Le crépuscule des magiciens

Blanche ou noire, la magie existe-t-elle vraiment? Et toutes ces surnaturelles prouesses de scène qui nous font revivre les émerveillements de l’enfance ne sont-elles rien d’autre que simple manipulation, qu’adroite prestidigitation? Pour que le tour soit joué et qu’opère la magie, les trucs et astuces propres à la profession ne peuvent faire tout seuls illusion, car tout est dans la phénoménale célérité des doigts. Pour cette raison, n’allez pas voir la moindre féerie, la plus fugace étincelle de génie, dans le scénario qui a permis aux hommes qui nous gouvernent de désamorcer au finish, tels d’héroïques artificiers, la bombe qu’ils avaient façonnée de leurs propres mains et qui a bien failli replonger le pays dans la guerre civile.

Rien d’un coup de baguette magique en effet, dans ce généreux appel téléphonique auquel se résignait, l’autre soir, le chef de l’État pour calmer la colère du président de l’Assemblée, traité de voyou par le bien peu diplomate ministre des Affaires étrangères. En retard de plusieurs jours, durant lesquels on pouvait s’attendre au pire sur le terrain, aura été en effet cette entreprise de rafistolage du margouillis causé par Monsieur Gendre.

On ne se pâmera pas non plus devant la providentielle grandeur d’âme du chef du législatif acceptant de passer l’éponge, alors qu’il a ignoré de manière plus dramatique encore la sacro-sainte règle de rapidité, et même d’urgence. Lundi Sin el-Fil, mercredi Hadeth : par deux fois des activistes chiites ont traversé en convois – et en armes – des banlieues chrétiennes en scandant des slogans on ne peut plus provocants, et c’est de justesse (là réside le véritable miracle) qu’ont été évités des accrochages et échanges de tirs aux incalculables conséquences. Que l’on cesse, à ce propos, d’insulter notre intelligence avec cette rengaine des protestations populaires spontanées, dans un pays où les manifestations violentes sont notoirement, rigoureusement programmées et encadrées. Où l’on tire en l’air pour ponctuer chaque harangue télévisée. Où l’on brûle des pneus sur la voie publique. Où l’on saccage des vitrines, où l’on attaque à coups de pierres des stations de télévision parce qu’un programme satirique n’a pas eu l’heur de plaire ou parce que Donald Trump a encore fait des siennes.

Gouverner c’est prévoir, et le chef du législatif compte parmi ceux qui ont charge d’âmes. Il était donc de son devoir d’interdire par avance – et non à retardement – tout débordement à ses ouailles, au lieu que de faire monter la pression en s’embusquant derrière cette fiction des furies instinctives qui ne trompe absolument personne. Mais que dire de la force publique, censée veiller sur la paix civile et préserver les biens publics et privés, la cavalerie se déployant seulement après coup sans procéder à la moindre interpellation : cela, sombre ironie, à l’heure où l’autorité judiciaire s’acharne au contraire sur les journalistes et les humoristes ?

Reste à se féliciter bien sûr de la rencontre qui a groupé, hier à Hadeth, des représentants du Hezbollah, du CPL et d’Amal protestant, à qui mieux mieux, de leur attachement à l’unité nationale. Ce retour à la raison a été apparemment hâté par les dernières prétentions israéliennes sur le pétrole offshore libanais, objet d’une scandaleuse mainmise des groupes politico-communautaires unis dans une même spoliation de l’État. En attendant, la belle image d’Épinal de Hadeth ne règle en rien le lourd contentieux opposant Nabih Berry et le ministre Gebran Bassil, bravement barricadé hier derrière un écran de télévision géant à l’ouverture d’un congrès des expatriés à Abidjan largement boycotté par les chiites ; mais du moins a-t-elle l’immense mérite de calmer l’ébullition sur le terrain.

Cela jusqu’au prochain tour foireux des apprentis magiciens.

igor@lorientlejour.com