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Économie - Énergie

Hausse des prix du pétrole : comment EDL aurait pu économiser des millions de dollars

Plusieurs banques locales et internationales avaient proposé, début 2016, à Électricité du Liban d’investir dans des produits financiers afin de réduire son exposition à la fluctuation des cours du brut.

Plusieurs banques ont proposé à EDL de souscrire à des contrats « forwards » sur le marché du Brent, à la Bourse de Londres. Leon Neal/Getty Images/AFP

Depuis l’envolée des cours du brut, qui s’est particulièrement accélérée le mois dernier pour atteindre un pic de 80,4 dollars le baril le 22 mai avant de graviter autour des 76 dollars, tous les regards sont tournés vers Électricité du Liban (EDL). Cette hausse soudaine aura sans aucun doute des retombées désastreuses sur l’établissement public, étant donné que sa production dépend de ces importations de fioul lourd (gasoil), dont les prix sont fortement indexés sur ceux du brut. EDL a déjà admis qu’elle n’aura pas les moyens de faire fonctionner à pleine capacité sa production si la hausse des cours du pétrole se poursuit. Elle affirme être capable de produire un maximum de 2 200 mégawatts (MW), alors que la demande dépasse la barre des 3 000 MW en été.

EDL aurait-elle pu réduire son exposition au risque de variation des prix du pétrole ? C’est ce qu’ont affirmé plusieurs sources bancaires concordantes à L’Orient-Le Jour, évoquant des négociations entre l’établissement public et plusieurs banques locales et internationales menées début 2016. Ces pourparlers devaient aboutir à une souscription par EDL à des produits dérivés financiers, dans l’optique de minorer le poids de ce type de risques. Car il y a encore deux ans, la chute des cours du pétrole liée à la décision de l’OPEP de ne pas réduire son offre faisait trembler l’économie mondiale. Le baril de brut avait ainsi franchi un plus bas en 13 ans, chutant jusqu’à 27 dollars le 20 janvier 2016. À ce moment-là, économistes et représentants d’organisations internationales pressaient le gouvernement libanais de lancer une profonde réforme du secteur de l’électricité, à même de rééquilibrer ses finances publiques, à travers l’augmentation des capacités de production d’EDL et la hausse des tarifs. Les transferts du Trésor à EDL, destinés à combler chaque année le déficit de l’établissement dû notamment à la subvention des tarifs, constituent le troisième poste de dépenses budgétaires.

Mais si aucune réforme structurelle n’a été amorcée par le gouvernement d’unité nationale de Tammam Salam à cette période, EDL a pris les devants en lançant un appel à propositions destiné aux banques locales comme internationales pour qu’elles soumettent une stratégie de « hedging », soit une stratégie d’investissements dans des produits financiers qui permettrait à EDL de prendre des positions pertinentes tout en couvrant ses risques face à l’évolution des cours du brut. Une stratégie qui lui aurait permis aujourd’hui de réaliser plusieurs centaines de millions de dollars d’économies. Une information confirmée par la suite à L’Orient-Le Jour par la direction d’EDL. Plus d’une quinzaine de banques ont pris part à ces négociations, dont Bank Audi, la SGBL, Morgan Stanley, Goldman Sachs ou encore Citibank.


(Lire aussi : Karadeniz : le troisième navire-centrale au Liban d’ici à un mois)


Absence de garanties
Toutes ont, dans un premier temps, proposé à EDL de souscrire à des contrats « forwards » (contrats à terme négociés de gré à gré) sur le marché du Brent, coté à la Bourse de Londres. La variation du cours du Brent sur le marché financier étant fortement corrélée à celle du fioul lourd sur le marché réel, il a alors été privilégié par les banques. Ces « forwards » sur le Brent auraient ainsi permis à EDL de s’engager sur un accord d’achat à des prix et des dates fixés au moment de la conclusion du contrat. Concrètement, alors que le baril du pétrole était donc autour de 30 dollars début 2016, les banques proposaient à EDL de s’engager à l’acheter à des prix estimés puis fixés comme variant progressivement de 35 à 50 dollars sur les trois années suivantes. Cela signifie que si EDL s’était engagée sur un prix à 45 dollars le baril pour 2017, et que celui-ci valait 55 dollars sur le marché réel, EDL aurait acheté le fioul au prix du marché, mais les banques lui auraient remboursé la différence, soit 10 dollars par baril acheté. Un investissement qui se serait donc révélé particulièrement avantageux pour EDL, compte tenu de l’évolution à la hausse des prix du pétrole au cours de ces trois dernières années.

L’établissement public avait accepté l’offre des banques, mais celles-ci ont réclamé des garanties en cas de défaut de paiement, EDL n’étant pas solvable. Ces garanties étaient nécessaires car, dans le cas où le cours du pétrole baissait par exemple sous la barre des 45 dollars convenus pour l’année 2017, il serait revenu à EDL, un établissement déficitaire, de payer la différence. « À ce moment-là, c’était soit le ministère des Finances, soit la Banque du Liban qui devait accepter de se porter garant. Mais, ils ont refusé », regrette un des banquiers interrogés. La direction d’EDL confie également à L’Orient-Le Jour ne pas avoir obtenu « de réponse, d’avis ou d’approbation » à ce sujet.


(Lire aussi : La hausse des prix du pétrole pourrait affecter la production de courant, confirme EDL)


Calcul trop prudent
Après ce premier refus, les banques sont revenues quelques semaines plus tard vers EDL et lui ont proposé d’investir dans un autre type de produit financier dérivé, des call-options, toujours sur le marché du Brent, qui est par définition moins risqué et moins contraignant, car optionnel. Plus précisément, EDL s’engageait sur un prix d’achat fixe (strike) du baril de pétrole à 50 dollars (voire 60 dollars pour certaines propositions de banques) sur les trois années suivantes. Chaque mois, EDL devait ensuite décider en fonction de l’évolution des prix du pétrole, s’il était avantageux ou non d’acheter l’actif financier. Mais là encore, il était nécessaire pour EDL de régler au préalable une prime de 350 millions de dollars aux banques. « Le gouvernement Salam, en période de vacance présidentielle, a préféré ne pas prendre le risque de donner son feu vert au règlement de cette prime. Il craignait que cette décision ne fasse l’objet d’attaques politiques, dans le cas où les prix du pétrole évoluaient à la baisse, contrairement à toutes les prévisions, et que la prime ne soit pas amortie par cet investissement », explique un autre banquier. « Aujourd’hui, il apparaît, avec l’envolée des prix du pétrole, que ce calcul prudent a empêché EDL de réaliser au minimum une économie de 350 millions de dollars », déplore-t-il.



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Depuis l’envolée des cours du brut, qui s’est particulièrement accélérée le mois dernier pour atteindre un pic de 80,4 dollars le baril le 22 mai avant de graviter autour des 76 dollars, tous les regards sont tournés vers Électricité du Liban (EDL). Cette hausse soudaine aura sans aucun doute des retombées désastreuses sur l’établissement public, étant donné que sa production...

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Même si tout ceci était vrai... Le problème numéro un de l'EDL et particulièrement du gouvernement reste l'absence de la volonté de construire une nouvelle centrale qui mettrait fin à ces incertitudes, et aux galères du pays et de cette entreprise. L'argent gaspillé dans ce secteur, navire flottant (Calamité) et autres fantaisies et choix extravagants auraient permis la construction d'une centrale neuve C'est triste

Sarkis Serge Tateossian

07 h 51, le 13 juin 2018

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Commentaires (1)

  • Même si tout ceci était vrai... Le problème numéro un de l'EDL et particulièrement du gouvernement reste l'absence de la volonté de construire une nouvelle centrale qui mettrait fin à ces incertitudes, et aux galères du pays et de cette entreprise. L'argent gaspillé dans ce secteur, navire flottant (Calamité) et autres fantaisies et choix extravagants auraient permis la construction d'une centrale neuve C'est triste

    Sarkis Serge Tateossian

    07 h 51, le 13 juin 2018

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