Dans 150 dépotoirs sauvages, les déchets sont brûlés à l’air libre à un rythme hebdomadaire. Photo tirée du rapport de Human Rights Watch
Le danger que représente l’incinération sauvage pour la santé est un secret de Polichinelle. Mais ces risques traduits en chiffres ont fait l’effet d’une bombe, d’autant qu’ils vont crescendo.
Ainsi, « une augmentation de 1 % des particules fines émanant de l'incinération sauvage des déchets accroît de 14 % les risques de cancer du poumon », a déclaré hier le ministre de la Santé, Ghassan Hasbani. « Les personnes vivant dans les régions polluées ont 20 % de plus de risques de mourir d’un cancer du poumon », a-t-il ajouté au cours d’une conférence de presse tenue conjointement hier avec la directrice adjointe de Human Rights Watch (HRW) pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord, Lama Fakih. Plus encore, « l’incinération sauvage des déchets augmente de 200 % les risques de maladies pulmonaires, près de 11 % des cancers du côlon sont dus à la consommation d’une eau polluée et 40 % des décès des suites d’un cancer ou de maladies cardio-vasculaires sont dus aux émissions de dioxyde de carbone », insiste-t-il.
Se référant au rapport publié en décembre par HRW sur les conséquences désastreuses, sur la santé comme sur la qualité de vie, de l’incinération des déchets en plein air au Liban, M. Hasbani rappelle que 941 dépotoirs sauvages ont été recensés, sachant que dans plus de 150 d’entre eux, les déchets sont brûlés à l’air libre à un rythme hebdomadaire. « Entre 2015 et 2017, la Défense civile a été sollicitée pour éteindre plus de 3 600 incendies déclarés dans des dépotoirs sauvages à Beyrouth et au Mont-Liban et près de 814 incendies dans d’autres régions du Liban, soit une augmentation de 330 % des sinistres en 2015 au Mont-Liban et de 259 % en 2016, note-t-il. Par ailleurs, selon une étude menée par l’Université américaine de Beyrouth, 77 % des déchets solides sont enfouis ou jetés de manière dangereuse. »
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53 millions de dollars en traitements
M. Hasbani s’est par la suite penché sur la prévalence et le coût du cancer au Liban. Il a noté que plus de 6 000 personnes atteintes de cancer reçoivent leur traitement aux frais du ministère de la Santé, sachant que les cancers du poumon et du côlon figurent au nombre des cinq formes les plus fréquentes au Liban, avec respectivement 1 212 et 1 090 cas détectés en 2015, selon le Registre national du cancer.
En ce qui concerne le coût du traitement, il frôle les 13 000 dollars contre 5 000 en 2012, parce que les traitements sont plus pointus. « En 2017, la facture des traitements du cancer aux frais du ministère de la Santé s’est élevée à 53 millions de dollars, précise le ministre. Quant à la prévalence de la maladie, elle est passée de 100 cas pour 100 000 habitants en 2006 à 300 cas pour 100 000 habitants en 2016. Cette même année, 13 000 nouveaux cas de cancer ont été enregistrés. »
Cette triste réalité a poussé le ministre de la Santé à hausser le ton, mettant le gouvernement devant ses responsabilités quant à la nécessité de trouver des solutions à la crise des déchets et de les mettre en application. « Tant que le peuple continuera à respirer la mort en raison des déchets et de la pollution, la prévalence de ces maladies ne cessera de s’élever, martèle-t-il. Certes, il existe d’autres facteurs au cancer, comme l’hérédité et le mode de vie. Toutefois, la pollution résultant de l’incinération sauvage des déchets, les dépotoirs sauvages et la pollution en général constituent les principaux risques de la maladie. Des risques pourtant évitables. »
Et M. Hasbani d’insister sur la nécessité « de définir une priorité nationale pour assurer le traitement à ceux qui ont pâti de l’échec de l’État pendant plusieurs années à leur assurer un environnement sain ». Il a, dans ce cadre, souligné la nécessité de « débloquer un budget supplémentaire pour le traitement des personnes souffrant de cancer et de maladies chroniques ».
De son côté, Lama Fakih a affirmé que tant que le Liban ne met pas un terme à l’incinération sauvage ni n’informe la population des dangers que cela représente pour elle, « il viole ses obligations au regard du droit international relatif aux droits humains ». « Selon les médecins, la fumée émanant de l’incinération sauvage provoque des maladies cardiaques et respiratoires, ainsi que certaines formes de cancer et des affections cutanées, déplore-t-elle. Le Liban n’a pas de plan pour la gestion des déchets solides. Pendant des décennies, il a passé d’une stratégie à une autre, sans pour autant mettre en place une solution à long terme ». Et Lama Fakih d’appeler à la signature d’une pétition réclamant au Parlement et au gouvernement d’adopter une stratégie durable pour la gestion des déchets qui soit conforme aux meilleures pratiques environnementales et sanitaires, ainsi qu’aux lois internationales. Pour signer la pétition, aller à l’adresse : www.hrw.org/StopTheBurning
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Contrôle strict
Interrogé par L’Orient-Le Jour sur les risques que représentent les incinérateurs, M. Hasbani assure qu’« aucune technique d’incinération, de gazéification ou autre ne sera envisagée sans qu’une étude sur son impact environnemental n’ait été menée au préalable ». « Un comité indépendant formé de représentants de plusieurs ministères et d’associations de la société civile sera chargé de contrôler l’activité de ces usines et leurs émissions, insiste-t-il. Ce qui m’importe à l’heure actuelle, c’est de trouver une solution au problème de l’incinération sauvage et d’assurer le traitement aux patients. Il existe des solutions écologiques au problème des déchets. Le problème, c’est qu’aucune d’entre elles n’a été appliquée. »
Lama Fakih a de son côté précisé que « HRW n’a pas pris de position contre les incinérateurs » au Liban. « Le recours à cette méthode sous-entend toutefois le respect de nombreuses normes, explique-t-elle. Plusieurs pays dépendent de cette technique, qui représente pour eux un moyen environnemental sain pour se débarrasser de leurs déchets. La question qui se pose est celle de savoir comment les incinérateurs seront utilisés au Liban. Si cette solution est envisagée, il faudrait que les incinérateurs soient soumis à un régime strict de surveillance pour s’assurer qu’ils ne seront pas utilisés de manière à nuire à l’environnement ou à la santé de la population. »
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13 h 14, le 07 février 2018