu’un a marqué (ou perdu) un but. Chers compatriotes, que votre joie demeure, mais que vous avez la joie bruyante et l’été nerveux !
Cela ajoute-t-il donc tant à votre bonheur de couvrir l’espace sonore, faire pleurer les enfants, fuir les oiseaux et trembler les fenêtres ? Faut-il que le point final d’une étape ou celui d’un discours (que vous n’écoutez même pas) soit à ce point violent et destructeur ? Mais d’où vient que nous perpétuons ces mœurs barbares, d’où vient ce besoin viscéral d’entendre et de faire du bruit ?
Comme si nous n’en avions pas eu plein les tympans, quinze ans durant… En ce temps-là, les explosions et les bombardements parasitaient en nous toute forme de pensée, nous réduisant à des êtres purement instinctifs, incapables de se concentrer sur rien d’autre que la recherche d’un lieu sûr et de provisions, ne réagissant qu’aux appels de haine et de vengeance, inconscients de leur quasi-bestialité. Le bruit « vide la tête », parole d’ancienne combattue (comment appelle-t-on ceux qui subissent les guerres ?). Se vider la tête est donc ce que recherchent les habitants du Liban nouveau, si brutalement déconstruit, si gauchement reconstruit qu’il n’est ni fait ni à faire.
Pourtant, ce sont de belles têtes supposées pleines qu’on célèbre en épuisant les munitions dont certains foyers semblent regorger, allez savoir pour quelle raison et dans quel but. Un jeune diplômé n’est pas supposé subir ou involontairement infliger un tel baptême du feu. S’il incarne l’avenir, autant lui épargner ces célébrations archaïques et ces lendemains au goût de cendre. À présent qu’il a revêtu cape et lauriers et brandi son parchemin ; quoi ? Qu’est-ce qui lui sourit dans ce pays piège où l’on s’est tant décérébré, où l’on a tant vécu sans rien planifier, en suivant l’impulsion du jour et en glorifiant le chef du moment, que tout est à réinventer de zéro ? Pas de patrimoine, pas de transmission, même pas de suite dans les idées et un chômage record. Ah, mais il a un cousin à Dubaï qui « l’enverra chercher ».
commentaires (8)
EN TANT QUE FRANCAISE J AI TOUJOURS EU BEAUCOUP DE MAL A SUPPORTER CES MANIFESTATIONS BRUYANTES... LES PARENTS DOIVENT DEJA APPRENDRE A LEUR PROGENITURE QUE DANS UN LIEU PUBLIC ILS NE PEUVENT PAS CRIER A LEUR GUISE CE SERAIT UN BON DEBUT!!!!
nahas corinne
13 h 15, le 06 juillet 2018