Rechercher
Rechercher

Liban - Drame de la main-d’œuvre domestique

Lensa, qui s’est jetée du balcon et était payée 82 dollars par mois, n’a pas été maltraitée, estime la SG…

Sur cette photo datant de fin mars, Lensa (à gauche), se remettant de ses blessures, en compagnie de sa tante Ganneth.

Il y a deux jours, la Sûreté générale a tranché. Et classé l’affaire de la jeune employée de maison migrante, Lensa Lelisa Tufa, qui s’est jetée du balcon du deuxième étage, estimant qu’il n’y a « pas eu de maltraitance ». En promettant toutefois qu’elle garde l’œil sur les employeurs, et que la jeune femme sera rapatriée dès que rétablie. Une affaire classée comme tant d’autres violations des droits de la main-d’œuvre migrante. Et pourtant…

Le 30 mars dernier, L’Orient-Le Jour publiait l’histoire du drame de Lensa Lelisa Tufa, une ressortissante éthiopienne employée par la patronne d’une maison de couture à Jdeideh, qui s’est brisé le bassin, les deux jambes, les dents et la mâchoire, pour avoir voulu fuir des employeurs abusifs, en sautant du balcon. Parallèlement, L’OLJ informait la Sûreté générale de l’affaire, invitant l’institution à mener l’enquête, de crainte que la jeune femme de 21 ans et l’une de ses compatriotes, employée dans la même maison, ne soient victimes de trafic humain et de travail forcé.


La rédaction avait été appelée à l’aide par la tante maternelle de Lensa, qui travaille au Liban. Inquiète pour sa nièce, après avoir appris la nouvelle, elle s’est précipitée à son chevet d’abord à l’hôpital, où elle a enregistré son appel à l’aide. Plus tard, elle s’est rendue auprès d’elle, chez ses employeurs, à Hadeth. Elle ne l’avait pas vue depuis son arrivée au Liban. Elle ne lui avait pas non plus parlé, Lensa étant interdite de tout contact humain, même téléphonique, en dehors de son lieu de travail. Une association militant pour les droits des travailleurs migrants au Liban, This is Lebanon, basée au Canada, avait diffusé sur les réseaux sociaux l’enregistrement audio transmis à sa famille par la tante de Lensa. L’image de la jeune victime appelant à l’aide depuis son lit d’hôpital a semé l’émoi et la colère des internautes, au Liban et à l’étranger. Mais l’employée de maison a été ramenée manu militari chez ses employeurs, avec la complicité de la gendarmerie et de Caritas, après avoir modifié sa déposition, car la pression exercée par ses employeurs était trop importante. « Ces derniers étaient furieux de voir leurs noms et photos diffusés sur les réseaux sociaux », comme l’avait observé Ganneth, la tante de Lensa. Sans aucun doute, la jeune femme craignait-elle de ne pas être soignée, de devoir assumer elle-même les frais de traitement, de subir les conséquences de son geste. Il faut dire aussi qu’elle était à leur merci, interrogée devant eux.


(Pour mémoire : Lensa, jeune Éthiopienne victime d’employeurs abusifs et d’un système inique)



Trois premiers mois versés à l’agence
Ce 26 avril, quasiment un mois et demi après l’incident, et après une nouvelle requête officielle de L’OLJ, la Sûreté générale fait finalement part à la rédaction des conclusions de l’enquête : « La jeune Éthiopienne n’est pas victime de maltraitance. » Des conclusions que nous publions ci-contre, même si nous les réfutons catégoriquement, sachant que Lensa Lelisa Tufa se trouve toujours chez ses employeurs. Qu’elle craint donc des représailles. Qu’elle récupère encore des suites de son « accident », puisqu’elle a donné sa déposition à la SG sur fauteuil roulant. Que ses employeurs ont finalement effectué un virement de 450 dollars à sa mère en Éthiopie, en avril, après la médiatisation de son drame. Ils n’avaient envoyé jusque-là que 291 dollars, en février 2018. Le salaire total envoyé à la mère de Lensa s’élève donc à 741 dollars, pour 9 mois de travail. Ce qui représente 82 dollars par mois. De l’esclavage pur et simple. Preuve en est, les reçus envoyés par la mère de Lensa à sa sœur et This is Lebanon, également transmis à L’OLJ. Car « les trois premiers mois de travail ont été versés à l’agence de placement », rappelle la tante de Lensa. Sauf que cette pratique est formellement interdite par le ministère du Travail. Mais la SG n’a rien trouvé à redire.


(Pour mémoire : Mourir, par désespoir)


La volonté de clore rapidement le dossier est claire, vu le communiqué laconique de la SG (voir ci-dessous), truffé d’erreurs et de questions sans réponses. Il est légitime de se demander pourquoi les employeurs n’ont pas été inquiétés, alors que les évidences pleuvent. Il est tout aussi légitime de se demander ce qu’est devenue la troisième travailleuse éthiopienne dont nul n’a aucune nouvelle, « qui avait l’intention de prendre la fuite elle aussi, mais qui a pris peur après avoir vu sa compagne d’infortune à terre », comme dit l’enregistrement audio de la voix de la victime.
Seul point positif, la Sûreté générale a visiblement l’œil sur les employeurs de Lensa Lelisa Tufa. Ce qui laisse espérer que la jeune femme sera bien traitée, le temps de se rétablir, et de retourner chez les siens. Elle avait pourtant formulé le désir, devant sa tante, de changer d’employeur et de rester au Liban, car elle a besoin de travailler. Mais encore faut-il qu’elle ait l’accord de sa patronne et garante…


------

Le communiqué de la Sûreté générale

Dans un courriel à L’OLJ, signé du directeur du bureau de la communication, le général Nabil Hannoun, la Sûreté générale rend compte à L’OLJ de son rapport d’enquête concernant la ressortissante éthiopienne Lensa Lelisa Tufa « tombée » du balcon en mars dernier, à Jdeidé : « il n’y a pas eu maltraitance », assure l’institution, se basant sur les dépositions de la jeune femme. Mais elle « suit toujours l’affaire », assurant que « le garant de l’employée de maison s’est engagé à la rapatrier, dès qu’elle sera sur pieds ».
La SG rappelle donc l’affaire, à savoir la « chute » de l’employée de maison du balcon de l’appartement de ses employeurs ; les articles publiés par les médias et les réseaux sociaux ; l’enregistrement audio accompagné de la photo de la jeune femme, sur la maltraitance, les coups et la violence dont elle se dit victime.
« Aussitôt informée sur la possibilité que cette ressortissante éthiopienne soit victime de trafic humain, la Sûreté générale a convoqué toutes les personnes concernées et ouvert l’enquête », dit le communiqué. « Après avoir écouté la déposition de la ressortissante éthiopienne concernée, il en ressort qu’elle travaille chez ses employeurs depuis sept mois, qu’elle est bien traitée, qu’elle n’est pas victime d’abus, qu’elle perçoit son salaire et que son garant n’a rien à voir avec ce qu’il lui est arrivé. Elle a assuré, poursuit la SG, qu’elle a glissé du balcon de l’appartement de ses employeurs, alors qu’elle étendait du linge, debout sur une chaise. Elle a dit aux enquêteurs du poste situé dans le quartier où l’incident s’est déroulé qu’elle n’est tombée pour aucune autre raison, et qu’il s’agit d’un accident. Commentant l’enregistrement vidéo, elle a confirmé avoir tenu ces propos, depuis sa chambre d’hôpital, devant sa tante qui la filmait, après sa chute. Mais elle a précisé que ces propos étaient faux, concernant la maltraitance, la violence, l’enfermement. Le tout, dans un objectif de casser son contrat de travail et de rentrer chez elle. » Le communiqué de la SG relève de plus que « l’autre ressortissante éthiopienne qui travaille depuis 5 ans chez le même employeur n’a signalé aucun cas de maltraitance. Sa déposition est conforme à celle de sa compatriote, Lensa ».
En guise de conclusion, la SG affirme que « le garant de la jeune Éthiopienne s’est engagé à la rapatrier dans son pays aussitôt son traitement médical terminé ». L’institution assure qu’ « elle continue de suivre l’affaire ».




Pour mémoire

Les employées de maison dans la rue, contre le système du garant

Une Népalaise menacée d’expulsion « probablement » en raison de son engagement syndical

« Mes employeurs me respectent, mais qu'en est-il des autres ? »    

Un savon spécial pour les employées de maison ?

En l’absence d’une loi réglementant le travail domestique, la SG réduit les libertés des employées de maison étrangères

Au Liban, les employées de maison étrangères désormais libres d'aimer...

Il y a deux jours, la Sûreté générale a tranché. Et classé l’affaire de la jeune employée de maison migrante, Lensa Lelisa Tufa, qui s’est jetée du balcon du deuxième étage, estimant qu’il n’y a « pas eu de maltraitance ». En promettant toutefois qu’elle garde l’œil sur les employeurs, et que la jeune femme sera rapatriée dès que rétablie. Une affaire...

commentaires (15)

La honte !! Les patrons, et la Surete Générale , et nous tous Libanais qui acceptons ça en silence ...

Danielle Sara

05 h 11, le 04 mai 2018

Tous les commentaires

Commentaires (15)

  • La honte !! Les patrons, et la Surete Générale , et nous tous Libanais qui acceptons ça en silence ...

    Danielle Sara

    05 h 11, le 04 mai 2018

  • Cette affaire grave si elle reste sans suite pour les employeurs de cette pauvre gamine, employée de maison, ce sera perçue par de nombreux mauvais employeurs sans scrupules, comme un encouragement. Stop à l'esclavagisme, Stop à l'état complice.

    Sarkis Serge Tateossian

    17 h 10, le 29 avril 2018

  • La maltraitance des domestiques au Moyen-Orient est une constante. Elle ne date pas d'hier. Nous sommes tous indignés et c'est un minimum. Ce qui est étonnant est le silence-radio sur le meurtre de Sarba du 25 écoulé. Le jeune Khaled AKKARI a eu le tort de s'arrêter pour acheter une bouteille d'eau. Un groupe, décrit comme des jeunes adolescents, lui ôte la vie sans raison, aucune. A part la dépêche officielle de l'Agence Nationale de l'Information aucune réaction de l'OLJ. La famille a émis un appel afin que la justice opère. Depuis rien. On sait qu'il y a eu des arrestations mais on ne sait par exemple à quel point les 3 gouvernants du pays étaient indignés et qui les a éventuellement représenté aux funérailles de ce pauvre jeune-homme.

    Shou fi

    16 h 57, le 29 avril 2018

  • Je viens d'apprendre de source "bien informée" que l'employée de maison, la domestique, l'esclave Lensa Letisa Tafa, ressortissante éthiopienne, est tombée involontairement du balcon du deuxième étage lorsqu'elle effectuait une danse folklorique éthiopienne devant ses employeurs. Par conséquent, son accident sera classé sans suites. Cela se passe au Liban, le pays de la lumière et du rayonnement !

    Un Libanais

    14 h 52, le 29 avril 2018

  • Mais pensez-y: l’esclavagisme classique existerait bien encore ce jour dans certains pays arabes en toute normalité... Il y’a 300 ans, des navires ramenaient de force les meilleurs spécimens de ces êtres inférieurs, miséreux, possible sans âme, pour les vendre aux colons et dans les plantations de la Nouvelle Amérique!... On connaît la suite. Ne voyez-vous aucune similitude avec l'état de ces travailleurs et travailleuses étrangers chez nous? Sauf que nous sommes au 21eme siècle, des avions au lieu de bateaux, on a un choix un peu plus grand venant de pays sous-développés, on les achète mais de manière plus subtile, en séquestrant leurs papiers, en leur payant des salaires de misère, en les enfermant, ils travaillent plus que 12 h/jour parfois 7/7, dans les usines et les maisons et, elles n’ont aucun droit de recours, et pire, elles subissent même des violences physiques dans certains milieux.... Oui, nous pratiquons de l’esclavagisme moderne au Liban à ciel ouvert et sans aucune honte, et même pire, on blâme ces ingrates qu’on a sorti soi-disant de la misère: il faut le dire! Et ça ne changera pas de sitôt!! Heureusement qu’il y a par contre de bonnes gens, qui les traitent avec beaucoup de dignité, respectant leurs droits humains et j’en connais!

    Saliba Nouhad

    16 h 57, le 28 avril 2018

  • Votez pour les memes si vous voulez que rien ne change au Liban et si vous voulez que nos députés s inquiète du sujet de la maltraitance de ces personnes. Mais de la part des SG je suis stupefais car nous les considerions TOUS autrement meme a ce jour.Peut etre la SG devrait donner une explication detaillee et si Elle l a donnee les journaux devraient la reproduire EN ENTIER pour nous permettre de juger sans commencer a critiquer sans connaître les raisons de cette décision

    LA VERITE

    16 h 23, le 28 avril 2018

  • L'esclavage en France fut aboli le 27 avril 1848 soit depuis 170 ans, il est toujours en vigueur au Liban. En France, la police et les journaux publient les noms des esclavagistes et des criminels tandis qu'au Liban notre police et nos journaux publient les noms des victimes et désignent les noms des criminels et des néo-esclavagistes nouveaux riches par leurs initiaux KK ou QQ.. La Suisse de l'Orient n'est en réalité qu'une savane africaine ou le fort bouffe le faible. Le comble de la honte.

    Un Libanais

    14 h 14, le 28 avril 2018

  • LES BOURDES NE PASSENT PAS !

    LA LIBRE EXPRESSION

    12 h 48, le 28 avril 2018

  • Entre l’indignation et les larmes.

    LeRougeEtLeNoir

    12 h 38, le 28 avril 2018

  • Je hurle mon indignation devant la SG qui ne trouve rien a dire devant cette injustice...82 dollars par mois....travaillant 18 h par jour....7 j sur 7. Pendant que ces fonctionaires travaillent 34 h par semaine ....au moins que ces tortionaires payent le complement de salaire et les obliger a embaucher des Libanais qui saurant se defendre....honte...honte...honte a notre societe...et M....M....M...

    Houri Ziad

    11 h 52, le 28 avril 2018

  • Dans tous les pays du monde, pareil acte barbare est denonce par la presse avec le nom des coupables de pareille ignominie. Votre Journal mentionne en clair le nom de cette pauvre victime, mais TAIT le nom de ses employeurs abusifs et a la limite de l”acte criminel .... Il y a quelque chose qui ne va pas la... Les journaux francais avaient pourtant denonce il y a quelques annees les noms d’employeurs pourtant couverts par l’immunite diplomatique, reponsables d’abus similaires. Les memes denonciations de la prsse avec les noms des coupables avaient fait aussi la Une en Suisse et au Canada. Je deplore cette “ etrange ethique “ de votre Journal qui veut toujours epargner le ou les coupables sous pretexte de pistons ou de peur de represailles de concitoyens. C est dailleurs cette politique de demi mesure appliquee depuis des decenies sur plusieurs niveaux qui a mene ce pays a la debandade actuelle. Et c ‘est bien dommage.

    Cadige William

    11 h 20, le 28 avril 2018

  • Il est desolant de remarquer qu’aucun de ces dynosores pour lesquels le bon peuple s’apprete a voter en masse dimanche prochain, n ‘ait ose jusqu’a present prendre le parti du droit et de l’humanisme, deux valeurs bien meconnues ici bas.

    Cadige William

    10 h 55, le 28 avril 2018

  • De tels agissements de la part de notre "état" (fermer les yeux sur des affaires criminelles graves comme celle-ci), ne sont-ils pas de nature de à jeter de la suspicion sur le fonctionnement de l'état et le réduire en république "royalement" bananière ? Honte. Revolte, Sentiment de culpabilité.... Envers cette indifférence générale!

    Sarkis Serge Tateossian

    10 h 51, le 28 avril 2018

  • Y a trop de Libanais qui ne connaissent pas le mot "honte". Hélas !

    Remy Martin

    10 h 05, le 28 avril 2018

  • Cette "Sûreté Générale" combien a-t-elle reçu, sous la table certainement, pour étouffer cette triste affaire ? Irène Saïd

    Irene Said

    09 h 46, le 28 avril 2018

Retour en haut