Rien ne porte à croire que le prochain cabinet soit en mesure de voir le jour prochainement. Bien au contraire. Les protagonistes campent toujours sur leurs positions respectives au sujet de leur représentation au sein de la future équipe ministérielle.
Sauf que les demandes politiques ne sont pas le seul obstacle entravant encore la mise sur pied du nouveau gouvernement. Il y a aussi ce que les proches du chef du législatif, Nabih Berry, perçoivent comme « une lenteur inexpliquée » de la part de « ceux qui sont chargés de former l’équipe ministérielle », pour reprendre les termes d’un proche du président de la Chambre contacté par L’Orient-Le Jour. Une allusion à peine voilée à M. Hariri, dont le retour est prévu dans les prochaines heures. « Les élections législatives se sont tenues il y a plus d’un mois. Et nous nous attendions à une formation rapide du cabinet. Mais la lenteur que nous observons actuellement est inexplicable », déplore ce proche de M. Berry, mettant en garde contre les retombées négatives des atermoiements sur ce plan au vu des récents développements régionaux.
La même crainte se fait sentir chez Ali Hassan Khalil, ministre sortant des Finances et conseiller politique de Nabih Berry. S’exprimant lors d’une cérémonie tenue hier au siège du ministère, il a déclaré : « Il est très important que les forces politiques comprennent que le temps ne joue pas en notre faveur. Nous avons besoin de former un gouvernement dans les plus brefs délais. » Le cabinet devrait être capable de s’acquitter de ses responsabilités, pour ce qui est de la relance économique du pays », a-t-il ajouté.
Le ministre sortant des Finances a également critiqué implicitement Saad Hariri. « Je suis désolé de dire qu’aucune action sérieuse n’a eu lieu dans le cadre de la formation du nouveau cabinet », a-t-il souligné. M. Khalil emboîtait ainsi le pas à M. Berry qui, lundi déjà, avait ouvertement déclaré devant ses visiteurs que « le gouvernement va à reculons », tout en confiant ne pas comprendre les raisons de cet état de choses.
Dans certains milieux politiques, on estimait hier que par ses propos, le président de la Chambre, qui compte partir en vacances à la fin de la semaine, renvoyait la balle d’abord dans le camp du Premier ministre désigné. Mais dans les milieux proches de Saad Hariri, on se veut un peu plus optimiste. On tient surtout à se monter réaliste. « Jamais un gouvernement ne s’est formé en moins de deux mois », rappelle via L’OLJ Moustapha Allouche, membre du bureau politique du courant du Futur. « Nous n’avons donc pas dépassé les délais habituels », indique-t-il, soulignant que « le gouvernement peut se former en 24 heures si tous les nœuds sont défaits. Mais cela n’est pas le cas ».
(Lire aussi : La lutte contre la corruption, en tête des priorités du nouveau gouvernement, le décryptage de Scarlett HADDAD)
Les sunnites du 8 Mars
Parmi ces nœuds, il y a, surtout, l’obstacle lié à la représentation des députés sunnites ne gravitant pas dans l’orbite du 8 Mars. Six de ces dix députés se sont réunis hier au domicile de Abdel Rahim Mrad, député de la Békaa-Ouest. Il s’agit, outre M. Mrad, de Fayçal Karamé (Tripoli), Kassem Hachem (Hasbaya), Jihad Samad (Denniyé), Walid Succarié (Békaa) et Adnane Traboulsi (Beyrouth). À l’issue de la réunion, les députés ont ouvertement demandé deux portefeuilles ministériels, appelant au « respect de la juste représentation et de la participation de tous à l’action gouvernementale des forces politiques à la représentation significative ».
Expliquant cette position qui pourrait être interprétée comme une condition rédhibitoire qui compliquerait davantage la mission de Saad Hariri, Abel Rahim Mrad est catégorique : « Nous ne faisons que préserver notre droit à la représentation gouvernementale à l’instar de tous les protagonistes », affirme-t-il à L’OLJ, rappelant par la même occasion que les députés en question ont accordé leurs voix à Saad Hariri lors des consultations contraignantes tenues à Baabda le 24 mai dernier, en guise de bonne intention. « Nous tenons à ce que nous soyons représentés par deux des six ministres sunnites », dit-il, avant de nuancer ses propos : « Nous sommes prêts à nous contenter d’un seul ministre si un siège sunnite est accordé au chef de l’État. »
À son tour, l’ancien Premier ministre Nagib Mikati, qui n’a pas participé à la réunion d’hier, ne cache pas son désir de prendre part au prochain gouvernement en vertu du principe selon lequel tout bloc parlementaire composé de quatre députés peut être représenté par un ministre. C’est d’ailleurs à partir de ce constat qu’un proche de M. Mikati explique à L’OLJ son absence de la rencontre d’hier : « M. Mikati est parvenu à mener sa bataille électorale à Tripoli en solo et s’en est sorti avec un bloc de quatre députés. Il n’est donc pas concerné par cette rencontre. D’autant qu’elle ne représente pas tous les sunnites. » Dans les mêmes milieux, on note que le bloc de l’ex-Premier ministre est pluricommunautaire, ce qui devrait faciliter la tâche à M. Hariri. Mais tout le monde est conscient du fait que, dans la bataille que le CPL et les FL se livrent pour se partager les places qui reviennent aux chrétiens au sein du gouvernement, il ne restera pas grand-chose pour les autres. « Mais nous accepterons ce qui nous sera donné quand Saad Hariri relancera les négociations », ajoute le proche de M. Mikati.
En face, le camp du chef du gouvernement désigné est toujours attaché à sa position : il n’est pas question d’intégrer une personnalité sunnite hostile au Futur à la prochaine équipe ministérielle. Moustapha Allouche déclare, à ce sujet, sans détour : « Qu’ils se débrouillent. M. Hariri ne formera pas un gouvernement dont il ne serait pas convaincu. » À une question portant sur M. Mikati, M. Allouche répond d’un ton tout aussi ferme : « Son problème n’est pas avec nous. S’il est tellement déterminé à entrer au cabinet, qu’il aille puiser sa part chez le président de la République. » Une logique qu’a contestée hier Fayçal Karamé dans une déclaration. « Nous ne sommes pas des cadeaux que s’échangent le chef de l’État et le Premier ministre désigné. Nous sommes des députés au poids populaire qui ne devrait pas être occulté lors de la formation du cabinet », a-t-il souligné.
CPL-FL
Outre la représentation des sunnites du 8 Mars, Saad Hariri devrait défaire le nœud articulé autour des quotes-parts respectives du Courant patriotique libre et des Forces libanaises. Selon plusieurs médias, M. Hariri aurait rencontré le chef du CPL, Gebran Bassil, à Paris à cet effet. Des informations ont également circulé hier dans les médias selon lesquelles Gebran Bassil devrait s’entretenir avec le ministre sortant de l’Information, Melhem Riachi (FL), pour régler définitivement cette question épineuse. Des informations non confirmées par les partis concernés dans la mesure où cela relève des compétences du Premier ministre désigné.
Mais en attendant la relance des négociations gouvernementales, les deux partis chrétiens majoritaires restent attachés à leurs demandes gouvernementales. Et à l’heure où Meerab entend, selon un cadre FL, respecter « une trêve médiatique » avec le CPL, Ibrahim Kanaan, député CPL du Metn, a implicitement attaqué les FL, les accusant d’entraver la mise sur pied du cabinet. « Celui qui cherche une quote-part ministérielle supérieure à son poids parlementaire est responsable du blocage gouvernemental », a-t-il tonné à l’issue de la réunion hebdomadaire du bloc dit « Le Liban fort » dirigé par le CPL.
Interrogé par L’OLJ, Mario Aoun, député aouniste du Chouf, insiste sur le fait que sa formation tient à obtenir six ministres, dont le vice-président du Conseil. « Nous voulons des portefeuilles régaliens et consistants », dit-il, avant de rappeler que le chef de l’État devrait également avoir des ministres. « En principe, il devrait en avoir cinq », dit-il sans préciser de quel principe il s’agit. Il note par ailleurs que les contacts pour régler la crise concernant la participation du chef du Parti démocrate libanais, Talal Arslane – qui a reçu hier une délégation du Hezbollah – devraient être menés par Saad Hariri.
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commentaires (6)
LES PROLONGATIONS SONT DESTINEES A TROUVER COMME TOUJOURS DES COMPROMIS PARFOIS POSITIFS MAIS SOUVENT NEGATIFS !
JE SUIS PARTOUT CENSURE POUR AVOIR BLAMER GEAGEA
15 h 11, le 20 juin 2018