« La coordination (officielle entre le Liban et la Syrie) est établie et promet de s’intensifier dans l’intérêt des deux pays pour faire face au dilemme des déplacés (syriens et de leur retour) et d’autres. » C’est en ces termes que l’ambassadeur de Syrie, Ali Abdel Karim Ali, a conclu sa visite hier au palais Bustros, faisant ainsi l’annonce inédite d’une normalisation des rapports officiels entre Damas et Beyrouth à l’échelle des ministères des Affaires étrangères. Ce qui a catalysé cette normalisation, souhaitée ouvertement par le chef de l’État et son équipe politique – mais refusée par le Premier ministre –, est une lettre adressée par le chef de la diplomatie Gebran Bassil à son homologue syrien, Walid Moallem, demandant des précisions sur la loi numéro dix promulguée par le régime syrien et entrée en vigueur en avril dernier.
Cette loi permet au gouvernement syrien de saisir certaines propriétés privées pour les besoins de projets immobiliers, en échange d’actions dans ces projets bénéficiant aux propriétaires avérés. Les personnes délogées courraient toutefois le risque de ne bénéficier d’aucune contrepartie si elles étaient dans l’incapacité de prouver leur droit de propriété dans les 30 jours suivant le lancement officiel du projet urbain. Dans sa lettre, M. Bassil avait exprimé « la crainte que les conditions fixées par la loi empêchent le retour d’un nombre non négligeable de déplacés ».
C’est une réponse « rassurante » qu’il a obtenue de M. Moallem sous forme de missive que lui a transmise hier l’ambassadeur de Syrie, dans la suite d’une conférence donnée samedi dernier par le chef de la diplomatie syrienne : il avait annoncé que le délai pour prouver la détention d’un bien, initialement de trente jours, avait été amendé et fixé à un an, et avait indiqué qu’il enverrait une lettre à M. Bassil pour dissiper ses craintes.
L’engagement d’une coopération bilatérale pose toutefois plus d’une question. Cette coopération a-t-elle pour objectif réel d’assurer le retour des déplacés, ou « la crise » des déplacés n’est-elle qu’un prétexte afin de rétablir un dialogue bilatéral ?
(Lire aussi : La « fuite » du Hezbollah vers l’intérieur)
Pas de plan de retour officiel
D’abord, la réalité des craintes exprimées par M. Bassil et la validité des réassurances de M. Moallem. L’équipe du chef de l’État, dont fait partie M. Bassil, n’a jamais critiqué les actes de violence du régime contre son peuple, et a été même jusqu’à endosser la rhétorique de Bachar el-Assad, qui est aussi celle du Hezbollah, concernant l’impératif de préserver le régime syrien pour faire face au fondamentalisme sunnite, auquel se résumerait l’opposition syrienne, selon la propagande du régime.
Sachant que le décret est soupçonné par certains experts de paver la voie à une récupération par le régime des terrains appartenant à des opposants majoritairement sunnites, les « craintes » de M. Bassil restent superficielles tant que le problème de fond n’est pas traité : comment garantir le retour des déplacés alors que le mécanisme prévu par le décret impose à ceux qui souhaitent transmettre leur titre de propriété de le faire en passant par les services de sécurité syriens compétents, que la plupart des déplacés avaient cherché à fuir ? De même, en quoi l’extension du délai est-elle susceptible de rassurer les déplacés sur leur retour et de lever les entraves à ce retour ? L’une et l’autre missive des ministres des AE libanais et syrien contournent le fond du problème, à savoir que les déplacés sont à majorité sunnite antirégime et visés par une vaste entreprise démographique d’épuration ethnique – c’est-à-dire de garantir les conditions d’un retour sûr.
Or, ce retour ne semble pas être l’enjeu de la normalisation des rapports à l’échelle des chefs de la diplomatie. D’abord, parce qu’il existe déjà une « coordination à caractère technique entre Damas et Beyrouth portant strictement sur le retour des déplacés : elle se fait par le biais du directeur de la Sûreté générale, le général Abbas Ibrahim », souligne à L’Orient-Le Jour l’expert en politiques publiques et réfugiés Ziad Sayegh. Le général Ibrahim l’a officialisé dans un entretien en mai dernier à la revue mensuelle de la SG. Son travail serait même soutenu par le Premier ministre Saad Hariri, comme l’indique Moustapha Allouche à L’Orient-Le Jour, selon une logique de « laisser-faire », tant que le dialogue avec le régime syrien n’est pas rétabli à l’échelle de la présidence du Conseil et du gouvernement dans son ensemble. Un « laisser-faire » justifié par le fait que « la diabolisation des déplacés par le régime est devenue telle qu’il n’est plus possible de défendre, auprès de l’opinion publique libanaise, un plan d’action à long terme qui passerait par les canaux onusiens », comme l’indique M. Sayegh. Or ni le dialogue officiel Bassil-Moallem ni la médiation du général Ibrahim ne sont en réalité des solutions à la crise des déplacés. Le premier n’a pas abouti à l’élaboration d’un plan de retour : l’ambassadeur syrien a éludé hier une question sur la teneur de ce plan.
(Pour mémoire : Aoun dédouane le Hezbollah, même sur la Syrie...)
Le canal Abbas Ibrahim
L’action du général Ibrahim, elle, cible des régions libanaises précises, liées directement aux intérêts du Hezbollah. L’une de ses médiations avaient porté il y a quelques mois sur un retour de trois mille déplacés de Ersal, en coordination avec le président du conseil municipal de cette ville du nord-est de la Békaa à majorité sunnite, mais désormais infiltrée par les Brigades de la résistance (branche pluriconfessionnelle du Hezbollah) de plus en plus influentes. Ce retour a échoué, à défaut de garanties sécuritaires suffisantes pour les déplacés. Il fait l’objet d’une nouvelle tentative en cours de M. Ibrahim, qui s’emploie en parallèle à assurer le retour en Syrie de plusieurs milliers de déplacés présents dans des régions du Liban-Sud (Marjeyoun, Arqoub, Hasbaya, Nabatiyé), selon l’agence d’information al-Markaziya.
Or ces tentatives ne permettront, au meilleur des cas, qu’un retour ponctuel et en nombre limité de déplacés, et dans le seul objectif de servir les intérêts géostratégiques du Hezbollah, en coordination avec Damas. « Tant que le décompte et l’identification des déplacés par région sur le territoire libanais ne sont pas faits par l’État, ce qui ne demande pas plus de trois mois, ni une demande officielle formulée à l’ONU pour identifier les zones sûres en Syrie, la plupart des déplacés resteront au Liban », précise Ziad Sayegh.
Après s’être chargé de diaboliser l’ONU (dont il aurait menacé d’expulser la représentante au Liban), Gebran Bassil a fait en sorte que le seul superviseur du retour des déplacés soit le Hezbollah, par le biais des services sécuritaires. Son dialogue avec son homologue syrien est une couverture politique à ces services qui, in fine, consacre l’hégémonie irano-syrienne au Liban.
commentaires (10)
Dans ces temps troubles que traverse le Liban à cause de son invasion par 2 millions d'étrangers suivis ces temps-ci secrètement par des centaines d'autres aisés et fortunés, je m'incline devant le souvenir de nos compatriotes assassinés par l'ennemi-frère. Tous sont morts au Champ d'Honneur de la Patrie reconnaissante. Les massacrés de 1915-16 ont un monument à la Place des Canons. Je serais heureux de collaborer à une souscription nationale afin d'édifier un monument au sommet du Mont Sannine pour perpétuer leurs souvenirs jusqu'à la fin des temps. Si nous, les Libanais authentiques, nous ne le ferons pas, personne ne le fera à notre place. Le temps des "bises sur les barbes" est terminé.
Un Libanais
18 h 43, le 05 juin 2018