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Moyen Orient et Monde - Éclairage

Un an après, la crise du Golfe plus enlisée que jamais

En dépit des multiples tentatives de médiations internationales, ni Doha ni Riyad et ses alliés ne montrent de signes encourageants vers une ouverture.

De gauche à droite : l’émir du Qatar cheikh Tamim ben Hamad al-Thani, le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi, le roi Salmane d’Arabie saoudite, le Premier ministre des Émirats arabes unis et émir de Dubaï Mohammad ben Rachid al-Maktoum et le roi de Bahreïn Hamad ben Issa al-Khalifa. Mandel Ngan/Fayez Nureldine/Khaled Desouki/Lucas Jackson/AFP

L’offensive diplomatique aurait dû être éclair. Le 5 juin 2017, l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, Bahreïn et l’Égypte prenaient de court les observateurs de la région en annonçant la rupture de leurs liens diplomatiques avec le Qatar. Doha est accusé de financer le « terrorisme », en soutenant les Frères musulmans, et d’entretenir des liens trop étroits avec l’Iran, ennemi juré de Riyad. Le royaume wahhabite et ses alliés n’hésitent pas à resserrer l’étau autour de Doha en le mettant au ban de la région sur les plans diplomatique, économique et commercial. Déclenchant la crise la plus sévère depuis près de trois décennies dans le Golfe, ils espèrent faire rentrer dans le rang le petit émirat considéré comme trop ambitieux. Les mesures mises en place s’enchaînent : fermeture de la frontière entre le Qatar et l’Arabie saoudite, interdiction d’entrer pour les bateaux qataris dans les ports saoudiens et émiratis, interdiction pour Qatar Airways de voler dans l’espace aérien saoudien, expulsion du Qatar de la coalition saoudienne au Yémen.

Doha s’empresse de dénoncer « l’objectif clair : placer l’État (du Qatar) sous tutelle, ce qui marque une violation de sa souveraineté ». Le Qatar « respecte la souveraineté des autres États, n’interfère pas dans les affaires d’autrui, comme il lutte contre le terrorisme et l’extrémisme », se défend le ministère des Affaires étrangères. L’émirat « entreprendra les mesures nécessaires pour mettre en échec les tentatives d’affecter sa population et son économie », insiste-t-il. L’émir du Qatar, cheikh Tamim ben Hamad al-Thani, monte également au créneau dans une interview accordée à la chaîne américaine CBS diffusée en octobre, dans laquelle il accuse Riyad et ses alliés de vouloir « un changement de régime, c’est évident ».

Un an plus tard jour pour jour, force est de constater que les mesures décidées par Riyad pour faire plier Doha sont loin d’avoir eu l’effet escompté et les parties concernées ont fini par s’accommoder des conséquences du blocus. Alors que 40 % des importations qataries transitaient jusqu’alors par la frontière saoudienne, l’émirat n’hésite pas à mettre les bouchées doubles pour garder la tête hors de l’eau malgré la hausse fulgurante des prix des produits de consommation de base, donnant lieu à des épisodes cocasses où des milliers de vaches sont transportées par les airs pour faire face à la pénurie de lait. L’Iran et la Turquie ont, quant à eux, dépêché des milliers de tonnes de denrées alimentaires par voie maritime afin de renflouer les étagères des supermarchés qataris. L’Inde et le Pakistan en ont également profité pour augmenter leurs exportations en direction de l’émirat.


(Repère : Qatar-Arabie saoudite et alliés : retour sur un an de crise dans le Golfe)


Si l’impact de la crise s’est fait d’abord sentir à Doha, « les lignes d’approvisionnement ont rapidement été reconfigurées, en partie grâce au nouveau port Hamad », explique à L’Orient-Le Jour Gerd Nonneman, professeur en relations internationales et en études du Golfe à l’Université Georgetown au Qatar. « Les importations sont rapidement revenues à des niveaux normaux, tandis que les exportations en 2018 ont largement dépassé les niveaux d’avant le boycott, notamment en raison de l’expansion (et de la hausse des prix) des exportations de gaz naturel liquéfié. La croissance du PIB se situe aux alentours de 2,5-3 % (les prévisions du FMI annoncent 2,6 %) », note-t-il.

Bien que l’émirat gazier soit le premier visé par le blocus, ses voisins en ont aussi fait les frais, notamment « Dubaï aux Émirats arabes unis, qui a perdu une certaine crédibilité alors qu’il a prospéré en tant que lieu où l’on pouvait faire des affaires sans que des problèmes politiques ne les entravent, mais plus maintenant », observe pour L’OLJ Kristian Ulrichsen, chercheur sur le Moyen-Orient à l’Institut Baker pour les politiques publiques à l’Université Rice.


(Lire aussi : Riyad menace Doha d'une "action militaire" s'il se dote de missiles russes, selon Le Monde)


Comme un cadeau à l’Iran
Dans ce conflit « familial », ce sont surtout les aspects politique et diplomatique qui sont toutefois en jeu. Intransigeant, Doha refuse catégoriquement encore aujourd’hui d’appliquer la liste de treize points soumise par l’Arabie saoudite et ses alliés en juin dernier, conditions sine qua non pour accepter de lever le blocus. Ces derniers demandaient, entre autres, la fermeture de la chaîne qatarie al-Jazira, la réduction des liens diplomatiques avec l’Iran, l’alignement militaire, politique, social et économique avec les pays arabes et les pays de Golfe, selon l’accord de 2014 passé avec l’Arabie saoudite.
La position qatarie est on ne peut plus claire : abandonner sa souveraineté au profit de Riyad n’est pas une option. Doha préfère tabler sur ses multiples contacts à l’international plutôt que de dépendre uniquement de ses voisins du Conseil de coopération du Golfe (CCG). Depuis plusieurs années, l’émirat met à profit ses ressources financières, jouant d’une diplomatie douce pour étendre sa présence dans différents domaines à l’international, à coups de billets dans l’immobilier, le sport ou encore les médias. En renforçant cette stratégie, le Qatar a mis en porte-à-faux les prédictions du royaume wahhabite et ses alliés.

À force de trop vouloir serrer la vis sur Doha, la stratégie de Riyad et ses alliés a paradoxalement plutôt fini par contribuer à creuser l’écart avec l’émirat plutôt que de le combler. « Le CCG a cessé d’exister pour tout objectif géopolitique », estime M. Nonneman. « La Qatar ne reviendra jamais à la dépendance économique vis-à-vis des trois membres du CCG et n’adaptera même pas ses politiques étrangères à un cadre collectif du CCG : les politiques seront déterminées bilatéralement – en tenant compte des besoins de sécurité politique et économique », poursuit-il. Selon lui, « dans le Golfe cela inclut Oman et le Koweït », ainsi que le maintien des relations avec la Turquie et l’Iran, bien que les liens avec ce dernier ne « deviendront jamais une “alliance” ».

Deux mois après le début de la crise, le Qatar annonçait le retour de son ambassadeur à Téhéran tout en faisant un pied de nez supplémentaire à Riyad et ses alliés, en affichant publiquement son étroite coopération avec la République islamique. « Ils accusent le Qatar d’être proche de l’Iran, mais avec leurs mesures (…) ils poussent le Qatar vers l’Iran. Ils donnent le Qatar tel un cadeau à l’Iran », a déclaré le ministre qatari des Affaires étrangères, cheikh Mohammad ben Abderrahmane al-Thani lors d’une conférence à l’Institut français des relations internationales, en octobre, à Paris.


(Pour mémoire Qatar : l’Arabie et les Émirats ont-ils cherché à faire pression sur les États-Unis ?)


Une position que Doha maintient toujours aujourd’hui alors que les tensions ne cessent d’aller crescendo dans la région. « Est-il sage d’appeler les États-Unis et Israël à combattre l’Iran? L’Iran est juste à côté (du Qatar) », a déclaré dimanche le ministre qatari de la Défense, Khalid ben Mohammad al-Attiyah. « Si un tiers essaye de pousser la région ou un pays de la région à lancer une guerre contre l’Iran, cela sera très dangereux », a-t-il poursuivi. Ainsi, « nous devrions appeler l’Iran, mettre tous les dossiers sur la table, et discuter pour amener la paix et non la guerre », a-t-il insisté.

Doha a tout de même profité du blocus pour étendre son arsenal militaire en diversifiant les fournisseurs, tandis que son rival saoudien en a fait de même en se ravitaillant à Washington. L’émirat a signé un contrat de 12 milliards de dollars pour l’achat de F-15 américains en juin et s’est tourné vers Paris en décembre pour acquérir de 12 nouveaux rafales et négocier l’achat de 400 véhicules blindés de combat d’infanterie. La coopération militaire avec la Turquie a également été intensifiée lorsque le Parlement turc a ratifié un accord de 2014 permettant le déploiement de soldats turcs au Qatar dès juin, puis avec la signature d’un accord pour établir une base navale turque au nord du Qatar en mars. Si Ankara a d’abord tenu un discours plutôt nuancé à l’égard de Riyad et de Doha, le régime turc a fini par afficher clairement son soutien à l’émirat à travers différentes déclarations et de multiples rencontres entre responsables turcs et qataris.
Mais c’est la possibilité que le Qatar se dote de missiles S-400 russes qui a mis un peu plus d’huile sur le feu. Selon des informations rapportées par Le Monde vendredi, l’Arabie saoudite aurait envoyé un courrier à la présidence française, affirmant que « le royaume serait prêt à prendre toutes les mesures nécessaires pour éliminer ce système de défense, y compris une action militaire », ce qui serait une première entre les « frères » devenus ennemis.


(Pour mémoire : Le Qatar interdit les produits d’Arabie saoudite et des Émirats arabes unis)


Washington, seul médiateur possible ?
Alors que la bataille médiatique fait rage entre Riyad et Doha par médias progouvernementaux interposés, respectivement al-Arabiya et al-Jazeera, les tentatives de médiation extérieures se sont multipliées. Le Koweït, la Turquie, la France ou encore les États-Unis : tous ont en commun d’avoir essayé d’entreprendre des pourparlers, sans succès, tandis que les parties concernées ne montrent pas de signes encourageants allant dans le sens d’une ouverture. « Il y a deux problèmes principaux : le premier est un désaccord sur l’orientation future du Moyen-Orient. En fin de compte, les deux parties dans cette crise ont une vision très différente sur la façon dont ils aimeraient que la politique régionale évolue », indique à L’OLJ Elizabeth Dickinson, analyste de la péninsule Arabique à l’International Crisis Group. « Deuxièmement, alors que la crise du Golfe a commencé comme un désaccord limité à la péninsule Arabique, elle se joue maintenant dans un certain nombre de pays tiers différents – passant d’un conflit simple à un conflit à plusieurs niveaux », poursuit-elle.

Les parties concernées n’ont pas cessé de répéter pouvoir continuer à faire des affaires en dépit de la crise. Le prince héritier saoudien, Mohammad ben Salmane, a notamment comparé la situation en mars à l’embargo américain sur Cuba mis en place en 1962. Si les voies commerciales alternatives ont porté leurs fruits pour le moment, il est possible de douter de la capacité du Qatar à maintenir son économie à flot, tandis qu’il doit organiser la Coupe du monde de football 2022, et donc pouvoir s’approvisionner en matériaux nécessaires pour la construction des infrastructures. Une position tout aussi difficile à tenir sur le plan diplomatique.

Riyad et ses alliés ont affirmé à plusieurs reprises vouloir une médiation uniquement entre pays du Golfe pour trouver une solution à la crise, mais seuls les États-Unis semblent pouvoir avoir suffisamment de poids pour ramener l’ensemble des parties à la table des négociations, tout en devant être appuyés par une figure locale telle que le Koweït.

L’administration américaine, qui s’est d’abord fait particulièrement virulente à l’égard du Qatar au début de la crise, a drastiquement changé de position en appelant à de nombreuses reprises à « l’unité » dans la région. « Malheureusement pour Washington, il s’agit d’un problème où les relations solides entre les États-Unis et les capitales du Golfe ne sont peut-être pas suffisantes », estime l’analyste. « Dans l’ensemble, les États-Unis ont sous-estimé la gravité des malentendus et des désaccords entre les parties », ajoute-t-elle. Selon Mme Dickinson, « la rhétorique dédaigneuse de Washington à l’égard du conflit est parfois même contre-productive, ne réussissant pas à donner aux parties l’assurance que les États-Unis comprennent leurs préoccupations – ou du moins les partagent ». Il reste à voir si les Américains seront prêts à s’engager un peu plus dans leur rôle de médiateur si la possible livraison des S-400 russes à Doha finit par avoir lieu.




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L’offensive diplomatique aurait dû être éclair. Le 5 juin 2017, l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, Bahreïn et l’Égypte prenaient de court les observateurs de la région en annonçant la rupture de leurs liens diplomatiques avec le Qatar. Doha est accusé de financer le « terrorisme », en soutenant les Frères musulmans, et d’entretenir des liens trop étroits...

commentaires (3)

Hehe les détracteurs des saoudiens vont être vraiment surpris !! Bientôt très bientôt et ils vont comprendre leurs sous estimations .. car figurez vous qu’au usa / CANADA et même en Angleterre certains meilleurs étudiants sont saoudiens en génie en médecine et administration ... normal quand sur une classe en maîtrise on est 22 ... 10 sont de l’Arabie et des UAE

Bery tus

20 h 58, le 05 juin 2018

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Commentaires (3)

  • Hehe les détracteurs des saoudiens vont être vraiment surpris !! Bientôt très bientôt et ils vont comprendre leurs sous estimations .. car figurez vous qu’au usa / CANADA et même en Angleterre certains meilleurs étudiants sont saoudiens en génie en médecine et administration ... normal quand sur une classe en maîtrise on est 22 ... 10 sont de l’Arabie et des UAE

    Bery tus

    20 h 58, le 05 juin 2018

  • Que se soit contre israel ou contre l"Iran NPR, cette catégorie d'arabes est incapable de réaliser quelque chose de bon pour leurs peuples . LA NOTION MÊME DE TRAVAIL EST UN PARMETRE INCONNU POUR EUX . COMMENT VOULEZ VOUS QU'ILS PUISSENT RÉALISER OU ÉVALUER DES FAITS CONCRÊTS DE L'EXISTENCE HUMAINE SUR TERRE .??????? ILS NE SAVENT ABSOLUMENT RIEN GÉRER, LES VICTOIRES TRÈS RARES VOIR INEXISTANTES COMME LES DÉFAITES À LA PELLE .

    FRIK-A-FRAK

    13 h 49, le 05 juin 2018

  • LE BLOCUS DU QATAR... UNE GAFFE POLITIQUE SAOUDIENNE !

    LA LIBRE EXPRESSION

    10 h 44, le 05 juin 2018

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