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Nos Lecteurs ont la Parole - Bélinda IBRAHIM

Au nom du père...

« À Paris, sans fortune, sans dettes, sans héritage, on existe à peine déjà, on a bien du mal à ne pas être déjà disparu » Voyage au bout de la nuit – Louis-Ferdinand Céline

Si l’actualité a quelque chose de bon, c’est qu’elle remet souvent sur les rails des sujets enfouis et douloureux. Il a suffi qu’une star récemment décédée, Johnny Hallyday en l’occurrence, déshérite ses enfants biologiques au profit de sa dernière épouse et de leurs filles adoptives, pour que la souffrance d’une multitude de personnes, lésées sur plus d’un plan par leurs parents, refasse surface. Il est en effet des plaies qui ne se referment jamais. Déshériter son enfant – quel que soit son âge – équivaut à annuler son existence ; à lui ôter sa certitude d’avoir été aimé et désiré. En un mot : à le traumatiser à jamais. Comment cet enfant pourrait-il expliquer ce non-lieu apposé par ses parents à sa propre descendance ? C’est en perte totale de « re-père », suite au rejet de son propre père, qu’il devra se reconstruire, à nouveau, de bout en bout. Composer avec des morceaux de lui épars, comme un puzzle dont l’image n’est pas nette ; le puzzle d’un ADN dont les morceaux ne s’emboîtent plus. Un « déséhéritage » n’est pas uniquement synonyme de patrimoine et de billets verts comme beaucoup tendent à le penser et à le croire (même si, au préalable, c’est cet indicateur qui saute aux yeux de tous). C’est la place de l’enfant au sein de sa propre famille qui est remise en cause. Cette privation soulève alors beaucoup de doutes légitimes et de remises en question.
Au Liban, nombreux sont les exemples de pères qui lèguent – sans états d’âme – leur patrimoine et leur fortune à leurs fils au détriment de leurs filles comme le veut la tradition moyen-orientale, patriarcale et machiste ! Les parents dignes de ce nom ont un devoir sacré envers leurs enfants : celui d’établir avec eux une relation authentique et aimante afin que chacun d’eux reçoive, à égalité, sa part d’amour, sa part de reconnaissance, sa part d’attention, ainsi que, beaucoup plus tard, sa part du legs familial. Lorsque le parent ne sera plus de ce monde, l’enfant, devenu adulte, riche de l’amour donné et reçu, sera capable de faire son deuil et de demeurer dans une continuité harmonieuse de sa propre histoire. Un père qui déshérite la chair de sa chair crée, en sus d’une rupture de son identité, une plaie ouverte difficilement cicatrisable. Être parent, c’est surtout être responsable de bout en bout de sa progéniture. C’est avoir le devoir moral de ne pas hypothéquer l’avenir des siens par un caprice de riche, une sénilité précoce ou un m’en-fichisme légendaire. Si un enfant n’est pas (r)assuré du désir de ses parents de l’avoir eu, de l’avoir encore et de l’avoir toujours, ainsi que de leur amour passé, présent et futur, cet enfant sera d’office condamné à vivre amputé d’une partie de sa mémoire affective ; celle qui consolide les pilotis de sa structure psychique désormais livrée aux affres du désamour, du doute et du rejet. Pour conclure, en revenant au cas Hallyday, qui est le prototype de ce qu’un père digne de ce nom ne devrait pas faire, il est regrettable de voir qu’un homme, qui a souffert toute sa vie de l’abandon de ses parents, répète ce même schéma avec ses enfants biologiques en se délestant d’eux. Ceci dit, il est vital de préciser que cet infanticide symbolique n’est pas uniquement une affaire d’hommes : de nombreuses mères se débarrassent également de leur progéniture sur les chemins tortueux de la vie. Provenant de la mère censée être « aimante » et « nourricière », la blessure qu’engendre cet abandon n’en sera que plus terrible.

« À Paris, sans fortune, sans dettes, sans héritage, on existe à peine déjà, on a bien du mal à ne pas être déjà disparu » Voyage au bout de la nuit – Louis-Ferdinand CélineSi l’actualité a quelque chose de bon, c’est qu’elle remet souvent sur les rails des sujets enfouis et douloureux. Il a suffi qu’une star récemment décédée, Johnny Hallyday en...

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