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Liban - Faune et flore

Un chêne bien libanais, caché sous un « faux nom »

Un fruit caractéristique, un gland de grande dimension. Photo prise à Wadi el-Dabbour. Photos Jean Stéphan

Il aura fallu à Jean Stéphan, expert écologiste et professeur assistant à l’Université libanaise, une véritable enquête pour le repérer en tant qu’espèce distincte : un chêne endémique du Liban, c’est-à-dire qu’il n’existe nulle part ailleurs.
Ce qui a si longtemps entravé son identification ? Une simple affaire de nom qui n’était pas adéquat. En effet, comme l’ont montré les recherches de Jean Stéphan à l’occasion d’une étude sur les chênes du Liban, cet arbre avait été identifié par le père Mouterde, fameux botaniste du XXe siècle et auteur de livres sur la flore du Liban. Mais le père Mouterde l’avait appelé Quercus pinnatifida, en référence à la forme de ses feuilles qui ressemblent à des mains, et avait affirmé en ce temps-là qu’il existait en plusieurs pays de la région, étant donné sa ressemblance avec une autre espèce. Or quand Jean Stéphan effectue des recherches en employant ce nom, il obtient une drôle de réponse, celle que ce nom n’existe pas (ou qu’il est « illégal », dans le jargon des taxonomistes), et ce dans plusieurs références taxonomiques.

Procédant par élimination, l’écologiste arrive, après maintes recherches, à faire le rapprochement entre cette mystérieuse espèce et le chêne kermès, mais remarque de profondes différences dans les feuilles, sans compter que le chêne kermès est un buisson et non un arbre. Il ne trouve donc aucun équivalent dans ses comparaisons. C’est alors qu’il tombe sur une référence dans l’ouvrage d’un botaniste appelé Schwartz, un scientifique connu qui avait travaillé sur les pays de la région dans les années 30, et qui avait fait la description d’un chêne spécifique au Liban. En hommage à un autre grand botaniste, Antoine Kotschy, il avait décidé de l’appeler Quercus kotschyana.

Pour une raison ou une autre, ce fait a échappé au père Mouterde, qui, dans ses publications ultérieures à celles de Schwartz, a donné un autre nom à cet arbre. C’est donc en utilisant le nom du chêne de Kotschy que le chercheur réussit à trouver des informations, et apprend que les spécimens de référence se trouvent dans des institutions à Berlin et à Stockholm. Un échange de mails lui permet d’obtenir des photos et la description d’origine, et de déterminer qu’il s’agit donc de la même espèce. Il apprend que Schwartz avait repéré ce chêne à Ehden, au-dessus de Dhour Choueir et à Bécharré. Dans toutes les références, il est précisé qu’il est caractéristique du Liban.

Nom scientifique
Après tant de péripéties, il s’avère que ce chêne est le Quercus kotschyana, ou chêne de Kotschy, introuvable sous le nom de Quercus pinnatifida.

Description
Le chêne de Kotschy se reconnaît à sa feuille très caractéristique, qui rappelle celle du chêne chevelu avec quelques différences, d’où le fait que les populations locales ont confondu les deux espèces pendant très longtemps. Sa feuille est vert-gris, d’un aspect velouté et de la forme d’une main. Son fruit très caractéristique est un gland d’une assez grande taille, qui ressemble à celui du cèdre. Son écorce contient peu de liège, contrairement à d’autres chênes. Ses rameaux et ses branches sont rougeâtres, surtout chez les jeunes spécimens.

Mode de vie
Ce bel arbre aime l’altitude et supporte le froid plus que tout autre. On le trouve dans des forêts denses comme dans des jurds où la végétation est parsemée : comme il aime particulièrement la lumière, il aura tendance, pour garantir son exposition au soleil, à grandir davantage là où il a de la compétition avec d’autres arbres, d’où le fait que les spécimens les plus grands ont été découverts par l’écologiste dans la forêt dense de la réserve d’Ehden (jusqu’à 16 mètres de hauteur). Si la végétation n’est pas si dense, il aura tendance à aller en largeur.
Fait distinctif : le chêne de Kotschy change de couleur à l’automne, ses feuilles prennent une jolie teinte brunâtre.

Lieu de prédilection
Le chêne de Kotschy se trouve en altitude, à non moins de 1 600 mètres, et jusqu’à presque 2 000 mètres. Jean Stéphan a repéré sa présence en plusieurs régions, dont les réserves de Ehden, de Bécharré et de Tannourine. Sa limite sud serait à Zaarour, Tarchich et Majdel Tarchich, et sa limite nord à Denniyé. Il se trouve aussi dans la forêt de cèdres de Jaj. Les spécimens les plus volumineux ont été découverts par l’écologiste dans le jurd de Akoura et de Afqa : il s’agirait des arbres les plus vieux, donc probablement plusieurs fois centenaires. À Akoura, ils ont été protégés en raison de leur présence sur un terrain miné, sachant que cette région a été menacée récemment par l’ouverture de carrières.

Impact positif en milieu naturel
Le premier grand avantage du chêne de Kotschy, c’est qu’il est effectivement endémique du Liban. Mais ce n’est pas tout : ce chêne pousse en très haute altitude, là où peu d’autres arbres pourraient survivre, même le cèdre ou le sapin. Il peut donc constituer une alternative de reboisement pour des zones éloignées, et une source de bois intéressante pour les populations locales. Car, comme tous les chênes, son bois est remarquable. Et comme les arbres en général, il peut aider à la conservation des sols et de l’eau souterraine.

Menaces et dangers
Les menaces contre cet arbre ne viennent pas nécessairement – une fois n’est pas coutume – de l’homme et de ses activités destructrices. Il pousse très en altitude, dans des endroits souvent difficiles d’accès. La seule menace liée à l’homme est celle du pâturage non réglementé, qui peut détruire les pousses qui résultent de la régénération naturelle. Mais cela ne signifie pas qu’il est à l’abri de tout risque : car non seulement est-il endémique du Liban, mais la zone géographique de son étendue naturelle est limitée, et la zone de son reboisement potentiel n’est pas grande non plus. Il peut donc être affecté par le changement climatique si les conditions de sa survie se modifient drastiquement. Il est d’ailleurs placé sur la liste des espèces en danger de l’IUCN.

Moyens de protection
Il va de soi qu’une espèce endémique doit faire l’objet d’une politique de conservation et de protection. Jean Stéphan insiste non seulement sur cette nécessaire mesure, mais sur l’importance de consacrer des études plus poussées à ce chêne, ainsi qu’à son reboisement.


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Il aura fallu à Jean Stéphan, expert écologiste et professeur assistant à l’Université libanaise, une véritable enquête pour le repérer en tant qu’espèce distincte : un chêne endémique du Liban, c’est-à-dire qu’il n’existe nulle part ailleurs. Ce qui a si longtemps entravé son identification ? Une simple affaire de nom qui n’était pas adéquat. En effet, comme...

commentaires (5)

En honneur de ce monsieur Paul Mouterde, on pourrait dire que c'est la chêne de Mouterde ! C'est intéressant apparement le botaniste libanais Paul Mouterde a publié en 1966 un livre sur la flore au Liban et Syrie.

Stes David

09 h 44, le 01 juillet 2018

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Commentaires (5)

  • En honneur de ce monsieur Paul Mouterde, on pourrait dire que c'est la chêne de Mouterde ! C'est intéressant apparement le botaniste libanais Paul Mouterde a publié en 1966 un livre sur la flore au Liban et Syrie.

    Stes David

    09 h 44, le 01 juillet 2018

  • Très abondant dans nos montagnes souvent à 5 ou 10 minutes de la capitale. Certains endroits où forêts du Mont-Liban regorgent de cette variété. Allez savoir pourquoi, enfant, je le nommais, communément, "Ballout" Très beaux souvenirs en tout cas!

    Sarkis Serge Tateossian

    20 h 13, le 30 juin 2018

  • Très intéressant! Merci.

    Wlek Sanferlou

    15 h 31, le 30 juin 2018

  • Super intéressant. Grâce à la description et aux photos, je peux mettre un nom sur cet arbre que j'ai déjà "croisé" dans la cédraie de Jaj en effet!

    Marionet

    10 h 01, le 30 juin 2018

  • TRES INTERESSANT !

    LA LIBRE EXPRESSION

    09 h 14, le 30 juin 2018

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