Rechercher
Rechercher

Moyen Orient et Monde - Entretien

Ibrahim Kaboğlu : Le scrutin du 24 juin est un « combat démocratique »

Ce juriste et professeur de droit s’est lancé dans la politique après son limogeage et se présente en tête de liste du principal parti d’opposition. Ibrahim Kaboğlu décrit le contexte et les enjeux des élections présidentielle et législatives du 24 juin en Turquie.

Après plus de 30 ans de carrière académique à l’Université de Marmara, Ibrahim Kaboglu (au milieu) a été privé du droit d’exercer son métier. Toutefois, il n’a jamais cessé ses activités et a d’ailleurs sillonné le pays pour donner de nombreuses conférences après son limogeage. Photo Marie Tihon

Ibrahim Kaboğlu vient d’inaugurer son local de campagne à Koşuyolu sur la rive asiatique d’Istanbul. Nombreux sont ceux qui sont venus féliciter cet éminent juriste et faire la queue pour recevoir une dédicace de son livre sur la Constitution. Ce professeur de 67 ans a été démis de ses fonctions par décret en février 2017 pour avoir signé une pétition réclamant la fin des violences de l’État dans la région à majorité kurde de Turquie.
Malgré la confiscation de son passeport, la perte de ses revenus, et l’interdiction de bénéficier d’une retraite et d’une sécurité sociale, Ibrahim Kaboğlu n’a jamais cessé son combat pour la justice. Celui que l’État a essayé de réduire au silence se lance aujourd’hui en politique. Nommé tête de liste du principal parti d’opposition, le CHP, pour les législatives, Ibrahim Kaboğlu insiste : les élections du 24 juin sont la dernière chance pour les électeurs de dire non à la modification de la Constitution votée l’an dernier.

Comment avez-vous pris la décision d’être candidat aux législatives ?
Je n’avais initialement pas l’intention de me présenter à ces élections. En tant que professeur de droit et spécialiste du droit constitutionnel, je suis familier de ces problématiques, mais jusqu’ici, je n’étais qu’un simple représentant de la société civile. D’ailleurs, il y a encore un mois, je n’étais même pas membre du CHP (kémaliste-centriste). Mais avec l’annonce de la tenue des élections anticipées il y a un mois et demi, tout s’est passé très soudainement. En Turquie, vous savez, on vit toujours l’histoire de façon intense !


(Lire aussi : A Diyarbakir, le vote kurde suscite la convoitise)


Sur quelle thématique allez-vous axer votre campagne ?
Je pense que notre pays a besoin d’une normalisation de son régime constitutionnel. Je suis contre la nouvelle Constitution adoptée en avril 2017 par référendum (et censée être mise en application après ces élections présidentielle et législatives). Elle accorde trop de pouvoir au président de la République qui aura notamment la possibilité de gouverner par décrets, sans consulter l’Assemblée nationale. Il faut supprimer ces modifications et revenir à un régime parlementaire. Il faudra aussi rétablir les contre-pouvoirs qui ont tous été affaiblis depuis des années. Bien sûr, il y a d’autres problèmes à régler en Turquie comme, par exemple, la faiblesse de notre économie. Mais je suis juriste de formation, donc ce n’est pas à moi d’insister sur ce point. De toute manière, je suis persuadé que si le droit n’est pas respecté, l’économie ne se portera pas bien non plus.

Pourquoi vouloir devenir député alors que, selon vous, le Parlement ne disposera plus, après ces élections, de réels pouvoirs ?
Si Recep Tayyip Erdogan est élu président et si l’AKP (le parti islamo-conservateur au pouvoir) et ses alliés du MHP (ultranationaliste) obtiennent la majorité des sièges à l’Assemblée nationale, alors il n’y aura vraiment plus aucune place pour l’opposition, et le Parlement ne servira plus à rien. Mais si nous (l’alliance électorale constituée des républicains du CHP, des nationalistes du Iyi Parti, des islamistes du Saadet Parti et des conservateurs du Parti démocrate) remportons les législatives, alors nous pourrons équilibrer un peu le pouvoir du président de la République. Une alternance politique au Parlement redonnerait de l’espoir à toute l’opposition.

Justement, quel est le dénominateur commun à cette opposition hétéroclite ?
Évidemment, il existe des divergences entre nous. Mais aujourd’hui, ce qui nous rassemble, c’est d’abord d’exiger le retour au régime parlementaire. Nous souhaitons avant tout rétablir l’état de droit, la séparation des pouvoirs, l’indépendance de la justice et des médias. La suppression de l’état d’urgence est également primordiale.


(Lire aussi : Elections en Turquie : Erdogan face à une concurrence inattendue)



Quelles difficultés rencontrez-vous durant cette campagne ?
Ici en Turquie, les médias ne sont plus impartiaux : par exemple, les grandes chaînes de télévision hésitent souvent à m’inviter pour venir débattre en plateau. Alors, je privilégie une campagne de terrain, au contact des électeurs. J’organise beaucoup de réunions, j’essaye de faire de la pédagogie au nom du droit à l’information constitutionnelle. Mais là encore, ce n’est pas une situation équitable car Erdogan et l’AKP font campagne avec les moyens de l’État, ce qui constitue une nouvelle atteinte au droit.

Quand le CHP ou le Parti démocratique des peuples (HDP) désignent comme candidats des personnes qui, comme vous, ont été la cible des purges lancées par le régime, c’est aussi une manière de leur redonner une place dans la société...
Oui, car nous sommes toujours dans le viseur du gouvernement. D’ailleurs, nous sommes, encore aujourd’hui, poursuivis par la justice (la prochaine audience de son procès aura lieu le 23 octobre, NDLR). Lorsque je rencontre des gens, ils me disent tous que le CHP a très bien fait de m’avoir placé en tête de liste, car je suis à nouveau visible dans le débat public. Cela me donne des responsabilités et cela apporte aussi de l’espoir aux électeurs.

Quelles ont été les réactions officielles suite à l’annonce de votre candidature ?
Malgré sa pratique autoritaire du pouvoir, l’AKP n’a pas réussi à intimider le CHP pour empêcher ma nomination. Ma candidature a ensuite été validée par le Conseil supérieur électoral (YSK), bien qu’un citoyen ait essayé de la contester. Cela me donne aussi de l’espoir d’un point de vue juridique, car le Conseil supérieur électoral ne s’est pas laissé influencer par le gouvernement. Tout n’est pas encore perdu. Nous avons de quoi intensifier le combat pour la démocratie. Le 24 juin ne se limite pas à une double élection. Il y a un sens au-delà de ce scrutin : c’est le combat démocratique.



Lire aussi
La difficile campagne, de sa prison, du candidat Demirtas

Le difficile défi d'une rivale d'Erdogan au passé encombrant

Le vote kurde : l’inconnue des élections turques de 2018

Les élections anticipées, une manœuvre risquée pour Erdogan ?    

Erdogan place sa campagne électorale sous le signe d’une Turquie conquérante

L’opposition va nouer une alliance face à Erdogan pour les élections

L’économie turque en surchauffe, un déclencheur des élections anticipées

Ibrahim Kaboğlu vient d’inaugurer son local de campagne à Koşuyolu sur la rive asiatique d’Istanbul. Nombreux sont ceux qui sont venus féliciter cet éminent juriste et faire la queue pour recevoir une dédicace de son livre sur la Constitution. Ce professeur de 67 ans a été démis de ses fonctions par décret en février 2017 pour avoir signé une pétition réclamant la fin des...

commentaires (2)

APRES LES NETTOYAGES FAITS PAR LE MINI SULTAN ERDO RIEN DE DEMOCRATIQUE DANS CES SIMULACRES D'ELECTIONS ! DE LA COMEDIE PLUTOT !

LA LIBRE EXPRESSION

08 h 37, le 15 juin 2018

Tous les commentaires

Commentaires (2)

  • APRES LES NETTOYAGES FAITS PAR LE MINI SULTAN ERDO RIEN DE DEMOCRATIQUE DANS CES SIMULACRES D'ELECTIONS ! DE LA COMEDIE PLUTOT !

    LA LIBRE EXPRESSION

    08 h 37, le 15 juin 2018

  • La démocratie turque est un mirage depuis cent ans.... Il suffit de regarder l'histoire et la chronologie politique de ce pays pour s'en convaincre. Des gens sensés ont-ils vraiment encore besoin de se convaincre ?! Helas, la démocratie turque est un désespoir, un mirage....

    Sarkis Serge Tateossian

    08 h 22, le 15 juin 2018

Retour en haut