Une organisation humanitaire yéménite a déposé mardi à Paris une plainte avec constitution de partie civile contre Mohammad ben Salmane pour complicité de torture et de traitements inhumains au Yémen, a-t-on appris auprès des avocats français de cette ONG.
Taha Hussein Mohamed, avocat et directeur du Legal Center for Rights and Development (LCRD), et ses deux conseils français ont profité de la venue en France du prince héritier saoudien pour effectuer cette démarche.
Elle intervient sur fond de campagne d'organisations non gouvernementales (ONG) contre la vente par la France à Riyad d'armes susceptibles d'être impliquées dans des violations des droits de l'homme au Yémen.
Créé en 2014 et dirigé par des avocats, le LCRD s'est donné pour objectif de dénoncer ces violations. Le plaignant et ses avocats français s'appuient sur le fait que Mohammad ben Salmane est ministre de la Défense depuis le 23 janvier 2015.
"C'est en cette qualité qu'il ordonne le 25 mars 2015 les premiers bombardements sur le territoire du Yémen", rappellent Mes Joseph Breham et Hakim Chergui.
C'est aussi ès-qualité qu'il dirige la coalition arabe à dominante sunnite engagée dans la répression des rebelles houthis appartenant à une branche de l'islam chiite, qui contrôlent la plus grande partie du nord du Yémen et la capitale, Sanaa, avec le soutien de l'Iran, rival régional de l'Arabie saoudite.
Les avocats du LCRD jugent les juridictions françaises compétentes dès lors que les faits incriminés relèvent, selon eux, de la convention des Nations unies de 1984 sur la torture et que la personne visée se trouve actuellement en France.
"L'existence de bombardements indiscriminés par les forces armées de la coalition touchant les populations civiles au Yémen sont de nature à caractériser des actes de torture", écrivent-ils, en citant des cas documentés par les ONG Human Rights Watch (HRW), Amnesty international et Oxfam ou des rapports de l'ONU.
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Les armes françaises montrées du doigt
Ils s'appuient aussi sur une enquête de l'agence de presse américaine AP révélant l'existence au Yémen d'au moins 18 sites de détention opérés par les Emirats arabes unis (EAU), alliés de l'Arabie saoudite, ou par des forces yéménites entraînées par les EAU, et relatant disparitions et cas de torture.
Ils citent également des informations d'Amnesty sur la détention arbitraire de plusieurs personnes et de HRW sur l'usage par la coalition d'armes à sous-munitions illégales.
Ils dénoncent enfin le fait que des millions de personnes soient privées d'accès aux biens de première nécessité par des attaques aériennes "indiscriminées" et un blocus maritime.
En tant que ministre saoudien de la Défense et leader de la coalition, "Mohammad ben Salmane est susceptible d'avoir fourni les moyens et les instructions pour la réalisation de ces infractions", concluent les avocats, qui demandent au nom de leur client au doyen des juges d'instruction du TGI de Paris d'ordonner "toutes investigations nécessaires".
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La France est un des principaux pourvoyeurs d'armements de l'Arabie saoudite, des EAU et de l'Egypte, pays également engagés militairement au Yémen avec le soutien des Etats-Unis.
Dans un rapport commandé par Amnesty international France et Action des Chrétiens pour l'abolition de la torture, le cabinet d'avocats Ancile, auquel appartient Me Breham, a récemment mis en garde le gouvernement français contre le risque juridique que comporte la livraison d'armes dont l'utilisation est susceptible de violer le droit international humanitaire.
Une autre organisation française, Action sécurité éthique républicaines (Aser), a écrit le 1er mars au Premier ministre, Edouard Philippe, et au Secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale pour leur demander de suspendre ces livraisons et menace de saisir le Conseil d'Etat.
Dix ONG ont exhorté mercredi le président Emmanuel Macron à demander au prince héritier saoudien d'arrêter les attaques contre les civils au Yémen et de faciliter l'acheminement de l'aide humanitaire.
Le député La République en marche (LaRem) Sébastien Nadot et une quinzaine d'autres élus de la majorité ont pour leur part demandé une commission d'enquête parlementaire sur le "respect des engagements internationaux de la France".
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