Salim Azzam printemps-été 2018. ©Salim Azzam
Bater. La montagne du Chouf lèche encore ses vieilles plaies. Dans ce petit village replié sur ses traditions se cache un trésor. Il est serré dans les mains des femmes qui se transmettent de mère en fille l’art du point d’ombre et de la broderie au tambour. Coupé de sa propre histoire par ses années d’études, Salim Azzam veut renouer par le dessin le fil interrompu d’un récit que l’oubli efface. Nous sommes en 2014 ou 2015, le jeune illustrateur trace au crayon les contours des contes, légendes et poèmes qui flottent dans le fond sonore des veillées autour d’un brasero, dans le babillage des cuisines que parfume la confiture en ébullition, dans la joyeuse agitation des récoltes saisonnières.
Kamal Mouzawak, dont on sait l’affection pour les cuisinières du terroir et l’action pour la préservation des traditions culinaires du Liban profond, passait par là. Il confie à Salim Azzam la création de l’identité visuelle de sa nouvelle auberge à Deir el-Qamar. Le créateur Rabih Kayrouz est charmé à son tour par son art fragile. Il souhaite sa collaboration sur une ligne de chemises mais décide finalement, à travers la fondation Starch qu’il a créée pour promouvoir les nouveaux talents, de le pousser à concevoir sa propre ligne. « Salim, quel délice ! Confie le couturier. J’aime sa fraîcheur, son côté non-mode, presque non-vêtement, sa spontanéité, son entêtement aussi et sa persévérance. Il ne déviera jamais de son objectif qui est de donner du travail aux femmes de son village. Jamais on ne verra chez lui un seul point à la machine. » Starch propulse Azzam vers un firmament inattendu. Sa première collection défile à Dubaï et ses contes visuels traversent pour la première fois les frontières terrestres de Bater, appelés à essaimer par le monde sur le support le plus célébré, le plus mouvant et émouvant qui soit : le corps des femmes.
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Promenade champêtre
Le talent de communicatrice de Mariana Wehbé n’a pas eu, cette fois, à se surpasser pour attirer dans les serres des frères Mahfouz, à Furn el-Chebback, la faune hétéroclite de la mode et des médias libanais invitée à une « Nuzha », le nom arabe d’une promenade champêtre et thème de la collection. Azzam fédère, et assister à ses défilés c’est à chaque fois jouer les fées marraines à un baptême de conte. Parmi les fleurs en pot, les carnivores, les exotiques, les éphémères, les saisonnières, les cactées et les plantes vertes, on a même croisé l’écrivain Charif Majdalani, accompagné de son épouse Nayla et déjà envoûté par la poésie urbaine de cette oasis d’autoroute.
Électrisée par les rythmes de Carl Ferneiné et les mixages de Jana Saleh, inondée de saveurs par Ixsir et Tawlet, la foule joyeuse et – entre pairs, une fois n’est pas coutume – profondément bienveillante s’est recueillie dès qu’a murmuré dans le noir un insolite chant d’oiseau. La « promenade » pouvait commencer. Comme vont par les bois, en file indienne, de très jeunes filles qui n’ont pas peur du loup, les mannequins bénévoles ont déroulé l’illusion d’une escapade champêtre. Vêtues de printemps et annonçant la saison avant les hirondelles, les unes arboraient les célèbres chemises de Azzam, vastes pages blanches brodées l’une d’une huppe au plumage fauve, les autres – mais aussi une ligne de jumpers, de shorts, de kimonos et de robes à manches évasées – de bêtes à bon Dieu, libellules et papillons familiers, de feuilles et de glands de chêne, de coquelicots, d’un bouquet de camomille, de branches de cerisier, de fleurs d’oranger et puis d’oranges, de citrons coupés, trempés dans des couleurs plus acidulées que nature et dont on a aussitôt le goût et l’envie en bouche. Folâtrant dans ce charmant herbier, on croisera aussi, sur un ensemble en laine légère, cape et pantalon safran, un cheval brodé en filigrane, ton sur ton, qui se devine et se déchiffre comme un augure.
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Déesse d’un jour
Les filles portent des besaces où elles serrent des bouquets de fleurs glanées sur des sentiers fabuleux. Elles sont coiffées de couronnes de gypsophiles qui leur donnent des allures de nymphes. Nymphes, d’ailleurs, qui préfigurent l’arrivée d’une déesse et l’escortent. Et qu’est une déesse de village sinon la mariée du jour ? Celle-ci était incarnée par la créatrice de bijoux Karma Salman, portant ironiquement une tiare de fleurs périssables, altière dans une simple robe longue de soie et jersey de soie blanche à col officier, animée d’une petite traîne fluide comme un ruisseau et de boutons en tissu dans le dos, simplement brodée sur la poitrine du souffle de quelques pissenlits, blanc sur blanc. Pissenlit qu’on appelle à Bater « Maliket el-oumniat », la reine des souhaits.
Sous les applaudissements, Salim Azzam apparaît, donnant le bras à l’une de ses brodeuses. Derrière ses lunettes rondes, on dirait un enfant qui ne s’est pas vu grandir. En témoignent son pantalon trop court, trop flottant, ses bottes lacées d’écolier du siècle dernier, sa vareuse noire, trop longue, son sourire radieux à cette dame voilée de blanc, aux yeux qui brillent, sa mère. Le temps de redescendre du nuage léger où il l’a transportée, la foule regagne la nuit de bitume où persiste encore l’illusion d’un champ de fleurs baigné de soleil.
*Salim Azzam a reçu le 3e prix L’OLJ-SGBL- Génération Orient saison 2.
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je suis content de lire cet article, le pb j'aurais voulu assister mais pas trop de communication sur les activités culturelles au liban. ni les concerts, ni les conférences, ni les activités nocturnes etc comme le parisscope bref une idée ....
09 h 42, le 01 mars 2018