Le vent est frais en cette matinée de février, à Aley, dans le magnifique bâtiment du musée consacré à son défunt mari, l’émir Fayçal Arslane. Hayat Arslane alimente la cheminée avec des brindilles de pin. Née Wahab, dans une famille traditionnelle de la Montagne, elle ne se présente pas moins comme une figure révolutionnaire sur la scène politique libanaise.
Hayat Arslane s’est lancée dans la vie publique « pour établir la justice envers les citoyens ». Elle s’est retrouvée à porter haut l’étendard de la défense des droits de la femme. Depuis 2001, elle œuvre, sans relâche, sur tous les fronts pour améliorer la condition de la gent féminine. D’abord sur le plan économique, puis sur les plans social et politique. Un combat qu’elle espère poursuivre au sein de l’Hémicycle si elle réussit à être élue aux prochaines législatives.
« J’ai grandi dans une famille conservatrice de la Montagne (elle est originaire de Gharifé, dans le Chouf), confie-t-elle. Petite, je sentais déjà qu’on me préférait les garçons de la famille. Ils jouissaient aussi d’une liberté que nous n’avions pas. Cela ne m’avait pourtant pas révoltée, croyant que la femme bénéficiait d’une bonne situation. » À tort. « En m’engageant plus sur le plan politique, j’ai réalisé à quel point la femme était privée de ses droits, poursuit-elle. Cela m’a choquée. Je me suis aussi rendu compte qu’un grand effort devrait être déployé pour changer les mentalités, non seulement pour accorder à la femme ses droits, mais aussi pour aboutir à une société équilibrée et une nation active. »
Hayat Arslane s’est intéressée à la politique parce qu’elle voulait « rétablir une certaine justice sociale ». « L’iniquité dont était victime l’être humain au Liban me révoltait, poursuit-elle. En cours de route, j’ai réalisé qu’en réalité, c’est la femme qui est victime de la plus grande injustice. Mon action vise à rétablir cette égalité entre les deux composantes de notre société. »
Elle confie que son parcours fut parsemé d’embûches. « J’ai dû franchir plusieurs obstacles, avance-t-elle. Chez les Arslane, la femme ne se mélange pas avec le commun des gens, alors que je voulais le faire. J’ai réussi à obtenir gain de cause, sachant que les émirs Majid (ancien ministre et député) et (son fils) Fayçal étaient de mon bord. J’ai eu aussi à batailler pour pouvoir poursuivre mes études universitaires, alors que j’avais déjà mes deux aînés (Hayat Arslane est mère de quatre enfants). Là aussi, j’ai remporté le combat. » Elle est détentrice d’une licence en sciences politiques de l’Université américaine de Beyrouth.
(Lire aussi, la tribune de Joumana Haddad : Pour que la politique libanaise ne soit plus « une affaire d’hommes »)
Impliquer la femme dans la vie politique
C’est en 1983 que Hayat Arslane s’implique dans la chose publique. En cette année, elle crée l’association « Lebanon the Giver », une ONG avec pour objectif celui de « relever le niveau de l’éducation dans la Montagne, alors qu’il avait baissé durant la guerre, et de venir en aide aux souches les plus défavorisées ».
Mais la situation politique dans le pays l’oblige à interrompre son action. Ayant pris position en faveur de Bachir Gemayel, appuyant à fond sa candidature à la présidence de la République, son époux, Fayçal, avait mis sa vie en danger. En 1983, il échappe à un attentat alors qu’il était en compagnie de sa femme. Le couple décide alors de s’exiler à Chypre. « C’était une période difficile de ma vie, se souvient Hayat. Je souffrais de l’éloignement. De plus, le pays pouvait se passer de cette division communautaire. Nous ne méritions pas non plus la haine qu’on affichait à notre égard. Ce sont des périodes de ma vie, qui ont imprégné mon parcours. »
De retour au Liban, en 1987, elle s’efforce de relancer l’activité de l’ONG qui était restée en veilleuse tout au long de son séjour forcé à Chypre. Elle multiplie les activités pour assurer la pérennité de l’association qui « ouvre des opportunités aux femmes qui n’avaient aucune autre ressource ». Parallèlement, elle entame, dès 2001, un nouveau combat en faveur des droits de la femme sur le plan politique. C’est ainsi qu’en 2006, l’Association de la capacitation politique de la femme (Woman Political Empowerment) voit le jour. « Nous essayons de réunir de jeunes hommes et femmes prêts à s’investir sur ce plan, insiste-t-elle. Récemment, l’ONG a parrainé la cérémonie de l’annonce des candidatures aux prochaines législatives de cinquante-deux femmes dans les différentes régions. »
Hayat Arslane est elle-même candidate dans la circonscription du Chouf-Aley. Elle préside une liste mixte qui compte jusqu’à présent cinq femmes sur treize candidats. « J’aimerais qu’il y ait une parité au sein de la liste », confie-t-elle.
Alliances selon « nos convictions »
Ce n’est pas la première fois que Hayat Arslane se présente aux législatives. Déjà, en 2005, elle avait déposé sa candidature. « Mais lorsque j’ai vu que Talal (Arslane, son beau-frère) n’avait pas trop de chances de remporter les élections, je me suis retirée en sa faveur, dit-elle. J’étais sûre que je n’allais pas gagner, mais aussi je ne voulais pas être la cause de la chute de Talal. Mais aujourd’hui, la situation est différente. Tous les leaders politiques qui ont accédé au pouvoir ont manqué, maintes fois, à leurs devoirs envers le pays. Pourquoi leur donner une nouvelle chance ? »
La liste que préside Hayat Arslane ne comptera pas des candidats issus uniquement de la société civile. « Je n’ai aucun problème à m’allier à des partis politiques qui tiennent le même discours que nous », affirme-t-elle. Elle ajoute : « Certaines parties de la société civile s’opposent à cela, mais à mon avis, cela est une nécessité, surtout qu’à ce jour, il n’y a pas encore de grands leaders qui sont sortis de nos rangs. Si même les grands partis politiques qui sont présents sur la scène politique depuis des décennies se trouvent dans l’obligation de faire des coalitions pour assurer des gains en siège, qu’en serait-il de nous ? Il faut faire des alliances et être souples au début pour espérer percer. »
Réussira-t-elle à le faire ? « Personnellement, je ne le crois pas parce que les votes préférentiels pour les sièges druzes seront au profit de Talal Arslane et d’Akram Chehayeb s’ils forment chacun une liste, répond-elle. Mais j’espère percer avec un ou deux candidats sur l’ensemble de la circonscription. »
Quant à son programme, il vise à « établir une justice sociale et juridique, ce qui permet au citoyen d’obtenir ses droits par la loi et la Constitution ». « Ainsi, il sera loyal à sa patrie et non plus au zaïm. » « Il faut aussi empêcher le cumul des fonctions de député et de ministre pour pouvoir demander des comptes », ajoute-t-elle.
Croit-elle encore dans son pays ? « Oui, sinon je ne serais pas restée ici, affirme Hayat Arslane. Je crois au citoyen et à ses aptitudes. De plus, nous avons une société civile prometteuse. Viendra sûrement le jour où le changement aura lieu. »
Liban - Portrait/législatives 2018
Hayat Arslane, une princesse révolutionnaire sur la scène politique
La militante pour les droits de la femme a présenté sa candidature dans la circonscription du Chouf-Aley.
OLJ / Par Nada MERHI, le 12 février 2018 à 00h00
Bonne chance Princesse le pays a besoin de personnes intègres comme vous
15 h 46, le 02 mars 2018