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Moyen Orient et Monde - Syrie

D’Alep à la Ghouta, l’histoire se répète

Les habitants du dernier fief rebelle proche de Damas subissent l’acharnement du régime.

Scène apocalyptique... Des secouristes évacuant hier des blessés, à Saqba, dans la Ghouta, cible des bombardements d’une rare violence des forces du régime syrien. Abdulmonam Eassa/AFP

Le hashtag #SaveGhouta a remplacé le #SaveAleppo de la fin 2016. Plus d’un an après la chute d’Alep, la Ghouta orientale est le nouvel objectif du régime, conformément à sa volonté farouche de reconquête de l’ensemble du pays. Décidé à en découdre de manière définitive avec l’un des derniers grands bastions rebelles, jouxtant les portes de la capitale syrienne et assiégé depuis 2013, le régime syrien poursuit sa campagne sanglante en vue d’une offensive terrestre prochaine.

Pour ce faire, les forces de Bachar el-Assad, aidées du puissant allié russe, usent de la même stratégie qui leur avait permis de reconquérir en décembre 2016 les quartiers est d’Alep, tombés entre les mains de la rébellion quatre ans plus tôt.

Depuis le 5 février, la région agricole située à l’est de Damas vit au rythme des bombardements intensifs perpétrés par l’armée du régime. Le dernier bilan de l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH) fait état de 17 morts dimanche, 127 morts lundi et plus de 100 hier, et de plus de 2 000 blessés. 

« C’est le même scénario, le même, perpétré à Alep qui se déroule aujourd’hui sous nos yeux. Même schéma, même style », déplore le docteur Abou Ahed, médecin généraliste affecté au service des urgences de Kfar Batna, à moins de 10 km de Douma, contacté via WhatsApp par L’Orient-Le Jour.

Comme lors de la grande offensive d’Alep, le régime bombarde sans relâche les villes rebelles de la Ghouta, en s’en prenant notamment aux infrastructures médicales et aux quartiers résidentiels, et ce en utilisant tous les types d’armes à sa disposition. Six hôpitaux ont été bombardés depuis 48 heures dont trois sont désormais hors service et deux opèrent partiellement, a indiqué hier le coordinateur régional du bureau des affaires humanitaires de l’ONU pour la Syrie. « Les avions de chasse ne quittent pas le ciel et aucun village de la région n’est à l’abri des bombardements », témoigne de son côté le porte-parole de la Défense civile locale, Siraj Mahmoud, contacté via Télégram. Et hier, pour la première fois depuis trois mois, l’armée de l’air russe a, selon l’OSDH, elle aussi bombardé la Ghouta orientale, touchant notamment un des principaux hôpitaux de la région, à Arbine, désormais hors service.

Fin janvier, Damas avait été accusé d’avoir eu recours à plusieurs reprises à l’utilisation d’armes chimiques dans la Ghouta, notamment du chlore. Le régime avait également usé d’armes chimiques à Alep, une première fois en 2013, puis en août 2016, quelques jours seulement après que les rebelles furent parvenus à briser le premier siège de la ville.


(Lire aussi : La nouvelle "dimension stratégique risquée" du conflit en Syrie)


Photos de cadavres
Si des témoignages affluant de la Ghouta avaient jusque-là fait état de réserves de médicaments, de nourriture et d’eau, de nombreux cas de malnutrition avaient toutefois été répertoriés. Et la nouvelle campagne du régime, d’une virulence inouïe, risque fort de mener vers un nouveau désastre humanitaire. Près de 400 000 personnes survivent depuis quatre ans dans cette région contrôlée par les rebelles, d’une superficie de près de 30km2. Dans les quartiers est d’Alep tenus par l’opposition, avoisinant les 45km2, les premiers chiffres faisaient état de 250 000 habitants, mais ils avaient été revus à la baisse lors de l’offensive puis lors de l’évacuation des civils, après la signature d’un accord entre la Turquie, parrain des rebelles, et de la Russie et l’Iran, soutiens du régime.

Sur les réseaux sociaux et au sein des groupes d’activistes rapportant les derniers développements en direct de la Ghouta, les souvenirs d’Alep ne sont jamais très loin. Même photos et vidéos de cadavres gisant dans des couloirs, de secouristes tentant d’extraire des victimes des bombardements et d’appels de médecins, dont le nombre s’est réduit comme peau de chagrin, tentant en vain d’interpeller la communauté internationale. L’opposition syrienne en exil a dénoncé « une guerre d’extermination » et le « silence international » face aux « crimes » du régime Assad.

L’ONU a tiré hier la sonnette d’alarme et déclaré que les bombardements de civils « doivent cesser maintenant ». L’Unicef a manifesté hier sa colère par un communiqué en forme de page blanche justifié par cette phrase : « Aucun mot ne rendra justice aux enfants tués, à leurs mères, leurs pères et à ceux qui leur sont chers. » La France a quant à elle dénoncé une « grave violation du droit humanitaire » dans la Ghouta orientale et exhorté ses partenaires aux Nations unies à agir pour imposer une trêve humanitaire. Moscou a estimé, par la voix de son ambassadeur auprès des Nations unies, que la proposition de « trêve humanitaire » d’un mois lancée par le coordinateur régional du bureau des affaires humanitaires de l’ONU pour la crise en Syrie, Panos Moumtzis, n’était « pas réaliste », donnant ainsi à Damas le feu vert pour poursuivre ses pilonnages intensifs, à l’aviation et à l’artillerie. Comme en 2016, la communauté internationale semble impuissante face à cette situation. Le régime et son allié sont décidés à régler la question par la force, tandis que les puissances occidentales se contentent une nouvelle fois d’utiliser mollement leur levier diplomatique pour faire cesser les bombardements.


(Lire aussi : L'impuissance de la communauté internationale face au bombardements de la Ghouta orientale)


« Enterrer le processus politique »
La reprise de la totalité de la deuxième ville du pays avait permis au régime syrien de détruire les derniers espoirs de victoires des forces rebelles. Une fois Alep reprise, Bachar el-Assad ne pouvait plus perdre la guerre. Mais le dirigeant syrien veut une victoire totale, sans passer par un compromis politique qui l’obligerait à reconnaître une certaine légitimité aux forces rebelles. C’est aujourd’hui le principal enjeu de la bataille de la Ghouta : affaiblir encore un peu plus les forces rebelles sur le terrain pour faire taire leurs revendications politiques et enterrer toute idée de processus de paix.

Paradoxalement, la victoire du régime à Alep avait convaincu les forces rebelles de participer aux négociations parrainées par Moscou, Ankara et Téhéran à Astana, qui ont abouti à la mise en place de zone de désescalade, notamment dans la Ghouta. Les deux groupes rebelles les plus puissants opérant dans ce fief, Jaïch al-Islam et Failaq al-Rahmane, avaient été invités aux différentes tables de négociations à Sotchi et à Astana. Aujourd’hui bombardés par le régime, ces derniers ont accusé la Russie de chercher « à enterrer le processus politique » que Moscou leur avait vendu. Les zones de désescalade avaient avant tout un intérêt tactique pour le régime et pour Moscou : permettre à leurs hommes, en nombre réduit, de pouvoir lancer des offensives sur d’autres fronts en calmant les ardeurs des fiefs rebelles les plus agités. Autrement dit, l’objectif n’était pas de faire la paix avec les rebelles mais de gagner du temps en vue d’un futur affrontement, qui se déroule aujourd’hui.

À Alep-Est, le régime et Moscou avaient justifié leur pilonnage par la présence des combattants jihadistes de Tahrir al-Cham (HTS, une coalition menée par l’ex-branche d’el-Qaëda en Syrie, Fateh el-Cham), qui étaient quelques centaines dans les quartiers est de la ville d’après l’ONU. Cela permettait aux forces loyalistes de présenter leur offensive comme partie intégrante de la lutte contre le terrorisme. C’est la même rhétorique qui est aujourd’hui utilisée pour la Ghouta et pour les mêmes raisons, les jihadistes d’HTS étant présents dans quelques poches du fief rebelle.


(Lire aussi : Damas prépare l’ultime assaut contre la Ghouta)


L’offensive actuelle sur la Ghouta s’inscrit dans la continuité des avancées du régime en 2017, qui lui ont permis de reprendre la grande majorité des zones proches de Damas, en concluant notamment des accords qui prévoyaient l’évacuation des rebelles en échange de la levée des sièges des localités. Ce fut notamment le cas à Daraya, dans la banlieue sud de Damas, qui avait finalement cédé après 1 373 jours de siège, soit près de quatre années. Cette stratégie, appliquée notamment à Alep, « est totalement applicable à la Ghouta orientale », a estimé lundi le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov.

La chute d’Alep-Est avait pour sa part surpris par sa rapidité alors que les quartiers rebelles paraissaient suffisamment armés pour résister des mois durant à la grande offensive du régime et de ses parrains. Elle s’était conclue par l’évacuation des habitants dans des bus verts en direction du rif d’Idleb. C’est le même sort que risquent de subir aujourd’hui les habitants de la Ghouta. 

« Nous avons les moyens de résister à l’assaut du régime, car les troupes rebelles sont plus nombreuses dans la Ghouta qu’Alep », estime toutefois le docteur Abou Ahed. L’AFP avance le chiffre de 10 000 combattants au sein de Jaïch al-Islam et de 9 000 chez Faylaq al-Rahmane. Les civils sont retranchés dans les abris et les sous-sols et font preuve, jusqu’à présent, d’une certaine « résilience », poursuit-il, ne songeant absolument pas à quitter la Ghouta, ni à penser un instant aux fameux bus verts. Mais durant les premières semaines de la bataille, les Aleppins de l’Est tenaient exactement le même discours.



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commentaires (4)

ET LE GENOCIDE TOUT AUSSI !

LA LIBRE EXPRESSION

18 h 20, le 21 février 2018

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Commentaires (4)

  • ET LE GENOCIDE TOUT AUSSI !

    LA LIBRE EXPRESSION

    18 h 20, le 21 février 2018

  • Il faut surtout garder le héros Bachar à la tête de ce qui reste de la Syrie pour continuer les massacres et les destructions. Au moins ce régime et son héros laisseront tranquille le Liban.

    Achkar Carlos

    17 h 41, le 21 février 2018

  • Si je lis l’excellent éditorial de Issa Goraïeb de ce matin, si je lis en page 6 : ""Le pire est devant nous en Syrie, prévient Le Drian"", et si je lis et relis l’OLJ il y a 40 ans jour pour jour, sous la plume de Pierre Eddé, Etre ou ne pas être : ""la fiction entretenue depuis la fin des combats ne se transformera pas toute seule en réalité"", et en conclusion citant Gaston Maspero : ""Certaines contrées semblent prédestinées dès l’origine à n’être que des champs de bataille disputés sans cesse…"" et si je relis votre article ""D’Alep à la Ghouta, l’histoire se répète"", c’est que finalement je n’ai plus rien à dire, sauf pleurer ces mamans et ces enfants, et dire qu’il y a encore des gens qui sont enchantés par les victoires d’un chef maintenu en place par des ficelles tel un marionnettiste dans un théâtre tragi-comique… On se confond entre les vestiges millénaires et ceux après l’horreur des bombardements… Triste ...

    L'ARCHIPEL LIBANAIS

    10 h 55, le 21 février 2018

  • Évidemment que l'histoire se répète, puisque le complot des forces occidentales alliées aux wahabites toutes sous influence néfaste des sionistes ne veut pas se rendre à l'évidence qu'on ne peut pas défaire la détermination d'un héros qui défend son pays de ces invasions barbares des bactéries wahabites . Il n'y a rien de plus beau que la libération de son pays de cet horrible complot heureusement avorté. Hamdellah. Au passage , avez vous remarqué que plus un avion usurpateur ne survole le ciel libano syrien . D'habitude quand les forces du héros BASHAR ont le dessus les usurpateurs attaquent . Étrange ce calme dans le ciel .

    FRIK-A-FRAK

    09 h 45, le 21 février 2018

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