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Moyen Orient et Monde - Éclairage

Pourquoi les russophones d’Israël s’opposent aux ultra-orthodoxes

La « loi supermarché » pourrait permettre aux camps laïcs de recevoir le soutien des juifs d’origine russe contre les religieux.

Le ministre israélien de l’Intérieur, Arye Deri (au centre), lors des discussions au gouvernement sur la « loi supermarché ». Ammar Awad/Reuters

La colère ne retombe pas à Ashdod, ville dortoir à une demi-heure de Tel-Aviv. Cela fait maintenant un mois que les riverains se réunissent tous les samedis devant le centre commercial en bordure de la ville. Ils protestent contre la « loi supermarché » votée début janvier à la Knesset (Parlement) avec le soutien de Benjamin Netanyahu. Ladite loi donne autorité au ministère de l’Intérieur pour déroger aux règlements municipaux qui autorisent le maintien des activités commerciales le jour du Shabbat. Le portefeuille de l’Intérieur est actuellement entre les mains d’Arye Dery, leader des ultra-orthodoxes (haredim) du parti Shass. Peu après le vote de la loi, M. Dery a donné son feu vert pour verbaliser les commerçants ouvrant leurs portes le jour du repos juif.
Sous la pression des membres ultra-orthodoxes du conseil municipal, le maire d’Ashdod, Yehiel Lasri, a cédé. Les premières amendes de 320 shekels (139 000 livres libanaises) ont été distribuées aux contrevenants. Les rangs des protestataires se sont alors étayés. La majorité d’entre eux sont issus de l’alya (littéralement « montée » en Israël) russe des années 1990. Après Haïfa, Ashdod est la ville qui a absorbé la plus grande part de cette immigration massive (un million de personnes), équivalant au quart de la population israélienne de l’époque.

« Les juifs soviétiques sont arrivés d’une société où la pratique religieuse était prohibée. En Israël, ils ont découvert la religion omniprésente. Ils forment une communauté soudée avec une identité forte, ses propres médias et quartiers russophones », décrypte pour L’Orient-Le Jour Igor Delanoë, directeur adjoint de l’observateur franco-russe à Moscou, qui a analysé au cours de ses recherches la communauté russophone et son influence dans les décisions israéliennes à l’égard de la Russie. Il décrit une population profondément sécularisée, qui maintient un entre-soi russophone en Israël : pour eux le Shabbat signifie davantage sortie à la plage ou shopping en famille. Pour certains, c’est même une journée ordinaire de travail. La majorité des commerces contrevenants appartiennent aux russophones.


(Lire aussi : Israël passe, sur le fil, une loi pour la fermeture des commerces lors du shabbat)


Tenue pour une population docile, les russophones ne sont pas familiers des mouvements contestataires. Alors que beaucoup d’entre eux ont subi un déclassement en arrivant en Israël, ils étaient les grands absents des manifestations pour la justice sociale de l’été 2011. Mais le poids des religieux dans la société les a finalement décidés à descendre dans la rue.
Cette fronde russe donne aux défenseurs israéliens de la laïcisation de l’État le trait populaire qui leur manquait. La voix laïque la plus audible était jusque-là celle de la gauche israélienne réputée élitiste des Ahusalim (acronyme hébreu pour Ashkénaze, laïc, socialiste, né en Israël), genre de WASP israéliens. Or les russophones sont une population à la fois laïque et ultranationaliste. Un nationalisme qui n’est pas issu du mysticisme territorial des colons, mais qui se traduit par une volonté de séparation avec les Arabes. Le parti qui les représente, Israël Beiteinou (fondé par Avigdor Lieberman, russophone né en Moldavie), prône un transfert des Arabes israéliens vers les territoires de l’Autorité palestinienne.

La « loi supermarché » réaligne ainsi des forces politiques ordinairement opposées. Cette convergence même furtive menace la coalition de droite au pouvoir à un peu plus d’un an des élections. D’après les sondages, si le scrutin avait lieu aujourd’hui, le parti centriste Yesh Atid de Yaïr Lapid égalerait, voire battrait le Likoud.
La réaction politique ne s’est donc pas fait attendre. Le premier à capitaliser sur l’indignation populaire a été naturellement Avigdor Lieberman. Le samedi 20 janvier, il a déclenché l’ire de ses partenaires de la coalition en faisant une visite ministérielle à la fromagerie du Tiv Ta’am, une chaîne de supermarché aux rayons non casher. L’amitié du ministre de l’Intérieur Arye Dery pour son collègue de la Défense a été consommée le jour même : « Lieberman a grossièrement bafoué le Shabbat et franchi toutes les lignes. Même Lapid senior, qui détestait la religion, n’a jamais osé agir ainsi », a-t-il déclaré en se référant à Yossef Lapid, père de Yaïr, à la tête du parti laïc Shinouï entre 1999 et 2006.


(Pour mémoire : En conflit sur le shabbat, un ministre israélien ultra-orthodoxe démissionne) 


Avigdor Lieberman était absent de la concertation hebdomadaire des membres de la coalition le lundi suivant. Alors que l’opposition de gauche (Meretz) et du centre (Yesh Atid), amorce un rapprochement, la stratégie de la corde raide jouée par le ministre de la Défense fait vaciller la droite au pouvoir depuis 2015. Elle laisse penser qu’Israël Beiteinou pourrait mener campagne dans l’opposition.
Chose inédite pour un électorat ancré à droite, la presse israélienne a rapporté des slogans pro-Yesh Atid au sein des manifestations à Ashdod, suggérant que M. Netanyahu paiera le prix politique de son soutien à la loi supermarché. « C’est assurément une mauvaise nouvelle pour Netanyahu », souligne Igor Delanoë. « Le vote russe a une capacité d’arbitrage très puissante. »
Bâti sur une proportionnelle intégrale avec un très faible seuil de représentation, le système électoral israélien encourage le morcellement des factions représentées à la Knesset et un pluralisme partisan exacerbé. Alors que les juifs pratiquants sont restés cohésifs derrière leurs partis, les laïcs se sont dispersés en une multitude de partis de gauche, de droite ou du centre. Le résultat est qu’aucun parti laïc n’a jamais été capable de constituer de coalition sans l’appoint des religieux. Une fois au gouvernement, ces derniers peuvent se montrer très susceptibles si leurs partenaires s’avisent à laïciser la loi. À noter que le dernier laïc à maintenir un lien purement instrumental, mais essentiel, avec les partis ultra-orthodoxes n’est autre que Benjamin Netanyahu.


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