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Le Mondial-2018, unique échappatoire pour des déplacés syriens

Sous une grande tente aménagée dans la ville d'Ain Issa, à 50 km de Raqqa, les fans de football se rassemblent en journée dans ce lieu à l'abri de la chaleur.     

Des déplacés syriens regardent un match de football dans un camp de déplacés à Ain Issa, dans la province de Raqqa, en Syrie, le 17 juin 2018. AFP / Delil Souleiman

Dans un camp pour déplacés du nord de la Syrie, ils sont des dizaines quotidiennement au rendez-vous: après des années de guerre voire de domination jihadiste, le Mondial-2018 est pour eux l'ultime échappatoire à un quotidien sombre.

Depuis le 14 juin, à chaque jour son même rituel. Sous une grande tente aménagée dans la ville d'Ain Issa, à 50 km de Raqqa, l'ex "capitale" du groupe Etat islamique (EI), les fans de football, tout comme les moins passionnés, se rassemblent en journée dans ce lieu à l'abri de la chaleur.

Le soir, ces dizaines de déplacés en provenance de Raqqa ainsi que des provinces d'Alep (nord) et de Deir ez-Zor (est) regardent les rencontres en plein air, s'allongeant à même le sol autour du vidéo-projecteur, dont le financement a été assuré par une ONG locale.

"C'est une très belle initiative que de pouvoir assister dans un camp à la Coupe du monde. Cela permet d'atténuer le mal-être", dit Abdallah Fadel al-Obeid. "Les gens s'amusent en suivant les matches (...). Tout le monde aime le sport", ajoute ce trentenaire qui a fui il y a plus d'un an Maskana, en banlieue d'Alep, alors que le régime syrien menait une offensive pour y déloger les jihadistes de l'EI. 


(Pour mémoire : "En toute liberté", premier ramadan à Raqqa sans la menace jihadiste


"Propre aux +apostats+"
Ancien joueur, il raconte comment, dans sa localité d'origine, les jihadistes "débarquaient sur les terrains, confisquaient les papiers d'identité des participants et les emprisonnaient sous le prétexte que le football était l'imitation d'une tradition propre aux +apostats+".   "Grâce à Dieu, nous nous sommes débarrassés d'eux et pouvons enfin regarder des matches en liberté (...). Malgré les circonstances difficiles, nous sommes heureux", poursuit-il. 

Supporteur de l'équipe égyptienne des "Pharaons", il dit évidemment regretter la défaite inaugurale face à l'Uruguay (0-1) et l'absence de Mohamed Salah, l'icône du monde arabe. "Ils l'ont sans doute gardé pour le prochain match", ce mardi contre la Russie, espère-t-il. Un enthousiasme relativement feutré --aucun drapeau ou bannière à l'horizon, la faute notamment à un manque de moyens--, enveloppe le camp, qui abrite 13.000 déplacés selon l'ONU.  


(Lire aussi : Dans un village syrien libéré de l'EI, la joie de retrouver l'école)


Sous la tente, devenue un repaire, les enfants s'assoient près de leurs pères en suivant les mouvements des silhouettes qui défilent à l'écran. Certains sont équipés d'un oreiller sur lequel ils posent parfois leur tête, tandis que d'autres ont aménagé une chaise de fortune. 

A l'extérieur, Maabad al-Mohammad, 23 ans, remarque que cette édition de la Coupe du monde arrive à un moment "extrêmement difficile" de sa vie. Le jeune homme vit dans une tente à Ain Issa depuis plus d'un an, après avoir fui sa ville natale de Raqqa. "Nos amis nous manquent, l'excitation de regarder des matchs (avec eux) aussi", déplore Maabad, dont la ville a été durant trois ans sous domination de l'EI, avant sa reprise l'an dernier par une alliance kurdo-arabe soutenue par les Etats-Unis. 


(Lire aussi : Huit ans après, le retour à la vie civile pour des conscrits syriens)


"Le vide et l'ennui"
Défait par une vaste opération militaire menée contre son "califat" autoproclamé en 2014 à cheval entre Syrie et Irak, l'EI contrôle désormais moins de 3% du territoire syrien, principalement des zones désertiques du centre et de l'est. 

Maabad se souvient du Mondial-2014, qu'il avait suivi depuis son domicile à Raqqa, alors que des membres de l'EI opéraient des descentes régulières dans les cafés, forçant les fans de football à rentrer chez eux pour prier. "La guerre nous a privés de tant de bonnes choses, y compris le sport", déplore cet inconditionnel du Brésil. 

Avec plus de 350.000 morts, le conflit syrien, qui a éclaté en 2011 après la répression sanglante de manifestations pro-démocratie, s'est complexifié au fil des ans avec l'implication de groupes jihadistes et de puissances étrangères. Il a jeté des millions de Syriens sur le chemin de l'exil. 

Assis à côté de Maabad, Abdallah Abdel Baset, 47 ans, est un mordu du ballon rond. Ce quadragénaire à la barbe et aux cheveux grisonnants est activement impliqué dans la vie sportive des jeunes du camp, qu'il a répartis en plusieurs équipes. Il se félicite de l'installation d'un vidéoprojecteur, laquelle a rempli, dit-il, "le vide et l'ennui", permettant "d'éloigner certains de leurs problèmes". Mais l'enthousiasme de cette année n'est pas le même que pour les précédentes éditions, regrette-il lui aussi, soulignant avoir suivi tous les Coupes du monde depuis 30 ans.
"Avant, il y avait une grande excitation, on s'emportait, mais ici les spectateurs n'applaudissent même pas, sauf si un but est marqué." "La guerre a affecté cette génération, la privant de sport pendant sept ans", ajoute-t-il.  Mais Abdallah veut garder un peu d'optimisme pour l'avenir.   "Nous espérons voir la prochaine Coupe du monde dans nos maisons".


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