Le député Hezbollah Nawaf Moussaoui soulignait il y a quelques jours que « les prochaines élections décideront de l’identité du Liban ». Une petite phrase qui en dit long sur l’enjeu politique majeur du scrutin du 6 mai. Et comme le hasard fait bien les choses, la véritable dimension de ces quelques mots a été parfaitement illustrée par les graves accusations lancées dimanche dernier contre le Hezbollah par le gouvernement marocain qui affirme détenir des preuves irréfutables de l’implication du parti chiite dans l’acheminement d’armes au Front Polisario, mouvement indépendantiste au Sahara occidental.
Le Hezbollah a, certes, démenti ces accusations. Celles-ci ne sont cependant pas surprenantes, à en juger par les nombreux précédents du parti chiite en la matière : sa participation à la guerre en Syrie, son aide aux houthis du Yémen et à l’opposition au Bahreïn, l’implantation de cellules subversives démantelées ces dernières années en Égypte – du temps de Hosni Moubarak –, en Bulgarie, à Chypre, au Koweït, aux Émirats arabes unis, et maintenant au Sahara occidental. Autant d’exemples qui démontrent que pour le Hezbollah, son champ d’action s’étend à l’ensemble du Moyen-Orient et même au-delà, le Liban ne représentant qu’un simple tremplin à cet égard.
Il serait possible d’argumenter longuement sur la détermination du parti de Dieu à entraîner les Libanais sur la voie de l’édification d’une société guerrière dans le but d’entretenir dans le pays un climat de conflit permanent, sans aucun horizon. Les derniers développements en Syrie et ceux qui pourraient encore poindre à l’horizon, à la lumière de la montée de la tension israélo-iranienne, mettent clairement en évidence les grands enjeux qui se jouent dans la région et le rôle que le Hezbollah pourrait être amené à assumer sur ce plan, à la demande de Téhéran.
Dans ce contexte explosif, certaines têtes de liste – aux dénominations pompeuses – qui cherchent à se poser en relève « réformatrice » de la classe politique actuelle n’hésitent pas à banaliser et à reléguer sciemment aux oubliettes le débat sur le projet du Hezbollah et son implication dans les tensions régionales. Une telle démarche relève soit de la malhonnêteté intellectuelle, soit de la cécité politique, car le Hezbollah, lui, n’a aucun scrupule à aller de l’avant dans son action déstabilisatrice interne et son rôle au-delà des frontières, faisant fi des retombées désastreuses d’une telle ligne de conduite sur le bien-être des Libanais.
C’est précisément à ce niveau que se précise l’enjeu politique fondamental du scrutin du 6 mai : voter de manière à empêcher le Hezbollah et ses alliés d’obtenir un trop grand bloc parlementaire, le but étant de contrer les effets des aventures guerrières du parti chiite et, surtout, de juguler la politique d’obstruction qu’il pratique au niveau de l’édification d’un État central souverain, capable de mettre en place une politique de réformes, d’assainissement et de développement économique.
La région tout entière est aujourd’hui en pleine mutation. Dans un tel contexte, les législatives de dimanche opposeront deux courants : ceux qui s’obstinent à impliquer les Libanais dans les conflits régionaux et ceux qui s’opposent à une telle option. Or seuls des partis bien rodés, bien structurés, bénéficiant d’équipes de travail performantes, ayant une vision stratégique claire des bouleversements en cours dans la région, possèdent les moyens de faire face aux tentatives d’ancrer le Liban à la poudrière ambiante – ce qui n’exclut pas le rôle d’indépendants alliés à ces partis et partageant la même vision.
Certains candidats qui se posent en relève soutiennent que les responsables politiques en place ont failli à leur mission et que si le pays se débat dans le marasme actuel, c’est en raison de la corruption et de l’incompétence de la classe politique, laquelle doit par conséquent céder la place à de « nouvelles figures ». C’est toutefois aller un peu vite en besogne. Il serait en effet foncièrement inique de placer tous les responsables dans le même sac et de ne pas reconnaître que certains ministres se sont malgré tout distingués par leur performance, leur sérieux et leur probité. Sans compter que ceux qui crient haro sur le baudet feignent d’oublier l’identité de la partie qui depuis 2005 s’emploie systématiquement à torpiller les efforts de redressement. Les Libanais ne sauraient oublier qui se tient derrière la longue série d’actions déstabilisatrices qu’a connue le pays depuis la révolution du Cèdre : la cascade d’assassinats politiques ; le climat de menace qui a contraint les députés du 14 Mars à se cloîtrer pendant plusieurs mois à l’hôtel Phoenicia ; la longue occupation du centre-ville ; le siège du Grand Sérail ; la guerre de juillet 2006 initiée par le Hezbollah ; la bataille de Nahr el-Bared ; l’agression du 7 mai 2008 à Beyrouth ; le torpillage du cabinet Hariri en janvier 2011 (en dépit de l’accord de Doha) ; le blocage de l’élection présidentielle et la fermeture du Parlement pendant deux ans et demi, etc.
Face à cette suspecte amnésie politique, est-ce réellement un hasard si les chefs de file « réformateurs » ne mènent bataille que sur le seul terrain de ceux qui ont été la cible de cette vaste série d’opérations déstabilisatrices et qu’ils fassent preuve d’autant de complaisance, voire de complicité, à l’égard du bourreau ?
Une nécessaire clairvoyance
OLJ / Par Michel TOUMA, le 04 mai 2018 à 00h00
A bon entendeur .... salut
12 h 25, le 05 mai 2018