En attendant la reprise par le Premier ministre désigné, Saad Hariri, des contacts politiques en vue de la mise sur pied du « premier cabinet du mandat Aoun », selon les proches du chef de l’État, les nœuds ne font que s’accumuler, rendant encore plus difficile la tâche de M. Hariri.
C’est dans ce cadre qu’il conviendrait de placer la polémique qu’un tweet posté sur le compte personnel du chef du Parti socialiste progressiste (PSP) Walid Joumblatt vendredi dernier a déclenchée. M. Joumblatt a estimé que « le mandat actuel est un fiasco dès le premier instant », suscitant l’ire des députés et responsables du Courant patriotique libre (CPL). Mais, s’il est vrai que des contacts menés par Alain Aoun et Hadi Aboul Hosn, respectivement députés CPL et PSP de Baabda, sont parvenus à mettre fin à la polémique au moins sur les réseaux sociaux, la querelle entre les deux partis semble loin de s’estomper. D’autant que les aounistes continuent de la percevoir comme une attaque injustifiée contre le sexennat. C’est cette impression qui se dégage des propos tenus hier par Simon Abiramia, député CPL de Jbeil. Dans un entretien accordé à la chaîne al-Jadeed, il a lancé : « Nous avons répondu à la critique injustifiée de M. Joumblatt contre le régime. » Il a par ailleurs estimé que le « leader druze est revenu à son poids politique normal, ce qui explique son malaise actuel ».
Des arguments auxquels répond Fayçal Sayegh, député joumblattiste de Beyrouth, en soulignant que M. Joumblatt n’a fait que donner son avis dans un pays qui se veut démocratique. M. Sayegh ne manque pas toutefois de critiquer implicitement le parti fondé par le chef de l’État. « Lors des dernières législatives, certains ont tissé des alliances à même de nous amoindrir », déplore-t-il. Une allusion à peine voilée au rapprochement à caractère électoral entre les aounistes et M. Arslane, face à l’alliance tripartite FL-PSP-Futur.
Mais, au vu du timing de la toute nouvelle querelle entre le PSP et le CPL, il semble qu’elle soit liée aux négociations en cours pour la formation de la future équipe ministérielle, le leader druze tenant à monopoliser les trois sièges druzes dans un cabinet de trente. Il tenterait donc de faire barrage aux tentatives d’intégrer son principal rival, Talal Arslane, au troisième gouvernement Hariri, dans le cadre de la quote-part qui devrait être accordée au chef de l’État. Mais dans les milieux proches de ce dernier, on assure que la présidence de la République ne veut pas prendre part à la polémique. Ces milieux dénoncent en même temps les tentatives de mettre en échec le régime, alors qu’il a enregistré des accomplissements significatifs dans plusieurs domaines.
Quant aux milieux du CPL, ils insistent : le gouvernement devrait intégrer tout le monde, y compris M. Arslane. Mario Aoun, député CPL du Chouf, va encore plus loin. Interrogé par L’Orient-Le Jour, il déclare sans détour : « Nous refusons tout monopole de la représentation druze. D’autant que Talal Arslane est sorti vainqueur des législatives de mai dernier. »
Tout comme ils insistent sur la nécessité d’intégrer le chef du Parti démocrate libanais au cabinet, les aounistes campent sur leur position quant à leurs demandes gouvernementales. À ce sujet, Mario Aoun est catégorique : « Le prochain gouvernement devra être formé conformément aux poids politiques et parlementaires issus du scrutin de mai. Nous représentons donc 29 députés. C’est à la faveur de cette logique que nous demandons le poste de vice-président de la Chambre, ainsi qu’un portefeuille régalien et plusieurs ministères » consistants « que nous n’avons pas encore définis ».
(Lire aussi : La lutte contre la corruption, en tête des priorités du nouveau gouvernement, le décryptage de Scarlett HADDAD)
La querelle interchrétienne…
Bien au-delà de sa dimension gouvernementale, la querelle CPL-PSP revêt une certaine importance dans la mesure où elle s’ajoute aux désaccords entre le parti dirigé par Gebran Bassil et plusieurs protagonistes, notamment les Forces libanaises, le mouvement Amal et le courant du Futur (autour du dossier des réfugiés syriens, à la lumière, bien entendu, des récentes mesures unilatérales prises par le ministre des AE contre le Haut-Commissariat des réfugiés au Liban, sans l’aval du Premier ministre désigné). Mais dans les milieux du CPL, on semble peu se soucier de tous ces désaccords, tant que « c’est l’intérêt général qui est le but ultime de l’action du parti », pour reprendre les termes de Mario Aoun. « Toutes ces formations politiques auront le temps de se consoler. Mais nous continuerons à œuvrer pour l’intérêt du pays », insiste-t-il.
En dépit de ce constat, qui devrait refléter une volonté de calmer surtout la querelle entre les FL et le CPL, celle-ci a repris de plus belle hier. Dans le cadre de la campagne médiatique menée récemment contre tous les ministres FL, une virulente polémique a éclaté hier entre Wehbé Katicha (FL) et Assaad Dergham (CPL), tous deux députés du Akkar, autour du budget accordé par le ministère de la Santé (détenu aujourd’hui par Ghassan Hasbani, FL) aux hôpitaux de la région. M. Dergham a même été jusqu’à accuser M. Hasbani de « commettre des infractions à la loi », assurant qu’il « ne restera pas les bras croisés face à l’injustice commise à l’encontre du Akkar ».
Il va sans dire que cette nouvelle phase de la querelle entre les deux alliés chrétiens retarde la mise sur pied du nouveau cabinet. Mais Fadi Saad, député FL de Batroun, perçoit les choses sous un autre angle. Contacté par L’OLJ, il souligne qu’il n’y a pas de nœud chrétien. « À la faveur de notre nouveau poids parlementaire, il est normal que notre représentation au sein du cabinet se renforce, au moyen de ministères consistants », dit-il, rappelant que l’accord de Meerab stipule un partage égalitaire des postes ministériels entre FL et CPL. « Occuper un portefeuille régalien et la vice-présidence du gouvernement relève de notre droit », ajoute M. Saad, qui explique la campagne contre les ministres de son parti par le fait qu’« ils (les aounistes) ont décelé le secret du succès du parti aux législatives. Ils tentent donc de déformer l’image des FL devant l’opinion publique ». « Mais nous ne céderons pas », assure-t-il, tout en se disant confiant qu’il est impossible de former un cabinet qui n’inclurait pas les FL.
En attendant que Michel Aoun et Saad Hariri parviennent à surmonter tous ces obstacles, le président de la Chambre Nabih Berry entend, selon les visiteurs de Aïn el-Tiné cités par l’agence al-Markaziya, prendre l’avion pour l’Italie en fin de semaine pour y passer les vacances d’été en famille.
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commentaires (7)
Je ne suis pas druze et je n'accepte pas que Mario Aoun mette son nez dans les affaires propres à la communauté druze... Je refuse à la grenouille de la fable Alain Aoun de se moquer tout le temps des autres. Le Bloc du CPL compte 19 députés CPL et 10 apparentés. Le bloc FL compte 14 députés FL et un apparenté. Au nom de qui et de quoi, Mario Aoun revendique 6 ministres pour le CPL de son onclse et laisse 2 aux FL. Sans calculette sur un ministère de 30 ministres, le CPL pourrait prétendre à 3 ministres et deux aux FL. Quant au quota pour le président de la République, cela ne devrait pas exister au Liban et n'existera pas.
Un Libanais
19 h 09, le 19 juin 2018