« Nous nous attendions à un gouvernement vendredi soir. Mais quelque chose manque encore, semble-t-il. La solution est entre les mains des présidents Michel Aoun et Saad Hariri. » C’est en ces termes que le président de la Chambre Nabih Berry a décrit le processus de formation du cabinet, un mois après les consultations contraignantes tenues à Baabda et qui ont abouti à charger M. Hariri de cette mission.
Ces propos de M. Berry à la LBCI revêtent de l’importance dans la mesure où ils sont intervenus au lendemain d’une visite qu’a effectuée le Premier ministre désigné à Baabda. L’occasion pour lui de présenter une nouvelle mouture de son futur cabinet. De sources bien informées, on apprend que cette formule inclurait – entre autres – trois ministres au président de la République, et quatre aux Forces libanaises (FL). Elle serait cependant dépourvue d’une quote-part aux sunnites ne gravitant pas dans l’orbite haririenne, mais aussi d’un siège accordé à Talal Arslane, chef du Parti démocrate libanais.
Si cela a fait dire à certains optimistes que le nouveau gouvernement allait voir le jour dans un bref délai, d’autres se veulent plus pragmatiques. Et pour cause : les nœuds qui empêchent la formation du troisième gouvernement dirigé par Saad Hariri semblent encore loin d’être défaits. À la faveur de cette logique, on estime que des contacts devraient être menés avant la mise sur pied de l’équipe ministérielle, à l’heure où M. Aoun tente de faciliter ce processus.
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« L’appétit gargantuesque »
Il s’agit surtout du différend opposant le chef du Parti socialiste progressiste Walid Joumblatt à son principal rival sur la scène druze, Talal Arslane. Et pour cause : le leader de Moukhtara tient à s’adjuger les trois sièges consacrés à sa communauté dans un gouvernement de trente. En face, M. Arslane, appuyé par le Courant patriotique libre (CPL) et son chef Gebran Bassil, insiste à prendre part au prochain cabinet, dans la mesure où il a mené la bataille électorale contre M. Joumblatt dans la circonscription de Chouf-Aley. Il en est même sorti vainqueur.
Certains milieux politiques indiquent dans ce cadre à L’Orient-Le Jour qu’il serait possible d’accorder deux portefeuilles au bloc joumblattiste (neuf députés). Le troisième relèverait de la quote-part accordée au chef de l’État. Une proposition que les joumblattistes refusent catégoriquement. Forts des résultats de la consultation populaire de mai dernier, ils campent sur leur position et dénoncent « la convoitise » de certains protagonistes. Interrogé par L’OLJ, Marwan Hamadé, ministre sortant de l’Éducation et député du Chouf, ne manque pas de stigmatiser ce qu’il appelle « l’appétit gargantuesque » de « certains qui cherchent à priver des communautés de leurs droits les plus élémentaires ». « Nous ne constituons aucunement un obstacle. Le problème réside chez ceux qui cherchent à s’accaparer le nouveau gouvernement et priver certains de leurs droits », affirme-t-il, avant d’ajouter sur un ton ferme : « Il appartient au président de la République et à son gendre (Gebran Bassil) de débloquer la situation actuelle. »
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« Tentative d’isoler » les sunnites
Tout comme Walid Joumblatt, les députés sunnites ne gravitant pas dans l’orbite haririenne semblent de plus en plus attachés à ce qu’ils appellent leur « droit à une représentation gouvernementale », même s’ils ne sont pas unis dans le cadre d’un même bloc parlementaire. À ce sujet, Fayçal Karamé, député de Tripoli, a estimé hier, dans une déclaration, que « les projets de cabinet n’incluant pas une personnalité sunnite qui n’appartient pas au courant du Futur anéantissent les résultats des élections législatives ». « Toutes les propositions du Premier ministre désigné s’articulent autour de son désir de continuer à monopoliser la représentation des sunnites avec quelques cadeaux qu’il s’échangerait avec le chef de l’État. Cela signifie qu’il écarte toute une réalité populaire sunnite qui a mené dix députés (sunnites) au Parlement », a-t-il affirmé.
Quant à l’ancien Premier ministre Nagib Mikati, réélu député de Tripoli, il semble soucieux de se démarquer des « parlementaires sunnites du 8 Mars ». Il n’a, d’ailleurs, pas participé à la réunion tenue par six des dix députés au domicile de Abdel Rahim Mrad (Békaa-Ouest), mardi dernier. Mais il tient quand même à faire partie du prochain gouvernement, dans la mesure où il dirige un bloc pluricommunautaire de quatre députés. Un proche de M. Mikati, contacté par L’OLJ, insiste toutefois sur l’importance de représenter le bloc par une personnalité sunnite. « Le bloc du Centre indépendant représente la moitié de l’opinion publique tripolitaine. Il a donc pleinement le droit de prendre part au cabinet », note-t-il, avant de déclarer : « Si le Premier ministre désigné ne nous accorde pas ce droit, il serait clairement en train de tenter de nous isoler et de nous écarter. » Le proche de M. Mikati a même été plus loin, jusqu’à menacer de ne pas accorder la confiance au cabinet, si le bloc n’en fait pas partie intégrante.
En face, le courant du Futur ne perçoit pas un nœud sunnite. Il préfère renvoyer la balle dans les camps druze et chrétien, dans une allusion à peine voilée à la querelle CPL-FL qui ne fait que s’amplifier. C’est ainsi qu’Ahmad Fatfat, ancien député de Denniyé, affirme qu’il n’est pas question, au moins actuellement, que Saad Hariri intègre un sunnite du 8 Mars dans son cabinet. « Cela affecterait la communauté sunnite, dans la mesure où c’est le Hezbollah qui désignerait ses ministres », dit-il à L’OLJ, stigmatisant le fait que le CPL se permette d’imposer aux druzes leurs ministres.
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CPL-FL
Chez les partis chrétiens, les querelles entre les deux formations majoritaires, les FL et le CPL, vont crescendo jour après jour. Outre un échange à fleurets mouchetés entre le ministre sortant de la Justice Salim Jreissati (CPL), et Georges Okaïs, député FL de Zahlé, mais aussi Joseph Maalouf, ex-député FL de la région, une polémique a opposé le ministre sortant de l’Énergie, César Abi Khalil (CPL), à ses collègues de la Santé Ghassan Hasbani et des Affaires sociales, Pierre Bou Assi (FL).
À cela, s’ajoute le désaccord entre les deux partis autour de leur représentation respective au sein du cabinet Hariri, d’autant que tous deux réclament la vice-présidence du Conseil, détenue aujourd’hui par les FL. Les aounistes soulignent que la coutume veut que ce poste soit attribué au chef de l’État, démentant toute volonté de se quereller avec leur partenaire chrétien, à l’heure où certains observateurs notent qu’il devrait appartenir au parti ayant la plus grande représentation parlementaire, en l’occurrence le CPL. Commentant cet état des lieux, Ziad Hawat, député de Jbeil proche des FL, se contente d’insister, via L’OLJ, sur la nécessité de représenter son parti conformément à son poids parlementaire, dénonçant par la même occasion « les deux poids, deux mesures » appliqués par le parti de Gebran Bassil sur ce plan.
Les Kataëb
En attendant la résolution de ce conflit, Élias Bou Saab, conseiller diplomatique de Michel Aoun et député du Metn, a rencontré le chef des Kataëb, Samy Gemayel (qui avait nommé Saad Hariri, pour « donner une chance à un nouveau style politique » ), à l’initiative du chef de l’État. Une réunion que certains placent dans le cadre des efforts menés par Baabda pour intégrer tous les protagonistes au cabinet. Sauf que Salim Sayegh, vice-président des Kataëb, met les points sur les i sur ce plan. Interrogé par L’OLJ, il fait valoir que « rien de sérieux » n’a été proposé à son parti. « La logique qui prévaut est toujours la même. C’est celle qui a mené le pays au bord de la faillite », déplore M. Sayegh avant de poursuivre : « Que personne ne croie que nous attendons notre tour pour intégrer le paradis du pouvoir, surtout lorsque celui-ci veut opter pour le raisonnement d’hier. Nous avons besoin d’œuvrer pour des réformes salutaires (qui devraient devraient être garanties), selon une nouvelle logique. Mais nous en sommes encore loin. »
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commentaires (10)
Pauvre pays . Chaque politicien veut devenir ministre pour un pays et le comble en faillite .
Antoine Sabbagha
19 h 23, le 25 juin 2018