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Économie - Conjoncture

Le dernier rapport du FMI sur le Liban était-il trop alarmiste ?

Le Fonds monétaire international a surpris quelques observateurs locaux par le durcissement de son diagnostic.

Photo Jamal Saidi/Reuters

Publié le 12 février, le rapport issu de la dernière mission du Fonds monétaire international (FMI), menée dans le cadre des consultations annuelles au titre de l’article IV, a dressé un constat alarmiste de la situation économique et financière du pays. Outre une revue à la baisse de son estimation de croissance pour 2017 à une fourchette allant de 1 à 1,5 %, au lieu de 1,5 % à 2 % en octobre, le FMI dit craindre que la dette publique atteigne 180 % du PIB d’ici à 2023 et que le pays ne puisse plus maintenir sa politique monétaire d’indexation de la livre au dollar, notamment face au ralentissement de la croissance des dépôts. Le Fonds estime qu’en l’absence de réformes structurelles sérieuses, la Banque du Liban n’aura d’autre choix que de hausser ses taux d’intérêt.

Rôle d’intermédiaire de la BDL
« En réalité, il n’y a pas pas beaucoup de changement dans le contenu du rapport du FMI, c’est uniquement le ton qui est plus dur. Ils continuent de mettre l’accent sur la nécessité de remédier à la situation des finances publiques qui n’est plus soutenable. Évidemment que nous ne pouvons plus continuer avec une dette publique qui représente plus de 150 % du PIB, mais des solutions existent », commente, auprès de L’Orient-Le Jour, le directeur du département de recherche de Bank Audi, Marwan Barakat.
Même son de cloche du côté de Jad Chaaban, professeur d’économie à l’Université américaine de Beyrouth (AUB). « Le FMI fait dans l’excès d’alarmisme. Si a priori l’approche peut sembler constructive, cela ne participe qu’à la création d’un sentiment de panique généralisé qui risque d’avoir des effets néfastes. Ce n’est pas la bonne stratégie », estime-t-il. L’ancien ministre de l’Économie, Sami Haddad, considère pour sa part que le ton du rapport est justifié au vu de « la gravité de la situation ». « La BDL et le ministère des Finances ont donné leur feu vert pour la publication de la version originale de ce rapport en tant que tel, alors qu’auparavant ils ne l’autorisaient pas et réclamaient une atténuation des diagnostics avant publication. Leur objectif est donc de tirer une sonnette d’alarme », confie-t-il.


(Lire aussi : Le verdict des chiffres, l'édito de Issa GORAIEB)


Sur la dette publique, « il n’y a pas de risque immédiat, mais le FMI semble vouloir exercer une pression, qui ne marchera pas. La dette est détenue par des acteurs locaux et il n’y a quasiment pas de dette externe. Le FMI n’a donc aucun moyen de faire pression », observe Jad Chaaban. « En réalité, le FMI et les autres institutions internationales n’arrivent pas à comprendre le fonctionnement du système libanais, et l’appellent le miracle libanais », ajoute-t-il. Ce système se base sur la capacité des banques à financer les besoins d’endettement de l’État libanais. Depuis quelques années, la BDL joue le rôle d’intermédiaire. L’État s’endette en émettant des bons du Trésor, qui sont ensuite rachetés par la BDL. La Banque centrale émet à son tour des certificats de dépôt à des taux d’intérêt plus élevés, qui seront rachetés par les banques commerciales. Cela permet in fine aux banques de financer l’État sans que cela ne se reflète sur leur niveau d’exposition à la dette. « On ne peut pas casser ce système de manière brutale, il faut opérer un atterrissage en douceur, en émettant des bons du Trésor à taux d’intérêt plus bas et fixes, et en effectuant un échange d’obligations entre le ministère des Finances et la BDL », suggère Jad Chaaban. Des opérations qui seraient déjà en cours de préparation. Le président de la commission parlementaire des Finances et du Budget, Ibrahim Kanaan, avait indiqué à L’Orient-Le Jour qu’une « série d’échanges de titres est envisagée par la BDL et le ministère des Finances afin de retirer progressivement du marché un certain nombre de bons du Trésor à taux d’intérêt élevés et de les faire remplacer par d’autres à des taux plus bas. Cela permettra de faire baisser à (long) terme ces taux d’intérêt de trois points, ce qui réduira significativement le service de la dette ». Et les banques devront suivre. « Elles vont néanmoins demander des garanties et des réformes sérieuses pour limiter le gaspillage de l’argent public. Les banques, malgré leurs connivences avec la classe politique, restent des acteurs rationnels qui peuvent accepter de gagner moins à condition de s’assurer qu’ils continueront à générer des gains durablement », considère Jad Chaaban.


(Lire aussi : Croissance libanaise : l’Institut de la finance internationale optimiste)


Confiance des déposants
Outre la nécessité que les banques acceptent une baisse progressive des taux d’intérêt pour la réussite de ces réformes, elles devront aussi convaincre leurs clients de maintenir leurs dépôts au Liban. Les entrées de capitaux qui couvraient jusque-là le déficit et la dette publics n’ont progressé que de 3,8 % en 2017, contre 7,2 % en 2016. Le FMI parle d’une « dépendance de l’économie à la confiance des déposants ». Une situation qu’il juge de plus en plus précaire depuis que les banques ont dû proposer à leurs clients une hausse de 2 à 3 points des taux d’intérêt (à environ 9 %) sur leurs dépôts pour qu’ils les maintiennent au Liban, durant la crise provoquée par la démission avortée du Premier ministre Saad Hariri en novembre dernier. Au final, « il n’y a pas de sortie de capitaux. Les dépôts s’effectuent sur de courtes durées au Liban, c’est-à-dire pour un an et demi, puis sont retirés avant d’être réinvestis. Les risques sont davantage liés à la situation sécuritaire. Durant la crise Hariri, une sortie de capitaux d’environ deux milliards de dollars a été recensée, sur un total de 320 milliards de dollars. Ce n’est rien », relativise Jad Chaaban.


(Lire aussi : Le Liban s’est remis de la crise de novembre, estime Salamé)


Mais, au-delà de la baisse des taux d’intérêt, l’État doit réduire progressivement ses besoins de financement. Le gouvernement prévoit de plafonner l’émission annuelle de bons du Trésor à environ 4,5 milliards de dollars, dans le projet de budget de 2018, actuellement examiné par une commission interministérielle. Pour y parvenir, le gouvernement doit réussir à réduire son déficit public en réalisant des réductions budgétaires, mais aussi en augmentant ses recettes. Cela passera tout d’abord par une réforme du secteur de l’électricité, annoncée depuis de longues années et continuellement recommandée par le FMI dans ses différents rapports. « Un projet de loi est en préparation pour diminuer progressivement la subvention du prix de l’électricité jusqu’à sa suppression totale », avait confié M. Kanaan. Cela permettrait de réduire le déficit d’Électricité du Liban, et donc les transferts de l’État pour combler le déficit de l’institution publique. Pour Marwan Barakat, « il faut également renforcer la collecte, qui n’a pas été mentionnée dans le rapport du FMI. Selon les estimations de Bank Audi, l’évasion fiscale est évaluée à 4,2 milliards de dollars par an. Si nous réussissons à en collecter la moitié, à moyen terme, nous ferons baisser le déficit de 40 % ».


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commentaires (2)

Il faut pas oublier que le pays et sous embargo. J'ai voulu aider une amie et je n'ai pas pu lui envoyer de l'argent à cause du Hezbollah

Eleni Caridopoulou

17 h 15, le 03 mars 2018

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Commentaires (2)

  • Il faut pas oublier que le pays et sous embargo. J'ai voulu aider une amie et je n'ai pas pu lui envoyer de l'argent à cause du Hezbollah

    Eleni Caridopoulou

    17 h 15, le 03 mars 2018

  • Tout ça c'est très technique. La sagesse populaire nous enseigne que si on gagne 1000 dollars nous ne pouvons pas dépenser éternellement 1500 dollars.

    Sarkis Serge Tateossian

    14 h 03, le 03 mars 2018

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