Damas joindra-t-il, cette fois-ci, les actes à la parole ? Alors que le régime syrien a accepté, a indiqué hier l'envoyé spécial de l'ONU, Staffan de Mistura, de mettre en place un cessez-le-feu dans la Ghouta orientale, région rebelle proche de Damas, les habitants ne cachent pas leur pessimisme. La trêve avait été proposée lundi par Moscou pour une durée de 48 heures. Assiégée depuis 2013 par le régime de Bachar el-Assad, la Ghouta, où vivent plus de 367 000 personnes, est l'une des dernières régions rebelles en Syrie. Elle fait également partie des quatre « zones de désescalade » mises en place à travers le pays pour faire reculer les violences.
Mais l'offensive lancée à la mi-novembre par des rebelles contre une base militaire dans le secteur a relancé le cycle des violences. En deux semaines, les bombardements des forces du régime, avec l'appui de l'aviation russe, ont fait plus de 147 morts. En représailles, les rebelles ont tiré, ces derniers jours, des obus et des roquettes sur Damas, faisant plusieurs morts. Hier, quelques heures avant l'annonce de ce cessez-le-feu temporaire, des bombardements du régime ont encore fait quatre morts, dont trois enfants, et au moins 10 blessés.
« Les avions ont lâché leurs obus vers 12h30 sur le village de Hamouri. Nous avons immédiatement accueilli les victimes à l'hôpital Dar al-Chafaa », précise le docteur Abou Ahed, médecin généraliste affecté au service des urgences, contacté par WhatsApp par L'Orient-Le Jour. « Les quinze derniers jours ont été intenses pour nous, car nous subissons une violence inouïe de la part du régime qui vise de manière aléatoire tous les villages qui échappent à son contrôle », poursuit le médecin. Un jeune agriculteur aurait également péri aujourd'hui, selon lui, lors de tirs d'obus sur des champs de Kafr Batna, le village où réside le médecin. Outre les bombes lâchées par l'aviation du régime, des tirs sont effectués depuis les zones sous son contrôle, depuis la base militaire de Marj al-Sultan notamment. Et la majorité des victimes sont des civils, dont de nombreux enfants. « Le régime bombarde exprès les habitations, les hôpitaux, les écoles, les souks et les boulangeries », poursuit le docteur Abou Ahed. Hier après-midi, les avions du régime continuaient de survoler la région de la Ghouta.
(Lire aussi : La fillette qui pleure, parce qu’« aujourd’hui, ce n’est pas son tour » de manger...)
Garant du cessez-le-feu ?
Alors que des négociations à Genève ont démarré hier par des discussions avec l'opposition syrienne, la délégation représentant le régime n'arrivant qu'aujourd'hui en Suisse, Damas tiendra-t-il parole en respectant la trêve sur le terrain? « Le régime nous a malheureusement habitués à cette situation. Depuis le début du conflit, il dit qu'il est prêt à une trêve ou à des négociations concernant la Ghouta orientale assiégée, mais sur le terrain, on ne le voit pas et les bombardements se poursuivent comme à l'accoutumée », déplore le médecin.
« Si le garant du cessez-le-feu est le même qui cible les civils et qui continue d'assiéger les villages de la Ghouta orientale, comment voulez-vous que les bombardements cessent ? » lance, de son côté, Wissam al-Dimachqui, porte-parole officiel de Barada, l'agence d'information des rebelles, contacté lui aussi via WhatsApp. Acculés, les habitants tentent comme ils peuvent de survivre dans des conditions plus que pénibles.
Avec la vague de froid qui approche, les prix du bois et du mazout ont explosé. Malgré l'insécurité régnante, le Programme alimentaire mondial (PAM) est parvenu à distribuer une aide alimentaire à plus de 110 000 personnes dans la Ghouta orientale depuis septembre. L'annonce de ce cessez-le-feu intervient alors qu'un convoi transportant nourriture et médicaments est entré hier dans la région, selon l'ONU. Le Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l'ONU (OCHA) a précisé sur Twitter avoir pu envoyer des vivres et des médicaments pour plus de 7 000 personnes dans l'enclave rebelle. Le convoi est entré par Nachabyeh, où il n'y avait pas de tirs.
(Lire aussi : En Syrie, des habitants payent le prix des combats dans une "zone de désescalade")
« Neuf véhicules sont entrés dans la Ghouta orientale, avec près de 1 440 colis alimentaires exclusivement pour la localité de Nachabyeh, située dans la région d'al-Maraj », affirme Wissam al-Dimachqui. Mais la situation humanitaire reste extrêmement inquiétante. « Vous ne pouvez imaginer combien il est difficile de vivre assiégé. Nous manquons de tout et les prix sont affolants. Ces deux derniers jours, le kilo de sucre est monté à 16 000 livres syriennes (31 dollars US) ! » rapporte le docteur Abou Ahed.
Des produits bien plus essentiels sont quant à eux pratiquement introuvables, comme le lait infantile par exemple, dont le manque a causé le décès de plusieurs nourrissons. De nombreux cas de malnutrition ont également été enregistrés. Les contrebandiers parviennent à faire entrer des vivres ou des médicaments, mais les habitants n'ont pas les moyens de se les procurer. « Nous manquons terriblement de médicaments également, de traitements pour les cancéreux, pour soigner la tuberculose ou d'autres maladies. Les hôpitaux et les centres de santé sont démunis », déplore le médecin. Les opérations chirurgicales non urgentes sont aujourd'hui suspendues. Le 9 novembre, l'ONU avait demandé l'évacuation de 400 malades, dont 29 étaient alors en danger de mort, de la Ghouta orientale. Hier, un porte-parole de l'OCHA, Jens Laerke, a déclaré à Genève que rien n'a été fait, pour l'heure, dans ce sens. La trêve sera-t-elle respectée par le régime, alors que sa délégation est attendue aujourd'hui à Genève ? Rien n'est moins sûr...
Pour mémoire
Dans la Ghouta orientale, des écoliers fauchés par un tir d'obus du régime syrien
Les bombardements de cette ville seule par le régime syrien a, probablement, fait plus de mort que toutes les guerres avec Israël sur 70 ans... Mais là au moins c est pour le bien du peuple...
13 h 41, le 29 novembre 2017